Jean-Luc Mélenchon désavoué par le Conseil constitutionnel : il est « anticonstitutionnel » de désobéir aux traités européens
par Legestr glaz
jeudi 2 novembre 2017
La décision numéro 2017-660, question prioritaire de constitutionnalité, du 6 octobre 2017 du Conseil constitutionnel, vient confirmer que la "désobéissance" aux directives européennes est "anticonstitutionnelle". Celles et ceux qui voulaient appliquer un programme politique et économique en "désobéissant" aux traités, en établissant un rapport de froce avec l'Union européenne, devront réviser leur copie et prendre en considération le droit constitutionnel.
Une décision du 6 octobre 2017 du Conseil constitutionnel (1) a été largement commentée par les médias de grande diffusion en ce sens qu'elle imposait à l'Etat français le remboursement aux actionnaires de quelques 10 milliards d'euros, perçus illégalement au titre d'une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés en relation avec les montants distribués (dividendes) (2).
Ce qui est passé, en revanche, totalement inaperçu, c'est la charge juridique monumentale que contenait cette décision du 6 octobre 2017. En effet, le Conseil constitutionnel venait de démontrer qu'il est « anticonstitutionnel » de désobéir à une directive européenne, de désobéir aux traités signés par la France. L'idée maitresse de « désobéissance aux traités » de Jean Luc Mélenchon, pour appliquer le programme de la France Insoumise, se fracasse, se délite et disparaît devant « l'anti-constitutionnalité » d'une telle désobéissance. Jean Luc Mélenchon devra donc renoncer, contraint et forcé, à la désobéissance aux traités qu'il envisageait pour appliquer son programme, lequel devenant, de fait, inapplicable dans le cadre de l'Union européenne. Les plans « A » et « B » étaient des vues de l'esprit car « anticonstitutionnels ».
Il n'est pas inutile de rappeler que la Constitution d'un pays constitue la loi suprême de la Nation. Toutes les institutions de la 5ème République respectent les dispositions de notre Constitution. Le Conseil constitutionnel, crée en 1958, est l'une de celles-ci. L'une de ses missions est de contrôler la constitutionnalité des lois et de certains règlements. En outre, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Conseil constitutionnel peut être saisi sur des lois déjà promulguées. Cette saisine, question prioritaire de constitutionnalité – QPC-, a lieu à l'initiative de l'une des parties et après filtrage des requêtes par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation.
Le Conseil constitutionnel ne se situe pas au sommet de la hiérarchie des tribunaux qui restent l'apanage du Conseil d'Etat, en ce qui concerne le droit administratif, et de la Cour de cassation, en ce qui concerne le droit privé. Malgré tout, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics, aux autres autorités juridictionnelles et à l'ensemble des institutions françaises.
Son appartenance à l'Union européenne fait que la France participe à un système « supranational » puisqu'elle a ratifié les traités européens et accepté, en pleine conscience, des transferts considérables de souveraineté vers l'U.E. L'article 55 de la Constitution de la 5ème République stipule que les traités ont une force supérieure aux lois françaises. Ce n'est pas anodin, pas anodin du tout.
Examinons dans le détail cette décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 juillet 2017, par le Conseil d'Etat, d'une question prioritaire de constitutionnalité – QPC-, dans les conditions de l'article 61-1 de la Constitution.
Ce qu'il nous faut observer ce sont, comme dans les jugements rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire, les « attendus » ou, par les juridictions de l'ordre administratif, « les considérants ». Le Conseil constitutionnel ne possède pas ce vocabulaire juridique mais indique ce qui « fonde » sa décision et fait référence à des textes précis qui apparaissent selon leur ordre hiérarchique, en l'occurence, dans le cas qui nous concerne :
1°) la Constitution
2°) L'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. (Cette loi précise les modalités d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel - précision de l'auteur -).
3°) La directive n°2011/96/UE du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents.
4°) Le Code général des impôts.
5°) La loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015
6°) Le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité.
Puis, après fait référence aux textes, le Conseil constitutionnel s'exprime sur le fond.
- Au point numéro 6 il indique : « Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que les dispositions de l'article 235 ter ZCA (du code général des impôts) ne peuvent être appliquées aux bénéfices redistribués par une société mère, provenant d'une filiale établie dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France et relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011 mentionnée ci-dessus (point n°3) mais peuvent, en revanche, être appliquées à l'ensemble des autres bénéfices distribués par cette société mère.
- Au point numéro 9 il stipule : « le premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter du ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction de la loi du 29 décembre 2015, doit être déclaré contraire à la Constitution ».
Et, la décision finale du Conseil constitutionnel se présente sous cette forme :
- Article 1er : Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 est contraire à la Constitution.
Cette décision du Conseil constitutionnel fait apparaître d'une manière éclatante le fonctionnement du système supranational auquel appartient la France. Il faut, aujourd'hui plus que jamais, tenir compte que l'Union européenne édicte des normes, des règlements, des directives, qui ont primauté sur le droit national des Etats membres et s'appliquent automatiquement.
La France a ratifié les traités européens et modifié sa Constitution pour opérer des transferts de souveraineté vers l'Union européenne, de sorte que, les règlements européens et les directives européennes ont une force supérieure aux lois françaises et doivent être pris en considération, comme d'autres points de la Constitution française, par le Conseil constitutionnel, pour satisfaire aux dispositions de celle-ci. La désobéissance à la directive n°2011/96/UE du 30 novembre 2011 (3) a été jugée « anticonstitutionnelle ». Il en serait de même pour toute autre directive bafouée, ou tout autre règlement non respecté, par exemple, la désobéissance à la directive sur les travailleurs détachés.
Conclusion.
En prenant sa décision du 6 octobre 2017, en s'appuyant sur la directive UE du 30 novembre 2011, le Conseil constitutionnel vient souligner que les traités européens, par leur droit dérivé, font partie intégrante de la Constitution française et qu'il est anticonstitutionnel de ne pas respecter le droit émis par l'Union européenne.
Jean Luc Mélenchon qui à la page 81 de son livre « l'avenir en commun » écrit : « notre programme n'est pas compatible avec les règles des traités ; pour appliquer notre programme, il nous faudra donc désobéir aux traités dès notre arrivée au pouvoir » n'a pas pris en compte le droit constitutionnel pour écrire une telle contrevérité.
La preuve est faite qu'il est impossible en France de prendre des décisions, de rédiger des lois et des règlements, allant à l'encontre des dispositions des traités. Pas un gouvernement français, au sein de l'Union européenne, ne sera en mesure de proposer des mesures législatives contraires au contenu des règlements européens et des directives européennes.
Le principe de la séparation des pouvoirs est appliqué en France. Le Conseil constitutionnel aura toujours autorité pour annuler et juger « anticonstitutionnelle » une loi contraire aux traités européens. Le programme de Mélenchon, comme celui de n'importe quel postulant à la présidence de la République qui voudrait rester dans l'UE et établir un rapport de force avec celle-ci, est, « constitutionnellement parlant », voué d'une manière certaine à l'échec.
La seule et unique solution pour ne pas subir l'autorité des traités européens ne peut pas être la désobéissance, mais, plus simplement, l'application de l'article 50 du traité sur l'Union Européenne, le TUE, et d'engager le « Frexit ».
D'aucuns me diront que Jean Luc Mélenchon a envisagé de faire ré-écrire la Constitution et de mettre en place une 6ème République. Mais avant que cette nouvelle Constitution ne soit applicable, c'est celle de la 5ème République qui restera en vigueur. Par ailleurs, dès l'instant où la nouvelle Constitution sera ratifiée par le peuple, celle-ci entrera en conflit frontal avec les traités européens tout simplement parce que ceux-ci ont organisé un système de gouvernance « supranational » qui déleste les pays membres d'une bonne partie de leur souveraineté (4). Une 6ème République imposerait, par conséquent, à la France de sortir de l'Union européenne. Dans l'intervalle, la plus grande partie du programme de Mélenchon aura été jugée anticonstitutionnelle puisque contraire aux traites européens, aux règlements européens, aux directives européennes.
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus, Mélenchon, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi ;
On m'élit roi, mon peuple m'aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean comme devant.
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https://www.contrepoints.org/2017/10/27/301822-taxe-dividendes-entreprises-payeront
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http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32011L0096 (Cette directive indique dans son article 8 : « Les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 janvier 2012. Ils en informent immédiatement la Commission ».)