Grève de taxis au Cameroun : de jeunes émeutiers jouent aux zéros (aux héros)

par François BIMOGO
mercredi 27 février 2008

Yaoundé, quartier, Essos, 25 février 2008, il est 19 heures. A côté d’une station à essence Mobil, de nombreuses personnes revenant du travail prennent la direction de leurs domiciles dans les quartiers. Quelques voitures personnelles circulent, mais en plein coeur du rond point, une dizaine de jeunes gens se ruent sur une moto qui transporte un passager, ils la renversent, l’immobilisent, « personne ne porte aucun passager ! », lancent-ils, mi-plaisants, mi-menaçants.

Au carrefour Mimboman Terminus, à la gare de l’Ouest de la ville, une autre bande de jeunes filtre la circulation menant dans les quartiers, ils tentent d’empêcher un autobus desservant les villes de la périphérie de la capitale de prendre le départ, un policier s’interpose et le minibus s’en va clopin-clopant sous la réprobation des jeunes. Plus en profondeur dans le quartier Mimboman, le scénario est presque le même, une poignée de jeunes qui jouent les zéros (les héros), filtrent la circulation, contrôlent les véhicules et, ironie du sort, aux mêmes endroits parfois que les contrôles de gendarmerie qui y rançonnent les automobilistes d’opeps (tacots clandestins desservant certains quartiers à la périphérie de Yaoundé)...

Le lendemain, 26 février, le gouvernement camerounais semble n’avoir pas trouvé une solution ni aux revendications de chauffeurs de taxis ayant entraîné la grève de la veille ni aux émeutes et aux pillages orchestrés par des bandes de jeunes dans la ville de Douala, la capitale économique du pays. Depuis le début du mois de février, des opposants et partis politiques opposés à la révision de la Constitution (pour permettre au président Paul Biya de rempiler) bravent l’interdiction de manifestation du gouverneur de la province du littoral d’organisation des regroupements. Une situation tendue relayée abondamment par les chaînes de télé et de radio privées Equinoxe, dont le propriétaire, Séverin Tchounkeu, est aussi le patron d’un des cinq quotidiens du Cameroun. Le ministre de la Communication, Pierre Biyiti bi Essam en a décidé de la fermeture jeudi et vendredi dernier. Le samedi suivant, à l’entrée de la ville, sur l’axe lourd reliant Douala à Yaoundé, des dizaines de feux ont été allumés après l’annulation par leurs organisateurs même d’une manifestation de l’opposition (SDF, principal parti de l’opposition). Des pillages et un affrontement entre émeutiers et forces de l’ordre s’en est suivi faisant un mort et un blessé grave selon les sources gouvernementales et deux morts selon d’autres.

Trois ministres, celui des Transports, de la Communication et du Commerce se sont expliqués au cours d’un point de presse restreint aux médias gouvernementaux dans la nuit du 25 février. Comme tout le peuple, « ils ne comprennent pas » ce qui se passe, pourquoi les chauffeurs de taxi ont maintenu leur mouvement de grève malgré la concertation avec le gouvernement, ni pourquoi des bandes de jeunes pillent et saccagent la ville de Douala. Il faut aller chercher dans le communiqué du Comité central du RDPC, le parti au pouvoir, rendu public hier, pour y lire comme une manipulation des jeunes pour des desseins inconnus...

Douala capitale du chaos perpétuel

Ce mardi 26 février, tôt le matin, des commerces et magasins d’ordinaire ouverts à cette heure étaient restés fermés à Yaoundé. Au quartier Emombo, des kiosques du PMUC (Pari mutuel urbain camerounais, filiale du PMU France) ont été systématiquement brûlés. Des pneus aussi, sur une chaussée jonchée de pierres et de gravats. La grève de chauffeurs de taxi elle-même semble donc avoir été noyautée par des scènes d’émeutes sans mobile véritable si ce n’est la volonté de faire des pieds-de nez à l’ordre établi, à un système politique et de gouvernement en lequel les jeunes ne se reconnaissent pas et dont ils font porter le chapeau de leurs maux qui vont du chômage à l’exclusion sociale et politique.

Au second jour de la grève de taxis pour on ne sait plus quelle raison finalement, Douala transpire donc et Yaoundé respire, sans qu’on ne soit en mesure de pouvoir dire que cela puisse durer ou cesser. Les deux villes sont en effets différentes du point de vue de la susceptibilité à s’embraser : tandis que Douala la capitale économique est un véritable chaos perpétuel (un simple accident de moto taxi provoque en général l’émeute), à Yaoundé, capitale politique, les habitudes sont plus policées, au propre comme au figuré.

François Bimogo


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