Il est parti le socialiste

par Elle S. Claës
mardi 6 janvier 2009

1988, réélection de François Mitterrand, humain ou extraterrestre couramment considéré comme le dernier grand représentant du parti socialiste. Cela fait vingt ans. Et depuis vingt ans, son ombre plane démesurée, belle et terrible, comme un rappel à l’ordre persistant du superviseur, visionnaire visant à ne jamais être perdu de vue. Cette ombre rappelle les hauteurs de l’aventure socialiste, sa grandiose Histoire, son Espérance, cette bleue déesse * à laquelle les plus grandes âmes de la pensée socialiste se sont converties, mais cette ombre ternit également l’éclat du quotidien qui peine tant depuis à voir le soleil. Depuis toutes ces années, l’ombre passe, repasse, et sœur Anne ne voit rien venir.

Vingt ans.

Le parti, lui, est beaucoup plus âgé. Son intention politique s’est fixée en 1905 sous la forme d’une union socialiste, il y a donc plus de cent ans, et n’a , à l’aube du XXIème siècle, plus grand chose de l’union. Pour les désœuvrés, il y a moyen de s’occuper extraordinairement en suivant au fil de l’eau les remous et autres mous léchant par vagues répétées et inlassables les pieds de l’identité socialiste depuis quelques décennies, et tout particulièrement depuis quelques semaines.

 Le thème socialiste inspire et échauffe les esprits, cela part dans tous les sens, comme les cheveux au réveil. À croire que le parti socialiste ne veuille radicalement pas se discipliner, et que sa tête s’avoue impuissante à rester bien coiffée. Remarquez, la tête semble être le nœud du problème. Et quand on parle de nœud, les fameuses leçons d’Alexandre le Grand reviennent à l’esprit. Mais enfin, des nœuds, il y en assez comme cela. Les têtes du PS sont tout à fait conscientes des problèmes qui gangrènent le parti ; elles savent, tentent, proposent, mais elles ne s’entendent pas, ne s’attendent pas, prises par l’urgence de réformes internes et la volonté de se démarquer. Tout le monde est d’accord, tout le monde fait preuve de bonne volonté, tous les ingrédients sont là, alors pourquoi le PS ne parvient-il pas à s’accorder ?

« Il y a la foi et il y a la volonté et il y a, au bout du compte, la liberté victorieuse dans la patrie réconciliée. »

François Mitterrand, contre l’investiture de De Gaulle, le 1er juin 1958.

Pour De Gaulle, Mitterrand, de tempérament droitiste coupant les cheveux en deux, était « le candidat des partis ». Entre les deux tours des présidentielles 1965, être le « candidat des partis » face à un monument humain, cela ne « manquait pas de sel » (paraphrase de l’homme apolitique parmi les hommes apolitiques, et parmi les gastronomes, Jacques Chirac). Le propos fut réitéré par Alain Poher, homme centriste s’il en est, et l’expression « candidat des partis » menace depuis de remonter sur le pont dès que le bateau tangue et voit apparaître une nouvelle figure de proue. Avec les années, à la lecture, à l’analyse, à l’écoute, à dieu va, nous en arrivons à l’assurance que les partis ne sont rien sans leurs visages de candidats charismatiques, et que ces visages n’ont besoin des partis que pour leur élection, ce qui n’en font que des partis pris, dixit notre président Mr Sarkozy. Le PS ne fait pas exception, il a besoin, envie d’une individualité qui rassemble mais ne trouve personne capable de s’imposer sans ambiguïté. Les mots “nouveau”, “élan” résonnent, les moyens ne suivent pas ; les esprits, tous les esprits semblent vouloir le changement sans avoir à rien toucher.

« Le Parti socialiste (PS) est un parti politique français de gauche

dont l’actuel Premier secrétaire est le maire de Lille, Martine Aubry. »

Première ligne de la page WIKIPEDIA du PS, ligne sujette à une guéguerre d’usure ces derniers jours (pour ceux qui ont le temps, l’historique est fort divertissant).

Ainsi même un parti comme le PS, si fort de son esprit clanique, historiquement servi par sa pensée collective, fracassera sa coque sur les récifs s’il n’y trouve pas rapidement une perle rare.

En réfléchissant à la stérilité actuelle du PS, imaginons l’avenir, une ère ca-rrrré-ment sans parti politique, dirigée d’humains forts en gueule, de toutes couleurs. Un Gandhi, même si l’exemple est excessif et difficile à sortir de son contexte, est un nom fort évocateur de cette ère supposée. Oui imaginons une France des futurs où les partis politiques, communément considérés en France comme la base du système démocratique**, disparaîtraient au bénéfice d’un soutien collectif décomplexé et organisé autour d’une entreprise individuelle, un soutien volontaire et choisi d’une forte personnalité capable et déterminée, dans le style d’un Mitterrand, le même qui a rassemblé le PS autour de lui en 1969, officiel âge de la majorité de la pensé socialiste. Dans cet avenir, peut-être imminent on l’ignore, la réussite politique serait une question de tempérance, l’une des quatre vertus cardinales avec la justice, la prudence et la force selon Aristote. En revenant à nos jours, le même Aristote, penseur de son état, s’amuserait certainement de notre début de siècle qui veut qu’en politique le ralliement à un parti soit une étape obligatoire, dont il est insensé de faire l’économie, à l’exemple de la guerre qu’a dû livrer Barack Obama contre Hillary Clinton pour pouvoir déclarer la même guerre contre McCain. Le grand Aristote s’égayerait autant à observer le si saisissant besoin des militants des puissances occidentales de se regrouper dans des limites marquées, besoin moderne (!) qui veut qu’avant de faire de la politique, il faille faire parti d’un parti politique. Même si ce même parti est sur le départ. Et même si tel est pris qui croyait prendre.

Enfin… Les mœurs évoluent, les crises au sein du PS en sont de possibles stigmates. Que sera donc le parti socialiste quand il ne sera plus un parti ? Cette lente évolution vers le non parti, si elle est effective, pourrait-elle être l’explication de son mal parti ? Ségolène, électron qui a la fâcheuse tendance à se détacher des objectifs moléculaires, violemment opposée dans les faits et par les votants à une robote intelligente, surnommée Terminator dans son fief du Nord, qui rassure les partisans les plus doctrinaires, n’est-ce pas tout à fait révélateur de la scission nucléaire des partis agonisants ? Et si tel est le cas, à quand l’explosion de l’UMP dont on commente déjà les timides frondes et autres divergences d’opinions ? Quoi qu’il en soit, et quoi que nous réserve l’avenir, l’actualité se prépare à être rock’n roll, pour le plus jubilatoire plaisir des petits et des grands.

Comme cet article, postons-nous. Ça va être marrant.


* ” … nous escomptons toujours le succès, nous autres amants de la bleue déesse, l’Espérance !”, citation tirée de la nouvelle “Gambara“, de Balzac.

** Ce qui revient à dire, ce que l’on sait depuis longtemps, que les quelques 200 000 adhérents avérés du PS (dans ses fortes estimations) représenteraient démocratiquement, en cas d’élection présidentielle, les quelques 62 000 000 de français.


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