Hollande peut-il réussir ?
par Paul ORIOL
vendredi 10 mai 2013
Cette question ne se pose pas dans les mêmes termes au niveau externe et interne.
Ces derniers jours, la politique économique européenne amorce un léger virage avec deux décisions attendues qui n'impliquent pas un changement profond mais qui n'en sont pas moins significatives.
Alors que la Commission européenne prévoit une contraction de 0,4% des économies de la zone euro en 2013, Mario Draghi a déclaré : « Dans ce contexte d’austérité, la lutte pour arriver à des décisions communes a eu un impact négatif sur les sentiments du marché. Mais désormais nous sommes arrivés à un point où l’Union monétaire, pour survivre, a besoin d’un pacte de croissance parallèlement au pacte fiscal bien connu » (Euronews 06/05/13). Et logiquement, il a ramené le taux de la BCE de 0,75 à 0, 50%.
C'est bien un signe en faveur de la relance mais sera-t-elle vraiment favorisée ? Cela dépend des banques. Car la BCE ne prête pas aux États mais aux banques et la question n'est pas le coût de l'argent ou le manque de liquidités mais leur faible propension à jouer leur rôle et à utiliser leurs fonds pour répondre aux besoins des acteurs économiques, individus ou entreprises.
De son coté la CE a reculé la date à laquelle certains pays, dont la France, devraient être rentrés dans les clous et revenir en deçà des fameux 3% de déficit. Mais pouvait-elle faire autrement quand 23 des 27 pays de l'Union ne pourront pas respecter le pacte de stabilité en 2013 (Politis 02/05/13) ? Quand la France a reconnu qu'elle n'arriverait pas à ce résultat cette année ?
Il est vraisemblable que ces mesures ont bénéficié du tacite accord allemand traduisant une évolution discrète qui ne peut être assumée publiquement à 5 mois des élections. En tout cas, on n'a pas entendu de véhémente protestation de Berlin bien que Angela Merkel ait déclaré quelques jours auparavant que pour l'Allemagne le taux devrait être augmenté (Les Echos 27/04/13). Autre et récente évolution : le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble pourrait s'engager en faveur d'une mise en œuvre de l'Union bancaire sans demander une révision des traités comme il le faisait jusque là pour la différer (Les Échos 07/05/13).
Il semble que gouvernements et institutions européennes approchent d'un accord, lentement comme d'habitude, après l'élection allemande probablement. Pour tous, politique de rigueur et croissance sont indispensables. Pour l'Allemagne de Merkel, primauté de la diminution du coût du travail, des dépenses sociales. Pour la France de Hollande, éviter aux peuples l’accentuation d'une insupportable austérité, la rigueur n'étant possible qu'avec une reprise économique. Sans laquelle, la situation risque de devenir explosive et, en ce sens, les protestations sociales en France et dans les différents pays européens sont un appui indirect à François Hollande.
Les mesures de la BCE et de la CE, une certaine reprise avec baisse du chômage aux États-Unis et l'espoir d'un assouplissement du gouvernement allemand, dès aujourd'hui et peut-être plus demain quel que soit le résultat des élections, peuvent encourager François Hollande à persévérer dans sa politique de « tension amicale ».
Le choix de la « tension amicale », plutôt que de l'affrontement, au niveau européen peut s'expliquer par le tempérament de François Hollande et par l'appréciation du rapport de forces. Il y a un an, seul le gouvernement français a changé de majorité et les promesses du candidat n’engageaient pas les autres chefs d’État et de gouvernement. Même si la politique suivie jusque là n’entraînait pas d'amélioration et enfonçait les États « aidés » dans la crise et les peuples dans la souffrance.
Le rapport de forces entre gouvernements n'avait pas changé. Il n'est pas le même au niveau mondial avec les positions plus favorables à la relance du FMI ou des États-Unis, les gouvernements même de droite confrontés à des situations intenables, la colère des peuples... renforcent la position de Hollande. Face à l'entêtement idéologique de la droite allemande de Merkel
Mais le temps presse et Hollande ne peut rester les bras croisés en se satisfaisant des réformes qu'il a réussies à faire admettre et des évolutions lentes. Car la baisse du taux de la BCE, même judicieusement utilisée par les banques, la reprise aux États-Unis, même si elle se confirme, n'auront pas d'effet immédiat sur l'économie française et européenne. Ni sur le chômage et le niveau de vie. Des mesures sont nécessaires au niveau de l'économie nationale. Et plus encore de la politique nationale pour redonner l'espoir.
La politique de « tension amicale » a-t-elle le même avenir au niveau national. Rien n'est moins sûr. Pour le moment, elle a fait descendre dans la rue et la droite de droite et la gauche de gauche. On peut croire que, la loi sur le droit au mariage pour tous votée, la mobilisation va être plus difficile à maintenir.
Il n'est pas sûr que le compromis entre le Medef et les syndicats réformistes se traduise par une reprise rapide. Le gouvernement ne peut guère compter sur l'activité affichée des ministres de l'économie sociale et solidaire, du logement, du redressement productif pour faire patienter ceux qui se sentent abandonnés, trompés...
Le rapport de forces pouvait faire espérer un plus grand respect des promesses électorales. Car la gauche n'a jamais eu autant de pouvoir institutionnel en France. Le parti socialiste détient la majorité absolue, à lui seul, à l'Assemblée nationale, et avec ses alliés au Sénat. Il dirige la presque totalité des régions. Seules limites à son pouvoir, Il ne dispose pas, même avec l'aide de ses alliés, de la majorité qualifiée pour modifier la Constitution.
Rien ne l'empêche cependant de mener, par la loi, les réformes qu'il estime nécessaires et de tenir les promesses du candidat Hollande.
Toutes les promesses ne peuvent être tenues le lendemain de l'élection : quelques unes l'ont été durant la première année de gouvernement dont la plus bruyante a été le droit au mariage pour tous mais le gouvernement n'a pas profité de son immense pouvoir pour entreprendre les réformes fondamentales qui, sans être socialistes, auraient donné tout son sens à un gouvernement de gauche.
Ce qui est le plus inquiétant, c'est de voir avec quelle rapidité, François Hollande a reculé devant les groupes de pression. Exemples.
François Hollande affirmait « mon ennemi c'est la finance », « Je séparerai les activités des banques utiles à l’investissement de leurs opérations spéculatives ». Il a rapidement battu en retraite face aux banques. Cette réforme a été abandonnée. Certains s'en réjouissent ouvertement : « Le fantôme de Franklin Roosevelt étant devenu le guide de l’opinion publique, il est heureux que la guerre déclarée aux banques par le candidat Hollande se limite aux apparences, et que la réforme proposée par le gouvernement soit essentiellement inexistante » (Atlantico 08/02/13).
Dans la foulée, François Hollande qui voulait « faire payer les riches » a certes modifié la loi sur l'ISF qui n'est pas la loi la plus adaptée pour cela mais a annoncé une augmentation de la TVA, « sociale » et injuste sous Sarkozy et juste et socialiste sous Hollande ? Mais il a abandonné « la mère » des réformes, la réforme fiscale dont on pouvait penser qu'elle était toute prête dans les cartons du candidat. Elle avait été bien préparée par un petit livre remarquable « Pour une révolution fiscale »* paru il y a quelques années. Elle a été abandonnée.
François Hollande voulait lutter contre les inégalités et avait retenu le droit de vote des résidents étrangers non communautaires. Ce projet a été abandonné, faut de majorité « constitutionnelle ».
Mais pour lutter « contre le "délit de faciès " dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens », il disposait d'une large majorité. Il a cependant reculé dans « la mise en place d'un système de récépissé remis lors des contrôles de police, » annoncé par le Premier ministre et rapidement retiré à la demande de la police et de son ministre ! Pourtant, les expériences menées au Royaume-Uni, en Espagne et en Hongrie ont entraîné une diminution des discriminations et une plus grande efficacité des contrôles !
Si au niveau européen, François Hollande peut avoir le bénéfice du doute, au niveau national, sa « souplesse » malgré sa majorité au Parlement, lui a fait abandonner des réformes importantes.
Reste maintenant pour le gouvernement et le patronat, pas brillants jusqu'ici, à promouvoir une nouvelle politique industrielle et commerciale qui respecte et favorise la transition énergétique. Mais ceci est une autre histoire..
* Pour une révolution fiscale Camille Landais, Thomas Picketty, Emmanuel Saez http://www.revolution-fiscale.fr/Pour_une_revolution_fiscale.pdf