Ils n’ont rien compris

par Michel DROUET
mercredi 9 janvier 2019

Deux mois après le début du mouvement des gilets jaunes, si celui-ci semble être tiraillé entre plusieurs positions et en perte de vitesse, le gouvernement quant à lui, après la sidération, joue la surenchère sécuritaire.

Des gilets jaunes dispersés ?

Si les méthodes d’actions font débat, il semble que l’esprit revendicatif soit intact et s’enrichisse de semaine en semaine.

Parti d’une fronde sur le prix de l’essence, le mouvement questionne désormais la fiscalité dans sa globalité, la légitimité de la politique menée par le gouvernement, la représentation nationale et les élites en général.

Ce corpus revendicatif s’est enrichit au fil du temps jusqu’à réclamer une participation directe des citoyens à la prise de décision par le Référendum d’initiative citoyenne. C’est sans doute le fruit des échanges et des débats qui ont eu lieu sur les ronds-points mais aussi de l’adhésion de certains mouvements politiques qui ont su structurer la réflexion.

La récupération et l’instrumentalisation ne sont parfois pas loin et on notera que les vieux chevaux de retour de la politique et des « affaires » comme B. Tapie sont à la manœuvre et cherchent à orienter de manière opportuniste le mouvement vers un cadre politique classique afin qu’il soit digéré.

Toujours est-il que les gilets jaunes qui faisaient l’objet d’une ironie et d’un mépris à peine voilé de la part des commentateurs et des politiques sont regardés désormais d’une toute autre manière et surtout comme de dangereux adversaires potentiels de l’ordre économique que l’on veut nous imposer sous couvert de mondialisation heureuse.

Des politiques aux abois

Passons sur les partis d’opposition, sommés par le gouvernement de se rallier à sa cause ultra sécuritaire au nom de nos valeurs démocratiques et analysons d’un peu plus près les différentes postures adoptées en deux mois par la majorité en place.

Au début était le mépris, celui déjà exprimé par le Président de la République depuis le début de son mandat. Entre ceux qui ne sont rien, les illettrés, ceux qui ne traversaient pas la rue pour trouver du boulot et autres saillies du même genre on a eu le droit à toute la palette du mépris. Le relais a été vite pris par le porte-parole du gouvernement qui raillaient ceux qui clopaient et roulaient au diesel. Le cadre était ainsi posé et a conditionné les réactions du gouvernement.

Après les premières manifestations, la posture s’est quelque peu modifiée mais uniquement sur l’aspect répressif. On a alors parlé de nouvelle doctrine du maintien de l’ordre, sans donner de réponse au fond.

Il a fallu attendre le dix décembre pour voir un Président de la République visiblement crispé et mal à l’aise annoncer un timide « je vous ai compris » sans la prestance du glorieux inventeur de la formule, laquelle, on s’en apercevra plus tard, voulait dire quasiment le contraire de son sens premier.

Une lueur d’espoir est apparue courant décembre face au déclin du nombre de manifestations gilets jaunes. Cela a libéré la parole sécuritaire en vue de d’enterrer définitivement le mouvement, ce qui semble raté au vu du dernier samedi revendicatif.

Aujourd’hui, qu’en est-il ?

Face à la montée revendicative et à la grande diversité des demandes, Le monde politique, et en particulier la majorité, ne sait plus où il habite et s’inquiète.

Tout allait pourtant pour le mieux dans le monde néo libéral mis en musique notamment lors des trois derniers mandats présidentiels. Fauché en plein vol par la crise de 2008, Sarkozy n’a jamais pu s’en remettre et n’a pas pu aller au bout de ses « réformes » libérales. Hollande, qui avait promis de s’attaquer à son ennemi, la finance, a vite oublié sa promesse et a mis en place avec son CICE, une politique de l’offre qui fait très plaisir au Médef et aux actionnaires.

Instruit de ce succès qui n’avait pas fait de vagues et désireux d’aller plus loin, Macron, du haut de sa morgue, tout en faisant plaisir aux riches avec l’abandon de l’ISF a voulu planter le dernier clou dans le cercueil des revendications populaires mais s’est complètement raté.

Il a créé un monstre qu’il ne maîtrise plus, ce qui est très loin de faire plaisir au monde de la finance et à l’élite européenne autoproclamée. Voilà le problème. Il est vrai qu’à force d’abandonner mandat après mandat des parcelles de souveraineté au nom de l’ordre libéral on en arrive à être totalement inaudible à la fois des citoyens qu’on est censé représenter et du monde économique qui a de fait pris le pouvoir

Cela nous donne des séquences pathétiques où Macron demande gentiment aux entreprises de donner une prime de fin d’année à leurs salariés, aux banques de modérer leurs ardeurs vis-à-vis des frais bancaires et où la Ministre des transports sollicite les sociétés autoroutières pour faire une ristourne aux automobilistes. Tout un programme !

Le « pouvoir politique » en est réduit au rôle de médiateur de quartier.

L’ordre établi

La contestation, des quelques centimes d’euros sur l’essence, porte désormais sur le modèle de société dans lequel nous souhaitons vivre, et cela, pour nos « élites » c’est intolérable. Le modèle mondial n’est pas contestable et ce ne sont pas quelques histrions affublés des pires tares de la société aux dires des médias, qui peuvent faire la loi. Ils n’ont rien compris. L’époque est désormais à la diminution des droits sociaux et à l’augmentation des marges et des dividendes.

Les « décideurs » et les premiers de cordée ont décidé que rien n’était négociable et le Préfet Macron a été chargé de le faire savoir au petit peuple avec la manière forte, la répression.

On a beaucoup commenté dans les médias les débordements des gilets jaunes, un peu moins ceux de forces de l’ordre, qui il est vrai, bénéficient de la « violence légitime » tellement facile pour expliquer la brutalité d’un commandant de police décoré de la légion d’honneur, le gazage gratuit de manifestants pacifiques ou encore le balançage de grenades de désencerclement dans un défilé bon enfant par des motards zélés (victimes d’un lynchage selon les médias).

Voilà donc pourquoi la répression policière va continuer de s’abattre sur les récalcitrants dans les prochaines semaines et voilà pourquoi il est difficile de voir une issue du conflit tant les esprits sont echauffés.

Les politiques ne pensent plus, leur logiciel est éteint. Ils agissent à l’instinct. C’est le cerveau reptilien qui commande. Ils sont incapables de s’expliquer que les exploits pugilistiques d’un champion de France de boxe qui auraient suscité autrefois une désapprobation massive fassent l’objet d’un soutien affiché. Ils ne peuvent plus analyser les évènements. Ils sont comme une poule qui aurait trouvé un couteau. Ils ne verraient même plus une vache coincée dans un couloir

La fin d’un monde….

  


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