Guilluy décrypte la fracture politique hexagonale

par Laurent Herblay
mardi 8 août 2017

Dans « la France périphérique  », Guilluy remet en cause le découpage traditionnel de notre société et livre une analyse très intéressante des phénomènes migratoires dans notre pays. Mais il livre aussi une analyse politique d’autant plus pertinente que les années qui sont passées depuis en ont démontré le caractère prophétique, dans bien des domaines, que ce soit sur le FN ou les élections de 2017.

 

L’intellectuel qui avait anticipé la victoire de Macron ?
 
Il faut rappeler que ce livre est sorti en septembre 2014, et a donc été écrit avant l’accession de Macron au gouvernement. En effet, il anticipe le rapprochement des bourgeois traditionnels et de la nouvelle bourgeoisie urbaine, plus jeune, que pas grand chose ne sépare : « il n’est pas improbable que ce continuum socioculturel contribue demain à un rapprochement entre la droite modérée et le parti socialiste. Ce grand bloc politique libéral pourrait d’ailleurs s’appuyer sur la nouvelle organisation territoriale qui renforcera le pouvoir des métropoles », tout en se demandant si « le PS s’affacera-t-il définitivement en même temps que la classe moyenne ? Il en prend le chemin…  ».
 
Mais, il n’est pas tendre avec ces « libéraux, partisans de la société du libre-échange, de la mobilité sans fin (…) sur les bases du PS et de la droite modérée  » et leur « idéologie qui prône un individu-mobile, lequel ne se refère plus ni à une clase sociale, ni à un territoire, ni à une histoire (…) une idéologie ‘mouvementiste’, à laquelle adhère les classes dominantes, ne rencontre aucune résistance : au mieux elle est perçue comme un bienfait, au pire comme une fatalité ». Il note aussi que le socle électoral du PS et de l’UMP est constitué des gagnants de la mondialisation et de ceux qui en sont protégés (fonctionnaires et retraités). « L’UMP et le PS ne sont pas des partis opposés mais complémentaires  ».
 
Il note que « l’abstention, le vote FN, les nouvelles radicalités émergent sur des territoires situés à l’écart des métropoles mondialisées  », autour des métropoles et dans les petites villes et zones rurales. Pour lui, « le clivage gauche-droite laisse peu à peu la place à une opposition frontale entre ceux qui bénéficient et/ ou sont protégés du modèle économique et sociétal et ceux qui le subissent  » : pour 68% des cadres, la mondialisation est une opportunité, mais une menace pour 74% des ouvriers ; 72% des cadres pensent que la France doit s’ouvrir davantage, quand 75% des ouvriers pensent qu’elle doit s’en protéger, citant l’étude Ipsos Steria de 2014 et parlant de « fracture culturelle totale, divorce consommé  ». Logiquement, pour lui, « le diagnostic rationnel, objectif, est celui des classes populaires  ».
 
Il soutient que les gens qui votent FN « ne sont ni stupides ni manipulés. Ils font des analyses rationnelles de leur vécu, et en tirent des conséquences contestables, certes, mais qui s’expliquent (…) Ce n’est pas le FN qui est allé chercher les ouvriers, ce sont ces derniers qui ont utilisé le parti frontiste pour contester la mondialisation et s’inquiéter de l’intensification des flux migratoires  ». Il rappelle aussi que « si 3 Français sur 4 considèrent qu’il y a trop d’immigrés, c’est que le phénomène dépasse de très loin les 20% d’électeurs frontistes ». Encore une fois prophétique vis-à-vis de l’élection de 2017, il dénonce l’opposition entre les deux identitarismes de la ligne Terra Nova et la ligne Buisson.
 
Dans une analyse qui rejoint celle de Jacques Généreux, il note « un fort raidissement des Français sur la question de l’Etat-providence (…) alors même que les besoins en logements sociaux et en prestations n’ont jamais été aussi forts, les Français, notamment les plus modestes, préfèreront restreindre le champ d’action d’un Etat-providence soupçonné d’aider prioritairement les immigrés », majoritaires dans les ZUS. Il parle d’un « basculement politique et sociétal majeur (…) C’est le paradoxe de la situation actuelle qui dénote la perversité d’un système libéral et mondialisé : demain, la critique de l’Etat-providence ne sera plus portée par en haut mais ceux-là même qui en ont le plus besoin ».
 
La possible droitisation économique des classes populaires, que pourrait porter un FN revenu à ses racines, est une perspective assez effrayante, venant d’un intellectuel qui avait bien anticipé Macron. Heureusement, il affirme aussi que si « le FN bénéficie d’une dynamique positive mais, compte tenu du potentiel électoral, d’autres pourraient se structurer sur les ruines des partis traditionnels  ».
 

 

Source : « La France périphérique  », Christophe Guilluy, Flammarion
 

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