Hollande en meeting au Bourget

par Gabale
mardi 24 janvier 2012

La vie politique est curieuse. Il y a un peu plus de trois ans – c’était donc hier à peine – François Hollande quittait la direction du Parti socialiste au Congrès de Reims sous les ricanements et les huées.

A l’époque, pour beaucoup de militants et de responsables socialistes, il portait la responsabilité des divisions et pataquès internes. Il incarnait le summum de la ringardise et des pesanteurs d’un appareil politique.

Qu’est-ce qui a donc changé pour que cet homme suscite aujourd’hui des sentiments totalement inverses ?

Rien ou si peu, malgré une brillante victoire aux Primaires citoyennes l’année dernière.

Ce n’est pas moi qui le dis. C’est François Hollande lui-même :

« C’est vrai que je ne m’exhibe pas, je reste moi-même, c’est ma force. Ce que vous voyez ici, c’est ce que je suis [...] Je n’ai pas besoin de changer en permanence pour être moi-même. »

On aura raison de voir dans cet extrait une allusion à Nicolas Sarkozy et à son meeting du 14 janvier 2007. Dans une campagne électorale qui débute, cela va de soi.

Cependant, il faut aller, me semble-t-il, au-delà de ce premier degré de lecture car au Bourget, François Hollande s’est d’abord et avant tout adressé aux responsables socialistes siégeant aux premiers rangs, bien distincts de la joyeuse et bruyante plèbe militante, un peu à l’image des aristocrates du temps jadis qui disposaient à l’office de places réservées pour mieux écouter le sermon du curé.

En signifiant à ces derniers qu’il est resté lui-même, j’aime à croire que François Hollande les mettait aussi face à ces jeux d’appareil, à ces déclarations individuelles intempestives, à ces volte-faces et autres circonvolutions qui constituent une large part de la cuisine politique en général et de la cuisine socialiste en particulier. Cuisine dont François Hollande est d’ailleurs un expert reconnu comme en témoigne le sobriquet de « Culbuto » qui, longtemps, fut associé à son nom.

J’ai écouté son remarquable discours. Et j’ai aimé sa prestation. Toutefois, contrairement aux commentaires plus ou moins dithyrambiques de la presse et aux formules de circonstances, je n’ai pas perçu que François Hollande « avait fendu l’armure » en quoi que ce soit. Je le savais excellent orateur. Je n’en attendais pas moins de lui. C’est comme quand j’entends des militants du Front de Gauche s’extasier devant la prétendue nouveauté des envolées verbales de Jean-Luc Mélenchon alors qu’elles ont maintes fois résonné dans les enceintes des congrés socialistes.

Que François Hollande parle de lui et de son parcours, c’est bien le moins qu’il pouvait faire. C’est un exercice incontournable pour quiconque se présente à l’élection présidentielle.

Au Bourget, François Hollande a donc fait du François Hollande, en adaptant naturellement son discours aux exigences du défi qui est désormais le sien. Cette adaption s’est faite sobrement, sans grandiloquence excessive, et avec ce souci manifeste d’apparaître déjà comme le challenger le plus sérieux et le plus crédible à Nicolas Sarkozy.

Voilà pour la forme.

Sur le fond maintenant, son discours m’a séduit, car il reprend les positions les plus fortes de Ségolène Royal, notamment sur le contrôle des activités financières et bancaires, qui est indissociable d’une politique en faveur de l’emploi, et sur la lutte contre l’insécurité.

« Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance [...] Si la finance est l’adversaire, alors il faut l’affronter avec nos moyens et d’abord chez nous, sans faiblesse mais sans irréalisme, en pensant que ce sera un long combat, une dure épreuve mais que nous devrons montrer nos armes. Maîtriser la finance commencera ici par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux [...] Non, je proposerai une véritable taxe sur les transactions financières, avec ceux en Europe qui voudront la mettre en euvre avec nous. Je proposerai aussi, si l’on veut éviter d’être jugés par des agences de notation dont nous contestons la légitimité de mettre en place au niveau européen une agence publique de notation [...] La réindustrialisation de la France sera ma priorité. Je créerai une banque publique d’investissement qui, en complément des fonds réggionaux, accompagnera le développement des entreprises stratégiques [...] J’exigerai des entreprises qui se délocalisent quand elles remboursent immédiatement les aides publiques reçues. Je donnerai priorité aux PME : ce sont elles qui embauchent, ce sont elles qui doivent être aidées avant tout »

On dirait vraiment du Ségolène Royal dans le texte.

Ce fut pour moi la véritable surprise de ce discours car j’attendais Hollande sur des positions plus modérées, c’est-à-dire davantage dans la lignée d’un social-libéralisme à la Strauss-Kahn (horresco referens !).

La droite n’a pas manqué d’ironiser sur le caractère incantatoire et irréaliste du discours du candidat socialiste.

Disons les choses comme elles sont : le discours de François Hollande n’est pas plus irréaliste et incantatoire que les centaines de discours de Nicolas Sarkozy sur la refonte et la moralisation du capitalisme. On en mesure aujourd’hui le résultat.

Le discours de François Hollande n’est pas plus irréaliste et incantatoire que les centaines de discours de Jean-Luc Mélenchon qui passe son temps à titiller le surmoi gauchiste d’une frange de l’électorat en promettant la fin du capitalisme.

Le discours de François Hollande n’est pas plus irréaliste et incantatoire que les centaines de discours de Marine Le Pen qui promet que la France ne pourra s’en sortir que si elle est seule, isolée et enfermée dans ses frontières et dans une politique résolument raciste et xénophobe.

Le discours de François Hollande n’est pas plus irréaliste et incantatoire que les centaines de discours contradictoires de François Bayrou.

Le discours de François Hollande n’est pas plus irréaliste et incantatoire que les envolées lyriques de Dominique de Villepin dont le seul but est de faire chuter Nicolas Sarkozy afin de régler mesquinement ses comptes après l’affaire Clearstream.

Non, le discours de François Hollande est légitime, respectable et responsable. Et c’est pour cela qu’il peut gagner le coeur de millions de gens qui souhaitent ardemment en finir avec le sarkozysme.

Idem sur la lutte contre l’insécurité, domaine dans lequel la gauche traîne, à tort ou à raison, une image de laxisme :

« L’égalité, l’égalité, c’est aussi la sécurité pour tous. Vivre dans la peur est insupportable ! L’insécurité est une injustice sociale intolérable. Elle touche les plus modestes, les plus âgés, les plus jeunes, les plus fragiles. La sécurité est un droit et je le ferai respecter en créeant des zones de sécurité prioritaires là où il y a les taux de délinquance les plus élevés, en mettant des postes supplémentaires [...] dans la Justice, dans la Police, dans la Gendarmerie, en rapprochant les Forces de l’ordre des citoyens. Et je lutterai contre tous les trafics, toutes les mafias. Pas plus que je n’accepte la délinquance financière, la fraude fiscale, pas plus je ne tolérérai qu’un petit caïd avec sa bande mette une cité en coupe réglée et fasse vivre à ses habitants un enfer. Tous ceux-là , les délinquants financiers, les fraudeurs, les petits caïds, je les avertis : ceux qui ont pu croire que la loi ne les concernait pas, le prochain président les prévient, la République, oui, la République vous rattrapera ! »

Je vois dans ces deux temps forts du discours de François Hollande non seulement un juste retour des choses pour celle qui fut la candidate socialiste à la présidentielle de 2007 mais aussi la confirmation de l’actualité et de la pertinence de ses propositions pour la France.

Hollande a tenu un discours bien ancré à gauche même si celui-ci fut émaillé de propositions plus baroques. Notamment le droit de vote des ressortissants non européens aux élections municipales (vieille revendication socialiste à laquelle je suis personnellement opposé) ou le fait de mettre la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat dans la Constitution (la laïcité y figure déjà à l’article 1) avec toutes les difficultés d’application aux départements français sous régime concordataire.

Hollande a également tenu un discours bien ancré dans l’indispensable construction européenne dont on sait qu’elle a permis aux Etats de notre continent un développement économique dans la paix, même si, bien sûr, celle-ci demeure un chantier permanent.

Sa réaffirmation de l’importance décisive de l’axe franco-allemand m’a paru essentielle et réconfortante en cette période où certains candidats, plus amnésiques de notre histoire que d’autres, proposent de jeter le bébé avec l’eau du bain. Elle est un signal lancé aux électeurs allemands qui, en 2013, seront appelés aux urnes pour les élections fédérales.

François Hollande doit prochainement détailler les points de son programme politique, économique et social pour les cinq ans à venir.

 Bonne chance à lui pour cette campagne qui promet d’être rude !

(Ce billet a été publié initialement sur Le Blog de Gabale)


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