Immigration : politique du chiffre = erreur de calcul

par fabrice chillet
vendredi 4 juillet 2008

Une semaine après l’incendie qui a ravagé le Centre de rétention administrative de Vincennes, Maître Abdel Alouani, avocat au barreau de Rouen, réagit. Il est actuellement en charge d’une partie des dossiers des hommes qui ont été transférés sur le CRA de Oissel, en Seine-Maritime.

Combien de personnes ont été transférées sur le Centre de rétention administrative de Oissel à la suite de l’incendie de Vincennes ?

Au total, ce sont 17 hommes qui ont été transférés de Vincennes à Oissel, dans la nuit du dimanche 22 au lundi 23 juin et qui sont arrivés entre 5h et 6h du matin. Une fois sur place, ils ont aussitôt été pris en charge par la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués). Dans la foulée, avec trois autres confrères spécialisés dans ce type d’affaires, nous avons été contactés et j’ai décidé de me rendre auprès des personnes retenues dès le lundi après-midi. Je voulais me rendre compte rapidement des conditions dans lesquelles ils se trouvaient. Certains d’entre eux disaient notamment qu’ils avaient été violentés par les services de police, au départ du transfert. En fait, au fil des jours, nous ne réussirons à identifier aucun élément concret en rapport avec ces témoignages.

Quels étaient les recours envisageables ?

Assez vite, mes confrères avocats et moi-même décidons d’une action commune parce que nous nous inquiétons de plusieurs choses : Comment les transférés ont-ils été traités ? Dans quelles conditions ont-ils été retenus dans l’intervalle entre l’incendie et leur départ ? Dans quelle condition le transfert a-t-il eu lieu ? Après examen des données, il est apparu que la procédure avait été suivie de manière carrée. Du reste, sur ces mêmes arguments juridiques, toutes les requêtes ont été rejetées sans audience à Lille, autre centre de transfert. Quant à Nîmes, sur 84 requêtes, six personnes ont été remises en liberté mais pour des raisons annexes.

De quelle raison annexe peut-il s’agir ?

Concrètement, j’ai obtenu moi-même une libération pour une personne qui était convoquée en cour d’appel lundi matin et qui du fait du transfert ne pouvait se rendre à cette audience. N’étant pas en mesure de profiter de cette voie de recours, la procédure était caduque. Il a été remis en liberté. Quoi qu’il en soit, au-delà de ces circonstances exceptionnelles, il faut admettre encore une fois que la gestion du transfert s’est organisée dans le respect du dans le cadre de la loi.

Le système a-t-il des failles néanmoins ?

En fait, ce que je dis clairement, c’est qu’il ne s’agit pas d’un problème d’application de droit mais d’un problème de cadre légal. On ne peut pas en vouloir aux juges de faire leur métier. Au départ, la réflexion doit se reporter sur la loi elle-même. Je ne remets pas en cause le fait que la France ait des règles en matière d’immigration. En revanche, je ne cautionne absolument pas la mise en musique de cette politique. Une mise en musique définitivement comptable !

A quoi faites-vous référence ?

Simplement, je ne pense pas, dans un état de droit, qu’il faille se féliciter voire s’enorgueillir du nombre de reconduites à la frontière. Le résultat de cette dérive chiffrée c’est qu’au bout du compte, tout le monde tire sur la corde : les policiers, les services de la préfecture, en particulier quand on sait que les préfets qui ne font pas leur chiffre se font taper sur les doigts.

Qu’est ce qui vous choque le plus ?

Il n’y a plus de traitement humain, au cas par cas, mais du traitement chiffré. Potentiellement, un étranger qui vient à la préfecture est un « reconduit à la frontière » de plus à pointer sur la liste des objectifs à réaliser. C’est un fonctionnement totalement déshumanisé qui aboutit même à une perversion de la société en dehors des instances administratives. Combien de fois ai-je trouvé des lettres de délation dans des dossiers que je traitais ? Ce sont les manifestations évidentes de la dérive de cette politique qui attise des comportements intolérables. Je parle d’employeurs qui confrontés aux revendications salariales de leurs employés sans papiers appellent les policiers pour les dénoncer. Je parle d’une jeune Camerounaise dénoncée par son beau-père qui ne supportait plus de la voir partager la vie du foyer. Je ne veux pas avoir de position dogmatique mais je constate que la politique d’immigration telle qu’elle est conduite aboutit à des décisions aberrantes comme des personnes qui n’osent pas se faire soigner par crainte d’être arrêtées.

Pourquoi avoir choisi de défendre cette cause ?

Je pense que pour l’essentiel des avocats qui comme moi ont décidé d’intervenir auprès des personnes en attente de reconduite à la frontière, les sans-papiers sont avant tout des sans-voix. Or, selon moi, la première fonction de l’avocat est précisément de porter une voix. Et j’ai décidé que, quel que soit le résultat de l’action engagée, je continuerai à porter ces voix.


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