Interdiction de la burqa : l’incroyable hypocrisie des députés français

par Douglas Barr
mercredi 14 juillet 2010

Nos députés nous ont ostensiblement montré leur détermination à combattre le voile intégral, en votant ce mardi à l’Assemblée nationale son interdiction générale... à peine trois semaines après que leurs homologues - français - du Conseil de l’Europe aient montré, avec beaucoup moins de médiatisation, toute leur détermination à combattre cette interdiction !

Le projet de loi destiné à interdire le port du voile intégral dans l’espace public a été adopté mardi 13 juillet par l’Assemblée nationale. Le texte a été voté par 335 voix pour (principalement UMP et Nouveau Centre) et une voix contre (celle de Daniel Garrigue, membre de République solidaire, le nouveau parti de Dominique de Villepin). Pour l’essentiel, la gauche (PS, Parti de Gauche, PC, Verts) a refusé de participer au vote. Seuls dix-huit élus socialistes, ainsi que le communiste André Gerin et Jacques Desallangre, du Parti de Gauche, ont voté en faveur du texte. Yvette Roudy, l’ancienne ministre aux Droits de la femme de François Mitterrand, a d’ailleurs fait part de sa consternation, se disant "stupéfaite" de la faiblesse des socialistes.

Le projet de loi prévoit d’interdire la burqa et le niqab sur les "voies publiques", c’est-à-dire dans la rue, ainsi que dans les "lieux ouverts au public ou affecté à un service public". L’article 1 stipule que "nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage". Le texte prévoit une amende de 150 euros, à laquelle pourra s’ajouter ou se substituer un "stage de citoyenneté".

En votant le texte, le groupe UMP "dit non à la résignation, non aux pratiques obscurantistes, non à l’oppression", a clamé la députée des Ardennes Bérengère Poletti, lors des explications de vote. "Ce texte honorera celles et ceux qui ont choisi de défendre les valeurs de la République".
 
Double discours
 
Tout cela est fort beau. L’ennui, c’est que nos députés français, non plus à l’Assemblée nationale, mais au Conseil de l’Europe, ont voté unanimement contre l’interdiction de la burqa !
 
Le 23 juin 2010, à Strasbourg, dans une résolution sur la lutte contre l’islamisme et l’islamophobie, le Conseil de l’Europe recommande aux 47 États membres concernés, dont la France, de ne pas recourir à l’interdiction du voile intégral : "L’interdiction générale du port de la burqa et du niqab dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de couvrir leur visage", affirme la résolution adoptée par 108 voix, dont celles des Français, et quatre abstentions.
 
Les parlementaires européens justifient leur position par la nécessité d’intégration des femmes musulmanes dans les sociétés européennes : "[L’interdiction de la burqa] pousserait les familles et la communauté à faire pression sur les femmes musulmanes pour qu’elles restent chez elles et se limitent à entretenir des contacts avec d’autres femmes". La résolution affirme d’ailleurs clairement : "Les musulmans sont chez eux en Europe, où ils sont présents depuis des siècles".
 
Le Conseil de l’Europe spécifie tout de même que "les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent être justifiées pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage".
 
Nous avons donc des parlementaires français qui, au Conseil de l’Europe, votent le 23 juin, à l’unanimité, contre l’interdiction du voile intégral, et qui, à l’Assemblée nationale, votent le 13 juillet, sans opposition, pour l’interdiction de ce même voile intégral ! On se demande en particulier à quoi peuvent bien jouer les députés UMP dans cette mise en scène, ce que peut bien signifier leur discordance aux plans national et européen...
 
Vers une abrogation du vote suisse
 
Dans cette même résolution du Conseil de l’Europe du 23 juin, il est à noter que les parlementaires ont demandé à la Suisse d’abroger l’interdiction de construire des minarets, décidée lors d’une votation populaire le 29 novembre 2009, jugeant que cela était discriminatoire pour les musulmans. Ils incitent la Confédération "d’adopter un moratoire sur son interdiction générale de construction des minarets" et "d’abroger l’interdiction dès que possible car elle discrimine des communautés musulmanes". On se souvient que c’est le souhait qu’avait émis l’eurodéputé Vert Daniel Cohn-Bendit dans un débat houleux face à Oskar Freysinger :
 
 
"La construction des minarets doit être possible, au même titre que celle des clochers, dans le respect des conditions de sécurité publique et d’urbanisme" précise le texte adopté par le Conseil de l’Europe.
 
Identités
 
Pour revenir à l’interdiction du port du niqab dans l’espace public, votée hier par l’Assemblée nationale, elle a été fermement condamnée par Amnesty International, mouvement pourtant censé défendre les droits humains : "Amnesty International mène de front sa mission de recherche et d’action pour prévenir et empêcher les graves atteintes aux droits de l’intégrité physique et mentale, à la liberté de conscience et d’expression et prévenir toute forme de discrimination". Une femme qui se camoufle de la tête aux pieds, jusqu’au visage, ne s’auto-discrimine pas selon Amnesty... "L’interdiction totale de se couvrir le visage constituerait une violation de la liberté d’expression et de religion des femmes portant la burqa ou le niqab comme un signe d’identité ou de foi", écrit l’organisation dans un communiqué. On croit rêver, en voyant les défenseurs des droits de l’homme définir la burqa, cette négation radicale de la personne, comme un signe d’identité...
 
"De façon générale, la liberté d’expression et de religion stipule que chacun est libre de choisir ce qu’il veut porter ou ce qu’il ne veut pas porter. Ce droit ne saurait être limité au seul motif que certains - y compris une majorité - jugent un vêtement inapproprié ou offensant", poursuit Amnesty International, qui accorde à l’individu tous les droits au détriment de la société et de sa cohésion interne. Exit la notion de coutume. De poussiéreux philosophes (Montaigne, Pascal, Descartes) disaient jadis que la règle des règles, c’était de suivre la coutume du pays où l’on était né. Vieillerie à jeter aux orties pour Amnesty... mais néanmoins reprise par un célèbre polémiste ("A Rome, fais comme les Romains") :
 
 
Nos députés et nos associations "humanistes", obsédés aujourd’hui par ce qu’ils appellent "l’islamophobie" et qu’ils assimilent à du racisme, devraient peut-être lire ou relire Claude Lévi-Strauss, humaniste authentique et lucide, qui ne faisait pas du "vivre ensemble" abstrait la règle d’or des sociétés humaines, conscient que pour que chacune d’entre elles persévère dans son identité singulière, il lui fallait une dose d’imperméabilité aux autres :
« […] je m’insurge contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme défini au sens strict et des attitudes normales, légitimes même, et en tout cas inévitables. Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus, de quelque façon qu’on le définisse, l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs. Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au-dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. Si comme je l’ai écrit ailleurs, il existe entre les sociétés humaines un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent non plus descendre sans danger, on doit reconnaître que cette diversité résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi ; elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais, pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports, persiste entre elles une certaine imperméabilité. »
 
Le Regard éloigné (1983)
 
Un relativiste (nourri de Lévi-Strauss) pourrait sans doute accepter la burqa... en Afghanistan et au Pakistan, si c’est là-bas une coutume établie, car aucun usage n’est intrinsèquement supérieur aux autres. Mais il ne l’accepterait pas en France et en Europe, où elle n’a jamais eu sa place et où elle choque la majorité. N’en déplaise à Amnesty International, c’est une raison suffisante pour l’interdire, sans débat (Aldo Sterone, cité à la fin de mon précédent article, a raison sur ce point : le débat est déjà de trop sur un tel sujet).

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