« Jamais sans mon département » : le ridicule ne tue pas

par La Courgette
lundi 11 août 2008

Le gouvernement planifie, depuis 2005, la suppression du numéro de département sur les plaques d’immatriculation. Tout le monde est au courant, et cette modification anecdotique était censée se dérouler sans anicroche. C’était sans compter sur l’esprit de clocher revanchard d’irréductibles députés.

Le collectif « Jamais sans mon département » n’en démord pas : non, non et renon, il ne veut pas que les numéros de département disparaissent des plaques d’immatriculation de nos chères automobiles. Ce jeudi, il a même présenté à l’Assemblée un nouveau modèle de plaque, qui inclut, comme avant, le numéro du département, bien en évidence à droite.

Alors, pourquoi ? Qu’est-ce qui dans ce projet, selon ces lumineux parlementaires, justifie une telle montée au créneau ? C’est une partie de notre histoire qui disparaît, disent les uns ; nous perdons un système que nous avons hérité de la Révolution. C’est une partie de notre identité, disent les autres : notre département, c’est un peu nous. Mais en fait, rien de vraiment concret, rien de clair, sinon une vague idée de « c’était mieux avant ». Car finalement, qui se soucie vraiment de son numéro de département ? Les seuls souvenirs qu’en ont la plupart des Français, ce sont des heures douloureuses à tenter d’apprendre leur nom, leur situation géographique, leur chef-lieu et leur numéro (qui, soit dit en passant, a toujours été attribué par ordre alphabétique, qui constitue la négation identitaire par excellence). Et c’est cette indication impersonnelle, ce numéro, en fait ce code, que ces députés et sénateurs voudraient à tout prix conserver sur le morceau de métal que l’on fixe sur sa voiture.

Un sondage de l’Ifop que le collectif, un brin naïf, publie sur son site même, indique que « 71 % des Français se déclarent opposés au projet du gouvernement de supprimer les plaques d’immatriculation par département au profit d’une plaque unique à vie ». Parmi les raisons invoquées, on peut notamment citer celles-ci :

- 38 % jugent la mention du département « utile pour identifier et reconnaître les autres et organiser des jeux avec les enfants » ;


- 33 % semblent attachés au numéro « pour le symbole ».

Si la deuxième catégorie paraît simplement « bêtement » réactionnaire, la première est absolument ahurissante de volonté ségrégationniste. Non, Monsieur, mes enfants ne joueront pas avec des enfants d’un autre département, moi-même je suis du 72 et il n’est pas question que j’adresse la parole à un 53. De deux choses l’une, soit les gens ne se rendent pas compte de ce qu’ils racontent aux sondeurs, soit, s’ils le pensent vraiment, la disparition des plaques sera une bénédiction pour tout le monde.

Je précise, enfin, que la mesure prévoit que le numéro de département pourra être conservé sur les plaques, en plus petit et assorti du logo régional, sur la base du volontariat. Libre à chacun ensuite de conserver ou pas son petit symbole identitaire. Ce contre quoi s’élève le collectif, c’est donc bien la création d’une liberté, si dérisoire soit-elle, qu’actuellement nous n’avons pas : voyager sur les routes de France sans que tout le monde puisse voir d’où l’on vient. Je ne parle pas au passage des discriminations stupides dont sont victimes les immatriculés parisiens à Marseille ou vice versa, les honnêtes gens du 93 qui vont passer leur week-end à la campagne, et de tous les comportements identitaires stupides que la France peut compter, naturellement démultipliés par la conduite d’une voiture.

Bref, le combat contre la disparition du numéro de département semble être une résistance face à pas grand-chose qui repose sur une idéologie vide avec des relents réacs un brin ridicules.

En revanche, il n’est pas difficile de trouver d’autres raisons pour être contre. Celle-là sont beaucoup moins avouables.

1) Tout d’abord, le numéro d’immatriculation est la partie la plus visible du département, et la seule qui apparaisse dans la vie de tous les jours. Qui aujourd’hui est au courant du nom du président de son Conseil général ? Qui connaît ses compétences, et qui est capable, sans se renseigner, de démêler l’imbroglio des actions régionales et départementales ? Peu de monde. Le département, on ne semble finalement se rendre compte qu’il existe que quand son numéro disparaît de la voiture. Etrange. De ce fait, la suppression du numéro des plaques apparaît, à tort ou à raison (sûrement à raison) comme la première étape du processus de disparition de l’échelon administratif départemental. Alors, il n’est pas question ici de faire un point sur les avantages et inconvénients de la mesure, mais ce qui est certain c’est qu’elle entraînera une diminution mathématique du nombre d’élus. Et donc, ces élus ne sont pas contents.

2) Une majorité de Français, disent les sondages, est contre la disparition des plaques. Peu importe que, même parmi ceux qui ont répondu qu’ils étaient contre, il y en ait beaucoup qui s’en fichent peu ou prou. Peu importe aussi que leur opinion repose sur de très mauvaises raisons. Le fait est qu’ils sont contre, un point c’est tout. Alors, c’est bon de pouvoir prendre à bras-le-corps un problème aussi épineux et primordial pour se faire bien voir. Dans un monde où le pouvoir économique dirige tout, où le seul moyen pour un député de faire changer les choses est de faire une grève de la faim, il est presque jouissif de pouvoir enfin s’attaquer à un problème à la mesure de son pouvoir : ridicule. Pas de moyen de peser sur la répression en Chine, sur la guerre en Ossétie ou la famine en Afrique ? Ce n’est pas grave, nous pouvons aussi agir à notre échelle et au moins empêcher que le numéro de département disparaisse des plaques d’immatriculation. Après tout, cette mesure a été lancée pour des raisons économiques, donc mauvaises, les gens sont donc contre et si ça se trouve, là au moins, on peut peser dans la balance et devenir populaire : profitons-en.

Je me demande comment j’arriverai à vivre demain, sans mon beau « 59 » inscrit en lettres de feu sur ma vieille guimbarde. Et si les odieux m’empêchaient même de mettre mon petit beffroi sur ma plaque d’immatriculation ? Je me vois déjà en train de crier en Ch’ti sur les aires d’autoroute pour tenter de trouver des amis.

Heureusement, le ridicule ne tue pas. Certains parlementaires nous le prouvent tous les jours.


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