Jean-Luc Mélenchon : Autopsie d’un Procès Médiatique

par Yves Guéchi
mercredi 4 juin 2025

Derrière les témoignages anonymes et les raccourcis émotionnels, La Meute prétend lever le voile sur la personnalité de Jean-Luc Mélenchon. Mais ce livre-enquête, qui se revendique du journalisme d’investigation, trahit moins les secrets d’un leader politique que les obsessions d’un certain milieu médiatique. Enquête sur une enquête.

Censé faire la lumière sur les zones d’ombre de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise, La Meute de Valentine Pérou et Thomas Belaïch se présente comme une fresque de témoignages-chocs, dont l’essentiel est livré sous le sceau de l’anonymat. Deux cents voix, souvent dissonantes, parfois redondantes, mais rarement contextualisées. Derrière l’accumulation, l’effet d’ensemble l’emporte sur la rigueur. Et ce que l’on devine au fil des pages n’est pas tant le portrait d’un homme que le procès d’une figure politique devenue gênante.

Un tribunal sans visages

C’est là le paradoxe fondamental de l’ouvrage. En prétendant « donner la parole », il la retire aussitôt. La majorité des témoignages sont anonymes, livrés sans indication claire de temps ni de rôle dans l’organisation. Qui parle ? Pourquoi maintenant ? Et dans quel contexte ? Cette absence de précision affaiblit considérablement la portée de ces « révélations », parfois graves, souvent banales. Car sans visage, une parole devient opinion ; sans faits, elle devient rumeur.

Le procédé rappelle moins l’investigation que le théâtre d’ombres. Et c’est sur ce terrain trouble que les auteurs mènent leur attaque : entre insinuations, raccourcis historiques et surinvestissement émotionnel. L’un des chapitres les plus marquants cite une scène de meeting en 2022 où Mélenchon aurait lancé « Feu sur le quartier général ! », slogan révolutionnaire chinois censé illustrer sa dérive autoritaire. Sauf que la phrase date de 2002 et fut prononcée au sein du Parti socialiste. Fact-checking : 1, La Meute : 0.

Des opposants aux agendas divergents

Qui sont les voix qui nourrissent La Meute ? Pour une part, d’anciens compagnons de route – Corbière, Garrido, Autain, Kuzmanovic – dont la rupture avec Mélenchon tient souvent autant de la divergence politique que de la blessure personnelle. On les appelle « les purgés ». Leur rancœur s’exprime, mais les auteurs évitent de creuser les causes véritables de leur départ. Ont-ils été trahis ou ont-ils trahi ? Aucune piste n’est explorée.

On retrouve également des figures plus ambiguës, comme Georges Kuzmanovic ou François Cocq, aujourd’hui ralliés à une ligne souverainiste flirtant avec l’extrême-droite. Que valent alors leurs critiques de gauche sur Mélenchon ? La question n’est jamais posée.

Quand le journalisme bascule dans le voyeurisme

Au fil des pages, l’enquête tourne à la chronique psychologique. La personnalité de Mélenchon y est disséquée comme un objet clinique : colérique, autoritaire, méfiant, paternaliste. Un homme de convictions, transformé ici en autocrate pathologique. Et lorsqu’il ne s’agit pas directement de lui, l’attaque se déporte sur son entourage – à commencer par Sophia Chikirou.

Présentée comme influente, autoritaire, manipulatrice, Chikirou devient le fil rouge d’une intrigue secondaire où se mêlent affaires judiciaires, rivalités internes et soupçons de favoritisme. Or, les faits rapportés sont anciens, non jugés, parfois démentis. Et surtout : sa parole est absente. Les auteurs s’abstiennent de toute démarche équilibrée, comme si le contrepoint risquait de briser le récit.

La question n’est plus alors : que s’est-il réellement passé ? Mais bien : pourquoi le raconter ainsi ?

Une critique politique sans politique

Plus grave encore : la dépolitisation radicale de Mélenchon dans ce livre. On cherche en vain une analyse de son programme, une mise en perspective de son influence dans le débat public, un regard sur sa vision de la République, de l’écologie, ou des inégalités. Rien. Tout est ramené à des comportements, des anecdotes, des ressentis. L’homme politique disparaît derrière la caricature du « Vieux », figure quasi-paternaliste dépeinte tantôt comme un gourou, tantôt comme un tyran.

Même les enjeux sérieux – les violences sexistes et sexuelles dans les rangs de la FI – deviennent des outils narratifs, survolés dans une logique de dénonciation plus que de compréhension. L’affaire Quatennens est traitée sans nuance, sans mention de la condamnation judiciaire, ni du retrait de ses fonctions. Pire : des cas plus graves, comme celui de Gérard Miller, sont passés sous silence, alors même que l’intéressé est interrogé comme témoin à charge.

Un angle mort : la FI comme tentative politique

À aucun moment les auteurs ne s’interrogent sur ce qu’a représenté – et continue de représenter – la France Insoumise dans le paysage politique français. Une tentative de rupture, une critique de la Ve République, un mouvement de masse ayant réengagé des milliers de citoyens. À défaut d’objectivité, on aurait aimé un regard critique mais lucide. Or, La Meute se contente de rejouer le procès habituel : celui d’un leader charismatique trop visible, trop bruyant, trop clivant – et donc forcément dangereux.

Mais pour qui ?

Le PS en embuscade ?

La conclusion du livre ne laisse plus planer le doute : La Meute n’est pas neutre. Elle s’inscrit dans un agenda politique qui vise, sans le dire, à affaiblir l’hégémonie insoumise à gauche pour redonner de l’air à une social-démocratie en quête de second souffle. Le profil des contributeurs, l’absence de critique envers certains anciens socialistes, la promotion indirecte de figures comme Raphaël Glucksmann, tout cela construit un sous-texte limpide : évincer Mélenchon, pas pour faire mieux, mais pour faire plus rassurant.

Un pari risqué. Car la gauche sans radicalité, sans rupture, sans colère, n’intéresse plus grand monde.


Conclusion : un procès bâclé

La Meute aurait pu être un ouvrage utile. Un livre courageux, interrogeant la verticalité du pouvoir au sein de mouvements dits « citoyens », questionnant les limites de la personnalisation en politique. Il n’est rien de cela. Il est une fresque de ressentiments, un récit à charge, un pamphlet maladroit habillé en enquête.

En somme, une tentative de disqualification politique à travers le registre de l’intime et du soupçon. Moins un document qu’un symptôme. Celui d’un champ médiatique qui ne sait plus comment parler de ce qu’il ne comprend pas : la puissance populaire d’un homme qui dérange.

Jean-Luc Mélenchon n’est peut-être pas irréprochable. Mais il mérite mieux que La Meute. Et la gauche aussi.

* Image d'illustration créée par l'IA


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