Il n’y a plus de pensée de gauche
par Bernard Dugué
jeudi 29 octobre 2015
Entendue sur un plateau télé, cette incise de Eric Naulleau, sur l’absence d’une pensée de gauche excepté peut-être Michel Onfray. Un Naulleau commentant les mouvances réactionnaires tout en affichant son désarroi face à une société en manque de repères et surtout de solutions. Car le problème de l’analyse livrée par Onfray, c’est qu’elle est pertinente mais n’offre aucune solution, aucune porte de sortie pour résoudre les problèmes de société qui maintenant sont devenus récurrents, presque structurels, installés depuis deux, voire trois décennies. Cette musique, on l’a déjà entendue, jouée pour situer le Front national dont les analyses sont critiquées avec parfois la reconnaissance d’une pertinence dans l’énoncé des problèmes mais une absence totale de solutions. Nous voilà donc prévenus. Mis à part les bricolages réformistes proposés par les technocrates du PS ou de l’UMP, il n’y a pas de solution.
Comme dirait mon ami bouddhiste, s’il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème. Ce qui n’empêche pas les intellectuels de signaler des problèmes qui en fait, devraient être désignés comme maux de notre société contemporaine. Et cette fois, c’est beaucoup plus clair. Pas besoin de se prendre la tête. Onfray d’un côté, Finkielkraut de l’autre, analysent les maux du moment et donc, on peut dire qu’il y a une analyse de gauche et une analyse de droite. C’est comme en politique. Jean-Luc Mélenchon montre des problèmes avec un regard porté à très gauche et Marine Le Pen montre des problèmes, certains étant partagés avec la gauche et d’autres non, avec un regard porté très à droite.
Soyons clairs et lucides. Dans le jeu politicien, il n’y a pas de pensée de gauche car il n’y a tout simplement pas de pensée. Dans le jeu de droite, on ne peut pas déceler de pensée, ni au FN ni chez les Républicains. Tout ce qu’on trouve, ce sont des programmes, des réformes, des mesures. J’aime bien le mot mesure, il convient parfaitement à l’idéologie technocratique. Le gouvernement prend des mesures. Cette phrase ne veut rien dire, car prendre des mesures, c’est par exemple en confection utiliser des instruments comme un mètre et ensuite, procéder à l’élaboration d’un costume que l’on dira « fait sur mesure ». Le gouvernement ne fait jamais du sur mesure, sauf dans le cas de certaines personnalités triées sur le volet, par exemple un célèbre couturier à qui on a défalqué quelque imposition fiscale. Quand le gouvernement prend des mesures, il fait en réalité du prêt-à-porter (à supporter) pour la masse citoyenne. Et il explique cet ensemble de réformes en faisant de la pédagogie. En langage direct, cette pédagogie s’appelle du prêt-à-penser, ce qui signifie qu’il n’y a aucune pensée. Heidegger ne dirait pas le contraire.
Chez Finkielkraut, on peut voir en mouvement une pensée qui en vérité, apparaît sous sa vraie nature, la nostalgie et du reste, l’auteur s’en réclame et le revendique même. La nostalgie n’est ni de droite ni de gauche, tout comme la vengeance. La nostalgie est une pensée dirigée vers le passé. La pensée de gauche, pour autant qu’elle soit encore possible, se devrait d’être dirigée vers l’avenir. Car l’avenir se prête à penser alors que le présent technocratique est fondé sur un prêt à penser. L’avenir est un thème de gauche mais la gauche intellectuelle ne sait plus penser l’avenir, ou ce qu’on a désigné depuis deux ou trois siècles comme le progrès.
Le monde est comme un immense fleuve parfois capricieux mais qui reste canalisé dans les sillons techniques et idéologiques bien solides. Ce monde est fait de biens, de services, de partage mais aussi de beaucoup de maux. Ou bien on convient que le monde est achevé et que les maux sont inévitables eu égard aux choix idéologiques et technocratiques définis par les élites, acceptés plus ou moins par les peuples ; ou bien on pense un autre monde, ce qui signifie détourner le fleuve en lui construisant un autre lit.
Plus exactement, le progrès basé sur les idéologies des 18ème et 19ème siècles semble achevé, ce qui montre les limites de ces idéologies. Le grand triomphe de la modernité n’est pas tant que progrès social et humain que le colossal développement scientifique et technique avec des moyens cybernétiques sans précédent, dotés d’une puissance régulatrice énorme, sans oublier toutes les interfaces permettant connexions et communications. Dans ce monde gagné par les technologies et l’activisme du présent, une pensée de l’avenir n’est plus vraiment possible. La technique a tué le progrès.
C’est assez clair. Le progrès moderne a été balayé par le perfectionnement moderniste adossé aux sciences et techniques. La pensée est devenue impossible ou du moins, inaccessible sauf pour la minorité éclairée et lucide. Le plus terrible, ce n’est pas le deuil de la gauche mais le deuil de la pensée.