Images et corps politiques
par François Soulages
lundi 30 avril 2012
L’histoire d’un homme politique n’est souvent que l’histoire des images d’un corps politique.
Etant un pur enfant de la télé, n’ayant donc pas de culture classique, ce président avait une autre vision du corps politique que celle de Mitterrand : le corps du texte était remplacé par l’image du corps, le secret par une pseudo-transparence qui, en fait, était exhibition de parvenu - celui qui parvient au pouvoir, à l’argent, au sexe, bref à l’image. Parvenir était son éternel avenir.
Il voulait qu’on le regarde pour pouvoir se sentir exister et aimé. Il s’agitait perpétuellement, et ce, face à la télé, pour donner et avoir l’impression de construire : construire quoi ? peut-être son image. Hystériquement plus que narcissiquement, il travaillait l’image de son corps qui devait donner l’illusion qu’il était omniprésent, omnipotent, bref divin. Ubiquité du corps médiatique, plus performante que celle du Padre Pio. La réalité et le temps n’existaient plus, seuls régnaient l’image et le présent. Il ne mentait pas, il avait la sincérité naïve de l’instant. Il n’était pas dans la culture de la responsabilité, il ne répondait pas du passé dont il aurait dû être responsable, en particulier de son bilan. Il était non pas stratège mais tacticien, non pas réflexif mais réactif, non pas rationnel mais émotionnel, non pas intellectuel mais corporel.
Il faisait tout, et c’est normal, pour paraître plus grand qu’il n’était : faux talons, estrade, entourage de gens plus petits encore. Il n’est pas impossible que la petite taille de son premier ministre des affaires étrangères ait été un élément important pour le choix de cet homme qui ne lui fit, en conséquence, aucune ombre ; au contraire, l’épouse de ce dernier était une journaliste de cour devenue, au bout de 40 ans, une icône médiatique. La photo d’Eric Feferberg montrant président et ministre en short et tenue de sport à New-York accompagnait un article du Monde (4/10/07, p. 8) intitulé cruellement : « Les ministres d’ouverture sont en mal de valeur ajoutée » ! Images des corps politiques et médiatiques !
Il s’affichait décomplexé quant à l’argent, au pouvoir et au sexe. Marié trois fois, il ne cachait en rien ses amours : mieux, il en vivait, politiquement au moins ; c’était son meilleur bilan. Sa vie était un feuilleton télévisé qu’il mettait en scène et exploitait, épisode après épisode. Après avoir été quitté par sa deuxième épouse qui avait préféré rejoindre un véritable homme de communication, il décidait d’épouser un mannequin devenue chanteuse et surtout connue pour ses nombreuses liaisons people : son grand corps de princesse italienne était regardé et reconnu, de la mode aux variétés. Ainsi et à voix haute, il affirmait que son propre corps sexuel était sérieusement performant. Il faisait alors oublier l’image de son corps ordinaire par l’image peoplitique – célèbre dans la société du spectacle et de la marchandise – de celui de cette nouvelle conquête. L’image du corps médiatique de l’une magnifiait – rendait plus grande - celle du corps politique de l’autre, au point d’auréoler le corps médiatique invisible d’un divin enfant - nouvelle Sainte Famille recomposée.
Certes, il s’affichait en faisant du jogging ou du vélo, mais il lui manquait le corps guerrier sans lequel aucun grand n’est grand : lors de la guerre de Libye, un corps médiatique philosophique occulta même le corps politique présidentiel. Ne pouvant avoir ni l’image ni la force du corps de Poutine, il essayait de surpasser celles du corps du vieux Berlusconi, père de la télé vulgaire.
La médiatisation de son corps privé et de celui de ses divers épouses et enfants était donc au service de son corps politique. Son destin personnel politique était une réussite. Une réussite pour lui.
Ainsi, le corps d’un homme politique est massivement politique ; mieux, il désire l’être, il le revendique, car c’est le corps qui désire et revendique. Bien sûr, il y a les deux corps du roi théorisés par Kantorowicz : le corps terrestre et le corps politique, la double nature, humaine et souveraine… Il en était de même pour un autre président : lors de la Révolution culturelle, plus de deux milliards de ses portraits avaient été achetés en Chine au point qu’il y avait environ trois portraits de ce dictateur dans chaque famille, véritable icône d’un nouvel opium du peuple, réactivant vénération et soumission. Andy Warhol n’avait eu qu’à surfer sur cette dévotion pour les images des corps au pouvoir, et, ainsi, produire les portraits des corps des grands leaders du monde. Un pouvoir se mesure au nombre d’images diffusées du corps de son maître : la télévision et internet sont ses nouvelles armes.
Mais le corps de l’homme politique à l’ère de la démocratie et à l’aune de la république est-il, maintenant, obligé de fonctionner selon le même régime, celui de la confusion corps politique / corps médiatique / corps privé ? Ce mélange des genres est-il signe de petitesse ou de grandeur, de faiblesse ou de force ? Que ferait, de nos jours, un grand homme comme de Gaulle, dont se réclamait ce président ? Le statut d’un homme politique est-il tel aujourd’hui que, pour gagner une élection, il lui faille désirer l’érection d’une statue de son corps politique ?
« J’ai changé, j’ai changé », ne pourrait que répéter inlassablement un politicien qui voudrait être toujours à la même place et, donc, ne pas changer : un corps ne peut changer, il ne peut que vieillir. Une image aussi.
Photo de Bernard Kœst : La momie