Hollande, 18 mois après

par Fergus
lundi 16 décembre 2013

Comme chacun sait, François Hollande a basé sa campagne présidentielle, et sans doute une partie de son succès électoral de 2012, sur un programme comportant 60 engagements pour la France. Or, il est régulièrement affirmé dans les médias, souvent de manière péremptoire, que rien ou presque n’a été réalisé depuis l’entrée en fonction de l’actuel président. Qu’en est-il en réalité ?

Jamais sous la Ve République, un président n’avait été soumis à un tel pilonnage de la part des médias, et cela pratiquement dès le lendemain de son accession au pouvoir. Certes, Nicolas Sarkozy n’a lui-même pas été épargné à différents moments de son quinquennat, mais les attaques contre le précédent locataire de l’Élysée sont toujours venues des médias de gauche, les médias de droite restant dans le soutien ou, au pire, dans une prudente neutralité.

Rien de tel avec François Hollande : dès son entrée en fonction, il s’est trouvé ciblé dans le collimateur d’éditorialistes bien décidés – parfois avec des arguments d’une évidente mauvaise foi – à ne lui faire aucun cadeau, et cela dans l’ensemble des médias, de gauche comme de droite, tant de la presse écrite qu’audiovisuelle. Un constat d’autant plus étonnant qu’il n’y a guère eu de rupture entre la gouvernance actuelle et celle du quinquennat précédent, entre l’agitation désordonnée d’un hyper-président inefficace et la mollesse pateline d’un hypo-président tout aussi inefficace dans les seuls domaines qui importent véritablement aux Français : l’emploi et le pouvoir d’achat.

Peut-on pour autant accuser François Hollande d’avoir complètement renié ses promesses de campagne ? Peut-on lui reprocher d’avoir limité son action à l’attente d’un hypothétique renversement de conjoncture susceptible d’entraîner un reflux significatif du chômage, synonyme d’une possible réélection en 2017 ? Eh bien non, tout cela est en grande partie infondé : aussi surprenant que cela puisse paraître dans le climat actuel, de nombreux chantiers ont été ouverts et des promesses réalisées par le président et son gouvernement. Mais il est vrai que la désignation, lors du meeting du Bourget, d’un ennemi déclaré, la finance, pèse d’un poids d’autant plus redoutable dans le ressenti des Français vis-à-vis de l’action du président que rien n’est venu concrétiser dans les faits ce spectaculaire anathème aux allures de pierre angulaire du hollandisme.

Cette carence emblématique peut-elle masquer de réelles avancées ? Chacun peut, à cet égard, consulter à loisir la liste des engagements de François Hollande sur le site du Parti socialiste pour se faire, en se référant à sa propre perception de la gouvernance actuelle, une idée personnelle des réalisations achevées ou en cours, mais aussi des renoncements provisoires ou définitifs sur les différents points évoqués dans cette liste d’engagements. L’exercice est toutefois loin d’être aisé compte tenu, d’une part, des aspects techniques qui caractérisent la plupart des mesures en question, d’autre part, de la difficulté de connaître l’état réel d’avancement des chantiers. Qui plus est, nous n’avons pas, pour la plupart d’entre nous, l’expertise nécessaire pour procéder à une évaluation correcte. C’est pourquoi il m’a paru intéressant de me pencher sur le constat très complet réalisé – et maintenu quasiment en temps réel – par trois jeunes journalistes indépendants sur le site Lui président, un blog invité du quotidien Le Monde, récompensé par le Prix de l’innovation en journalisme 2013.

 

Les classes populaires délaissées

Or, que découvre-t-on sur leur site dans le constat intitulé Les 60 engagements ? Un panorama très complet du projet socialiste et le détail de ces 60 engagements, déclinés avec pertinence en 189 promesses sur lesquels le trio de journalistes pose un regard critique. Il ressort de ce travail sous la loupe que : 39 promesses ont d’ores et déjà été tenues ; 13 sont en partie tenues ; 95 n’ont pas encore été tenues mais sont en cours de réalisation ou restent projetées d’ici à la fin du quinquennat ; 5 sont « brisées » ou reportées sine die ; 16 sont imprécises.

Au-delà de ces 60 engagements, ce sont même près de 400 promesses de la Hollandie de campagne ou des 18 premiers mois du quinquennat qui sont passées au crible par l’équipe de Lui Président dans un outil sans précédent sous la Ve République : le Hollandomètre. Des promesses qui donnent lieu au constat suivant : 82 promesses tenues ; 30 partiellement tenues ; 107 en cours ; 124 sans début de réalisation à ce jour ; 36 abandonnées ; 21 imprécises.

Étonnant, non ? On ne cesse de brosser le tableau d’un président incapable de décider et d’un gouvernement constitué de bras cassés plus occupés par les chicayas internes que par la mise en œuvre des promesses de campagne, et voilà que l’on découvre, références aux lois et décrets à l’appui, que ces gens-là travaillent et ont d’ores et déjà mené à bien une partie significative des engagements pris par le candidat Hollande.

Certes ! Mais confrontées à des taux de chômage records et à une précarisation grandissante, les classes populaires n’en continuent pas moins de souffrir sur le plan économique. Quant aux classes moyennes, elles voient avec inquiétude se profiler de nouvelles atteintes fiscales à leur pouvoir d’achat. Tout cela dans un pays où, malgré les renforts de police, le niveau de l’insécurité reste élevé, avec, à la clé, des tensions potentiellement dangereuses pour le lien social. Or, c’est évidemment sur ces dossiers majeurs, et non sur des questions sociétales non urgentes ou des avancées techniques éloignées des conditions de vie au quotidien de nos compatriotes, que François Hollande et les acteurs de l’exécutif seront jugés.

En résumé, entre les plans sociaux sur lesquels le gouvernement n’a pas de prise, et les bourdes ministérielles*, aggravées par une communication mal maîtrisée, François Hollande ne mérite sans doute pas les volées de bois vert qui lui sont régulièrement assénées par les éditorialistes. Pas plus que les condamnations aussi incendiaires que définitives qui font florès sur les blogs du net, alimentés ici par des militants d’opposition – y compris du Front de Gauche –, et là par des Français frustrés de ne pas voir la sortie du tunnel, malgré quelques avancées, vite balayées d’un revers de souris.

Il n’en demeure pas moins qu’en politique, comme en marketing ou en management, ce n’est pas la réalité qui compte mais la représentation que chacun a de cette réalité. Or, cette représentation reste très négative, du fait tout à la fois du maintien des taux de chômage à un très haut niveau et d’une multiplication de corporatismes exacerbés qui contribue à valider collectivement l’impression d’immobilisme dans un pays non réformable. Hollande, entouré de conseillers manifestement coupés du réel – ou trop préoccupés par des intérêts partisans – en a-t-il pleinement conscience ? Au vu de sa gouvernance, perçue comme floue et sans cap bien défini par une large majorité de Français, on peut en douter.

Quoi qu’il en soit, une évidence s’impose : Le changement, ce n’est pas pour maintenant !

 

* La dernière en date, émanant des services du Premier ministre, n’est pas la moindre : en publiant sur le site de Matignon les recommandations d’un collège d’intellectuels, déconnectés des réalités du terrain, sur l’intégration des étrangers, particulièrement de confession musulmane, Jean-Marc Ayrault et ses collaborateurs ont déclenché une bien inutile polémique.

 


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