Jean Jaurés aurait-il mérité la Bourse au mérite ?

par Ser Neithan
samedi 2 août 2014

A l’occasion du centenaire de la mort de Jean Jaurés, et de l’annonce récente par le gouvernement socialiste de supprimer les bourses accordés aux étudiants méritants, il est peut-être temps de s’interroger sur la valeur de la méritocratie dans notre République.

Parmi les valeurs les mieux ancrées dans notre tradition républicaine, et que nous devons à l’histoire de la IIIe République, il y a celle de mérite. La reconnaissance du mérite est essentielle à l’existence même d’une démocratie républicaine. Elle fait en sorte qu’on donne à chacun, même au plus modeste de la nation, la chance de se démarquer par la seule valeur de son travail et de ses qualités individuelles. Elle permet l’excellence pour tous ; car si l’excellence n’est pas possible pour tous, alors c’est une aristocratie qui s’installe, et la démocratie est fragilisée.

S’il en est un qui encourage l’excellence et le dépassement de soi, c’est bien le système éducatif français. Notre culture du concours, nos classes préparatoires uniques au monde, nos grandes écoles et nos universités reconnues en Europe et dans le monde, tout cela nous rappelle que l’excellence française n’est pas un mot creux. La France n’a pas à rougir de ses réussites. Elles permettent la vitalité de notre pays, le renouvellement et la compétitivité de nos atouts, ce qui est nécessaire plus que jamais.

L’excellence est louable, et la reconnaissance du mérite est nécessaire pour qu’elle ait un sens dans notre démocratie. Voilà un beau principe, mais tout cela ne signifie rien si l’on ne passe pas du concept à la pratique. C’est le rôle de l’Etat de prendre des mesures afin de mettre la réalité en adéquation avec ses grands principes, afin qu’il se perpétue sa raison d’être. L’une des mesures dont nous pouvions être fiers, c’était l’Aide au mérite, instaurée en 2009 sous le ministère de Valérie Pécresse. Elle consistait en une bourse mensuelle de 200€ versée pendant 9 mois. Elle récompensait les plus méritants, c’est-à-dire les bacheliers titulaires d’une mention Très Bien et les meilleurs diplômés de licence ; elle récompensait les plus modestes, parce que ces étudiants ou futurs étudiants étaient d’abord éligibles aux critères sociaux. Cette suppression tacle les ambitions des plus démunis. Cette bourse devait leur donner le moyen en allégeant leurs contraintes financières de réussir à nouveau au sein d’études supérieures souvent difficiles et prestigieuses

Qu’est-ce qu’un étudiant qui a du potentiel, si on ne lui permet pas de l’exploiter ? Qu’aurait été Albert Camus, fils d’une femme de ménage et orphelin d’un père tué dans la Grande Guerre, s’il n’avait été reconnu par son professeur Louis Germain qui lui donnait des cours particuliers ? Qu’aurait-il été si on ne lui avait pas donné de bourse ni poussé vers le dépassement de soi ? Il n’aurait pas honoré la culture française de son œuvre philosophique et littéraire immense, mais pis que cela, jamais « ceux qui subissent l’histoire », « le prisonnier inconnu abandonné à l’humiliation à l’autre bout du monde »1 n’auraient trouvé en lui un défenseur. L’intellectuel, c’est-à-dire celui qui s’engage, n’est rien s’il n’a pas la renommée de son métier et l’appui de son œuvre, car celle-ci commence sur des cahiers et des brouillons d’école.

Il n’y aurait eu personne à Carmaux en 1892 pour défendre les droits des mineurs et rétablir le maire-syndicaliste Calvignac, personne pour fonder le socialisme français : car Jaurés, fils de paysan tarnais, lauréat du concours général, khâgneux, normalien, est un enfant de la République. Comment sinon par la voie de l’excellence trouver ceux qui, regardant toujours vers l’avant, sauront être à la pointe du progrès humain ?

Des grands hommes issus des milieux modestes, il y en a bien d’autres qui n’ont pas leur nom dans les pages de l’histoire. Scientifiques, penseurs, professeurs, ingénieurs, travailleurs de toutes sortes, ils n’étaient pas favorisés à l’origine mais ont trouvé leur épanouissement dans l’école de la République, démocratique et méritocratique. Par leur goût de l’effort, par leur mérite, ils ont fait exception.

 

La bourse au mérite était l’une de ces choses, petites par leur nature, mais grandes par leur portée, qui permettait à ces hommes de ne plus faire exception. En rendant l’excellence possible pour tous, elle favorisait la mixité sociale au sein des élites, leur renouvellement, et la bonne santé de notre démocratie. Elle mettait chaque année 30 7002 étudiants à l’abri des difficultés de la vie quotidienne, offrant l’ascenseur social à ceux qui auraient dû prendre les marches. Elle empêchait nombre de futurs talents d’être gâchés par le découragement qu’infligent la barrière sociale et les obstacles financiers rencontrés par tout un chacun qui veut faire des études prestigieuses, alors qu’il n’y est pas prédestiné.

 

Tout cela est au prétérit, mais un certain nombre de jeunes n’y croit pas et s’est mobilisé sur les réseaux sociaux, autour du mouvement « Touche pas à ma bourse, je la mérite ». Ils ont récolté le soutien de 2500 pétitionnaires et d’une quinzaine d’élus, en utilisant tous les moyens mis à disposition des jeunes qui veulent faire entendre leur voix.

 

Christopher Rigollet, étudiant et bachelier 2014.

La page Facebook : https://www.facebook.com/bourseaumerite?fref=ts

1. Discours de réception du prix Nobel de littérature, 10 décembre 1957.

2. CNOUS, Rapport de gestion 2014, http://www.cnous.fr/wp-content/uploads/2013/12/Rapport-de-gestion-2014-PDF-print-BDEF.pdf     


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