Ingrid Betancourt, héroïne moderne aux origines mythiques

par jack mandon
mardi 8 juillet 2008

De naissance privilégiée, de condition bourgeoise, les fées, il faut le reconnaître, se penchèrent sur son berceau.

Mais où est-il écrit que les belles âmes sont toujours issues du tout-venant... La vraie responsabilité pour un être humain réside dans la culture et le développement de sa destinée, selon des valeurs qui lui sont personnelles. Sa force réside dans la capacité à l’indépendance de cœur et d’esprit avec un grand souci d’éthique et de liberté d’action. Tout le reste est littérature pour alimenter les projections de tous les autres qui n’osent pas exister et qui s’inventent de maigres alibis... Nous sommes tous responsables de notre destin.

Jusqu’à sa vie estudiantine et un peu après, tout semblait conforme, les influences culturelles et sociales furent heureuses et formatrices.

Dans ce monde occidental, règnent la performance et la réussite, la beauté et le charisme, l’éloquence et la bienséance, la passion, l’orgueil, l’amour-propre et la dignité. Les sciences politiques furent son credo dans le chapitre des sentiments et des idées, des valeurs et des aspirations.

Et cela, en conformité avec le cadre familial et social qui l’avait vu naître.

Seulement Ingrid, c’est aussi l’histoire précolombienne aux accents hispaniques de puissance et de feu, la fusion entre une vieille civilisation et la force, la détermination et la violence de conquérants venus d’Europe.

Il est naturel que la politique ait pris racine dans cet esprit combatif et qu’Ingrid s’investisse courageusement dans les affaires de son pays et assume dans son jeune âge son rôle de sénatrice dans une forme active où la générosité de cœur présidait à tous ses engagements.

Cependant, elle n’avait que peu de crédit avant l’événement spectaculaire de son enlèvement...1 à 2 % dans les sondages pour une éventuelle présidentielle. Le machisme ambiant, les démons de toujours...

Quelques jours avant ce fait qui parcourut la planète entière comme une traînée de poudre, Ingrid investit son premier grand personnage mythique duquel elle chaussa inconsciente, courageuse et folle, l’armure de chevalier. Elle devint cervantesque, en conformité avec les plus idéalistes de ses ancêtres ibériques. Elle rencontra ses futurs bourreaux, des moulins hors du commun, les Farc, neuf jours avant son enlèvement, des narcotrafiquants ô combien dangereux, dont Raoul Reyes, le chef en second, maintenant en enfer, Lucifer le protège et le garde. Autour d’une table, elle affronta ces personnages avec une détermination que l’on ne rencontre que chez les êtres qui se déplacent dans les pas des héros celtes au walhalla de Wotan...

C’est peut-être simplement la juste attitude d’une femme en politique qui parle avec son cœur, animée d’une conviction parfois déconcertante... Cherchez pas, pauvres mecs, apprentis journalistes, jouisseurs de médiocrité potinière, vous êtes largués, le cœur, ce n’est pas votre truc, vous c’est la raison... et encore c’est à prouver.

Son enlèvement fut le fruit de son imprudence, de son goût pour la provocation, et la nuit se replia sur son enveloppe, sa présence physique. La forêt amazonienne engloutit son image et fit émerger son icône qui se répandit par le monde et s’inscrivit très vite sur les frontons des édifices représentatifs de la démocratie et de la liberté. Sa présence se grava spirituellement au fond des consciences humaines et la vie s’organisa sans que jamais le cordon ombilical ne soit rompu et l’abandonne à cette vie en forme de mort.

Selon de nombreux observateurs, sa dimension emblématique prit forme à partir de cet instant. Tel le modèle homérique de l’odyssée, de son prédécesseur masculin, elle partit pour un long voyage mystérieux, loin des siens. En ce qui concerne Ulysse, on en parle encore, c’est un juste modèle. L’inspiration fut inconsciemment au rendez-vous.

Le Voyage au bout de la nuit, mais sans l’humour Célinien.

L’aventure écologique, la verdure à profusion, avec ses habitants les plus spectaculaires pour une militante anti-corruption, tant il est vrai qu’au cœur de la vie originelle pendant la descente aux enfers, la corruption s’efface définitivement pour faire place à la survie.

Chez un être au caractère bien trempé, c’est l’expérience initiatique qui nous conforte dans l’idée que la motivation, les projets et la foi sont la nourriture essentielle aux destins exceptionnels.

Telle ne fut pas notre surprise de découvrir une femme fraîche, souriante euphorique, qui, pendant un instant très court, nous confondit en questionnements nombreux... et le doute même s’insinua.

Bien sûr, les femmes ont aussi des petits secrets, même farouches combattantes, elles cultivent toujours l’art de séduire et de surprendre. Là, elles deviennent absolument redoutables.

Une démonstration de ferveur, à la descente de l’avion, sur l’aéroport de Bogotá, souligne le caractère fervent et quasi prophétique d’une femme politique aux solides projets, à l’intacte volonté de poursuivre sa destinée.

Que n’a-t-on pas raconté d’insultant et de désobligeant, la médiocrité à la dent longue et l’esprit étriqué.

Plus amicalement, mais aussi dans l’humour, on évoque la métamorphose de Jeanne d’Arc en mère de Jésus. Ce n’est pas sans surprendre, tant la justice et l’amour viennent à manquer cruellement à l’humanité, c’est bien là une attente généralisée qui défie toutes les différences.

La voici maintenant dans un nouveau départ, fragile, menue, mais déterminée. L’icône va redescendre de son piédestal pour affronter la politique au quotidien, les puissances de la corruption, les narcotrafiquants... Le système capitaliste, même larvé, demeure la bête immonde qui rôde au cœur de l’homme, avec pour seul opposant la violence révolutionnaire en miroir, fidèle et implacable et tellement proche, dans sa brutalité, du modèle à restaurer. C’est bien là une affaire de courage héroïque, d’espérance et de ferveur, et tous les mythes antiques, théoriciens et tacticiens modernes, politiques, culturels et religieux, sont au rendez-vous pour servir le destin d’Ingrid Betancourt, cela suffira-t-il ? C’est une question de foi.


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