Il faut se méfier des banques...
par Bruno de Larivière
lundi 15 mars 2010
Le numéro de mars du ’Monde Diplomatique’ lance une diatribe contre le néolibéralisme. Derrière la rhétorique pompeuse des auteurs, se glisse surtout une attaque convenue contre les puissances de l’argent. Celle-ci n’est ni originale, ni infondée. La question relève cependant plus du politique que de l’économique.
A Dubaï, Ibrahim Warde fait également le point [Dubaï a cédé]. Le récit des événements est synthétique. Il se clôt sur une interrogation. L’émirat d’Abu Dhabi a émis un emprunt pour secourir son voisin ruiné, en particulier le complexe de Dubai World. Mais nul ne sait si le (presque) sauvé devra rembourser la somme. Le prêt (don ?) a permis fin 2009 de payer 3,5 milliards de dollars d’obligations islamiques (sukuk), tout en couvrant les dépenses courantes jusqu’au printemps prochain. Mais le 4 avril, une fois inaugurée, la tour de huit cent vingt-huit mètres continuera à coûter cher. Les bureaux et logements se négocieront-ils au prix envisagé au début des années 2000, condition probable pour un équilibre financier du projet ? Depuis l’été 2008, le prix du baril a fléchi et plusieurs projets immobiliers ont été simplement abandonnés (Palm Islands). L’argent déçoit.
Serge Halimi sonne le clairon. Les banquiers sont des bandits de grand chemin. Encore épargnera-t-il ceux qui gèrent les comptes de particuliers. Pour acheter des logements défiscalisés, des voitures subventionnées ou des biens de consommation fabriqués en Asie, il tolère les prêteurs. Pour les professionnels des fonds spéculatifs, en revanche, Serge Halimi ne trouve pas de mots assez sévères. Mais l’éditorialiste ne précise guère les solutions de remplacement. Peut-on se passer des banques ? L’argent le révulse, et il prend pour le dire les mots de Barack Obama. « Comme la plupart des Américains, je ne médis pas du succès et de la fortune. Cela fait partie de l’économie de marché. » La condamnation de l’argent date d’avant le Monde Diplomatique, mais Serge Halimi se garde de dénoncer un matérialisme triomphant. Il ne condamne pas par exemple les publicitaires pousse-au-crime, c’est-à-dire à la consommation. Est-ce parce qu’ils financent la presse, y compris la plus hostile au néolibéralisme ?
De son côté, Frédéric Lordon réinterprète une thèse déjà recyclée, celle de la Stratégie du choc que seuls les Béotiens n’ont pas comprise. Naomi Klein dans son livre fait le procès du néolibéralisme, sans annoncer la fin du capitalisme [La fin du capitalisme attendra un peu]. Frédéric Lordon commence par instruire à charge : le contribuable a sorti de l’ornière les banquiers. Ceux-ci ont depuis versé leur écot, mais font mine de répéter les erreurs passées, tout en demandant avec toupet l’apurement des comptes publics. Frédéric Lordon omet de rappeler qu’il n’existait aucune alternative au sauvetage des banques, quoi qu’on pût en penser à l’époque. Passons. L’heure est aux coupes budgétaires. Sur ce point, il ne tourne pas autour du pot, et applique de froids calculs. Faute d’argent, l’Etat et les collectivités devront restreindre leurs dépenses. Au lieu de poser simplement la question des choix de politiques publiques, Frédéric Lordon botte en touche. On dénonce la tyrannie de l’économique, sans oser prononcer le mot politique.
Le coeur du problème se situe à ce niveau. « Les salariés du secteur public irlandais, à qui l’on a proposé des baisses nominales de salaire de l’ordre de 10 %, savent déjà à quoi s’en tenir ; pour le même motif, leurs homologues grecs sont promis à la même punition (avec en prime le chaleureux soutien de la Commission européenne) ; quant aux Français, ils mettront bientôt bout à bout la réforme des retraites, les projets de licenciement des fonctionnaires et l’idée (insensée) d’une constitutionnalisationde l’équilibre budgétaire pour avoir une vue plus claire de la destruction de l’Etat social qui les attend ; avec peut-être pour effet que, dans tous ces pays, rompant avec le prudent gradualisme des décennies antérieures, la violence concentrée inhérente au choc même ne laissera pas cette fois les corps sociaux sans réaction. »
Tout se mélange ici. L’exemple donné de l’Irlande – à confirmer – constituerait une base de discussion. Il illustrerait la propension de la haute administration à se préserver des effets de la crise en se défaussant sur la base : on ne peut en effet mettre au même niveau 10 % d’un gros salaire et 10 % d’un bas salaire. Dans un cas, la perte touche le budget chaussure de golf, dans l’autre le budget chaussure de ville. Faire payer à tous la facture, cela revient à refuser de hiérarchiser, c’est mettre au même niveau les dépenses de communication et les dépenses d’enseignement. Malheureusement, Frédéric Lordon opte pour un contre-choc mou : dire du mal de l’hebdomadaire The Economist parce que ce dernier plaide pour la diminution des déficits, s’émouvoir à l’évocation de la taxe Tobin, justifier la chasse aux traders au nom d’une sorte de droit au châtiment pour l’exemple. Et puis, le jour où le système craquera, le peuple se redressera pour châtier les vilains.
Un autre économiste a reçu pour charge d’incarner concrêtement le développement précédent. Laurent Cordonnier s’interroge. Un pays peut-il faire faillite ? Il s’agit bien entendu de la Grèce [El Zapatero]. Non, un pays ne peut faire faillite. Oui, Athènes pourrait s’en sortir en faisant payer les riches. Manque de chance, ceux-ci ne s’empressent pas à payer leurs impôts. L’argent fuit l’argent. L’Etat grec peut-il moins dépenser ? Laurent Cordonnier réplique que la France a d’ores et déjà précédé la Grèce dans cette voie. Cela étant, la baisse de la TVA pour la restauration ou le paquet fiscal ont fait perdre à l’Etat bien plus qu’il n’en a gagné à l’occasion de la diminution de la masse salariale. C’est une bonne illustration mais l’économiste se contente de l’image du cadeau aux riches. L’argent va à l’argent.
Pour sauver la Grèce, le lecteur découvrira ses deux recettes hétérodoxes. La première consiste à taxer les banques européennes pour renflouer les caisses publiques vides. Il faut prendre l’argent là où il est. « Mais une telle mesure (qu’il faut raisonnablement situer à l’extrême centre droit de l’échiquier politique) aurait en définitive peu de chances d’aboutir, pour une foule de raisons assez éloignées de la logique économique : procédé jugé inflationniste et donc incompatible ave l’orthodoxie monétaire ambiante ; réticence des rentiers face à la perspective de leur propre euthanasie ; divergences d’intérêts entre les pays du nord et du sud de l’Europe, etc. » Ainsi, les rentiers envoyés à l’abattoir ne s’enthousiasmeraient pas de cette mesure de salubrité publique ? Laurent Cordonnier propose une autre recette qui consiste à annuler purement et simplement la dette. Que n’y avait-on pas pensé plus tôt ? Il y aurait certes un avantage pour un Etat grec soudain soulagé de sa dette. Pressé cependant d’éviter un blocage en quelques jours du pays, le gouvernement emprunterait à 10 % ou à 15 % d’intérêt, là où auparavant il empruntait à 4 ou 5 % (simple ordre de grandeur donné ici au hasard). Les banquiers soudain diligents se chargeraient d’avancer les sommes. Evidemment, l’argent ne fait pas le bonheur, même s’il y contribue.
Je n’ai pour ma part aucune munition pour fusiller l’ultralibéralisme. Ma question porte seulement sur l’inconséquence de l’homme politique. Le maire d’une banlieue de Thionville attire justement à lui les feux de la rampe. Il demande de l’argent aux banques qui ont prêté de l’argent à sa commune : l’argent, toujours l’argent. En 2001, l’année de l’élection, 2,8 millions (de francs ?) sur 3 millions partent dans le remboursement de la dette. Mais dans la dernière décennie, la gestion semble ne guère s’améliorer à Terville. La chambre régionale des comptes pointe en 2006 des irrégularités dans la gestion. Ailleurs, le maire aurait demander des comptes à son prédécesseur. Ici, il se retourne contre la banque en réclamant des dommages et intérêts. Et la presse lui sert la soupe. En 2008, les habitants le réélisent triomphalement à 80 % [Le Monde]. La commune voit grand. Il y a des dépenses incompressibles, avec deux maternelles et deux écoles primaires [En pays briochin, les merveilles n’existent pas], les espaces verts et les associations. Mais Terville a aussi financé une grosse salle de concert (le 112), un quotidien municipal gratuit en papier glacé, une équipe de volley professionnelle (Terville-Florange), et enfin une équipe de footballeurs américains : les Gueules Jaunes [photo], à ne pas confondre avec les pièces jaunes, celles qui font tant défaut à la commune.
Décidément, il faut se méfier des banques…