Gilets jaunes : révolution, résistance ou révolte ?
par Bernard Dugué
mardi 8 janvier 2019
Le mouvement des gilets jaunes se prépare pour un acte IX. Bientôt deux mois et pour l’instant, les analystes peinent à interpréter la situation. Dans un bel article paru dans Marianne, Natacha Polony voit dans les gilets jaunes un épisode de l’histoire en marche. On ne peut contester en effet que ce mouvement ait une dimension historique, à la fois par son intensité, son étendue géographique, sa durée, mais aussi et surtout son caractère inédit, sans doute rendu possible par l’utilisation des réseaux sociaux. Historique donc, mais de quelle histoire parle-t-on ?
Est-ce une révolution ? Pour l’instant, la réponse est négative. Les révolutions ont toujours été précédées de facteurs servant de ressorts pour pousser l’histoire en avant. Facteurs économiques comme la famine, mais aussi mythologique. La révolution de 1789 a été préparée par la mythologie des Lumières. La révolution russe de 1917 fut précédée par une mythologie bolchévique habilement façonnée et propulsée par Lénine. Dans les deux cas, la mythologie est entrée en résonance avec une conjecture plus globale, économique mais pas que. En 1917, la Russie était en guerre. Les révolutions ont amené un changement de régime. Les gilets jaunes ne demandent pas un changement de régime mais d’être mieux considérés par la gouvernance. Ils pensent que le référendum d’initiative citoyenne peut y contribuer. Si révolution il y a en vue, elle est caché dans l’âme et doit être réveillée par une mythologie de circonstance.
Est-ce une résistance ? Une chose est acquise, les gilets jaunes ont largement manifesté leur patriotisme en entonnant la marseillaise ou en brandissant les drapeaux tricolores. Le boxeur Dettinger devenu célèbre a confié dans une vidéo son attachement au pays. Ce samedi 5 janvier, je suivais le défilé des gilets. En queue de cortège, une voiture diffusait le chant des partisans. L’idée me vint d’associer le mouvement à une sorte de résistance. Je m’étais même dit que ce chant pourrait servir à donner plus de coffre aux futurs cortèges. Mais souvent, une idée apparemment nouvelle n’est qu’une porte ouverte enfoncée. Le chant des partisans fait partie du mouvement depuis novembre 2018. Il a même été paraphrasé pour l’adapter au combat des gilets. On ne peut pas dire que ce chant ait résonné d’une puissante intensité. Il est toutefois bien plus subtil que ces slogans insipides du gauchisme de la rue : « rien n’est à eux, tout est à nous, tout ce qu’ils ont, ils l’ont volé ». Admettons qu’il y ait résistance, certes, mais contre qui ? Peut-on dire que la France est occupée ? Non, ou alors il faut le dire de manière allégorique. La France serait alors occupée par un régime formé d’une caste de technocrates, de bureaucrates, de managers, qui sont entre autres une courroie de transmission pour installer la technocratie européenne dans tous les pays. L’Europe technocratique occupe la France. Et les gilets jaunes sont entrés en résistance. En vérité, les gilets jaunes reprochent aussi au régime de ne pas occuper la France dans son entier, de ne pas s’occuper des territoires et des gens déclassés. Bien audacieux et présomptueux celui qui parviendra à façonner une mythologie de résistance pour encadrer et élargir le mouvement des gilets jaunes. Et allumé celui qui voudra créer une mythologie révolutionnaire à notre époque ou le seul mythe amené à devenir universel est celui du développement personnel.
Troisième option, la révolte des gilets jaunes. Cette fois, ça tombe bien, tout le monde est d’accord pour reconnaître que ce mouvement est une révolte contre les pouvoirs en place. L’ennuyeux, c’est qu’on n’a pas dit grand-chose. Essayons de préciser. Révolte contre quoi ? Contre plusieurs choses difficiles à assembler et du reste se prêtant peu à une unification de ce mouvement qui pour l’instant, rassemble des mécontents. Avec deux volets que l’on retrouve dans tous les mouvements historiques de cet acabit. D’abord le matériel. Révolte contre les taxes, la CSG, la fiscalité verte, le contrôle technique automobile. Les révoltés ont remarqué que les prélèvements augmentent alors que les services publics baissent en qualité et en offre géographique. Ensuite le volet mythologique et symbolique, l’exigence démocratique, l’idée pas fausse que les technocrates décident ce qui est bon pour la société sans connaître les gens qui la composent. Dans ce contexte, le traité de Lisbonne imposé en 2007 par vote du Congrès a été considéré comme une insulte pour les 55 % ayant voté contre le TCE en 2005.
L’affaire serait-elle classée ? Les observateurs n’ont pas encore compris les ressorts profonds de ce mouvement, pour autant qu’il en existe. On a le choix entre une simple révolte et un changement de société qui n’apparaît pas et qu’il sera difficile à arracher du fond des âmes qui vivent dans le pays et des âmes qui nous gouvernent. Il existe des précédents historiques. Les grèves des mineurs britanniques en 1984 n’ont pas réussi à faire plier le gouvernement Thatcher et pourtant elles ont été intenses et ont duré plus d’un an. Cet épisode de l’histoire a sa légitimité pour s’appliquer aux gilets jaunes. Le mouvement peut plier au bout de quelques mois. Cette issue est pourtant trop facile. Le mouvement ne concerne pas une catégorie de travailleurs, mais est porté par un ensemble de populations diversifiées, en âge, sexe et profession. Et donc c’est un gros point d’interrogation. Le problème soulevé par les gilets jaunes ne pourra pas être solutionné par la politique en marche qui risque d’aggraver la situation. Une fois de plus, on constate l’absence des intellectuels qui la plupart, sont déconnectés de ce peuple révolté. Toutefois, quelques sociologues bien renseignés livrent des détails ayant quelque importance pour comprendre ce qui se passe dans les âmes habitant ces corps habillés de jaune.
Si ce mouvement est principalement une question de pouvoir d’achat, il n’y aura pas de solution. Si c’est plus profond, la démocratie et l’histoire sauront amener le peuple vers une résolution, ou une révolution.