Jérôme KERVIEL, 16 journées étranges en 2008

par René Pichon-Costantini
dimanche 25 mai 2014

L'Etat de Droit est-il menacé ?

Jérôme KERVIEL, 16 journées étranges en 2008…

Est-ce une affaire d’initiés ? Oui puisqu’elle touche à la spéculation dans l’univers bancaire et aux questions de droit.

Pour autant, faut-il laisser les Experts, la Justice et même les politiques nous proposer un seul scénario ? Bien évidemment que non !

Il y a un homme, Jérôme KERVIEL et une Défense qui au lieu d’archiver le dossier, résiste et riposte pour que la porte de la cellule de Kerviel soit au plus vite celle qui lui redonnera la liberté en s’ouvrant sur le couloir de sortie.

Je suis troublé, même si Jérôme KERVIEL est parfois exaspérant.

Entre un homme qui clame à l’injustice, sa défense qui ne lâche rien et les déclarations de Michel SAPIN, Ministre … des Finances :

« Il y a des responsabilités de la banque dans le processus, mais c’est un escroc. L’escroc est attrapé, l’escroc est condamné, l’escroc doit bien entendu purger sa peine », en ajoutant : « qu’on arrête ce cinéma » Ben voyons, un homme qui retarde son incarcération par tout moyen légal serait d’après Michel SAPIN un acteur de cinéma ?

Celle de Xavier BERTRAND : "KERVIEL m'évoque Leonarda. On a maintenant un citoyen qui se permet d'interpeller le Président de la République, directement, personnellement". Sauf Monsieur BERTRAND que Léonarda n’a pas été envoyée en prison et qu’elle ne se bat pas contre une banque !

Ce qui a encouragé Jean Christophe CAMBADELIS a déclaré : " il doit purger sa peine ». « Je trouve que le cirque autour de M. KERVIEL est assez hallucinant. Franchement ! C'est un système médiatique de défense contre une décision de justice", Lui qui est un politique avisé révèle un lapsus intéressant en disant médiatique car en fait c’est politique qu’il fallait dire, peut-être…

Etonnant !!! La défense résiste au-delà du périmètre judiciaire pour éviter la déchéance sociale d’un homme en prison, c’est tout de même mieux que de facturer des honoraires et archiver, non ? Et bien voilà qu’un responsable politique, après le cinéma de l’un y voit un numéro de cirque ! C’est d’entrer en prison, innocent pour sa défense, mais coupable pour la Justice dont il s’agit ! Il y a des raccourcis et des évocations dont on pourrait s’abstenir s’agissant d’un homme. Un Homme Messieurs, c’est un être vivant, comme vous !

Circulez, il n’y a plus rien à voir.

Et bien justement, non ! Essayons d’y voir clair.

Leurs propos sont-ils des avanies empressées pour installer une chape de silence sur KERVIEL ou seraient-ils au contraire justifiés par la culpabilité indiscutable de Jérôme KERVIEL ?

Mon ambition n’est autre que de chercher à comprendre, d’être un peu moins novice que je ne l’étais sur cette affaire très médiatique.

J’ai donc fouillé les archives, principalement du net et les miennes, celles qui sont offertes au public, donc disponibles pour tous. Je me suis résolument écarté des articles d’opinion trop orientés vers l’une ou l’autre des parties. Malgré la limite de mon incompétence au plan du Droit, très vite atteinte, après avoir consulté l’ensemble des informations disponibles au public, je vous livre mon doute :

KERVIEL, et s’il y avait un doute, Pourquoi ?

Précautions :

Je ne suis pas juriste, je ne connais pas le dossier, Je n’ai jamais rencontré Jérôme KERVIEL mais il clame son innocence et une meute de politiques avec un double attelage droite / gauche s’est empressée à le discréditer et à exiger son passage par la case prison. Autant de raisons de chercher à comprendre.

Pourquoi Jérôme KERVIEL aurait-il intérêt à poursuivre son combat ?

 1. Chronologie des évènements judiciaires Les 16 jours étranges

Après des heures de lecture et de recherche d’information (celle qui est accessible au public) Voilà ce que j’ai observé :

Quelques points de repère chronologiques sur le volet judiciaire :

 24/01/2008 : La Société Générale dépose plainte contre Jérôme KERVIEL ;

 28/01/2008 : J. KERVIEL est mis en examen ;

  08/02/2008, il est écroué sur appel du Parquet ; Il sera libéré en mars ;

 04/07/2008 : Si l’enquête de police désavoue J. KERVIEL, la négligence de la S. G. est soulignée.

 Le même mois, donc très vite, le milieu (bancaire) prend ses distances. Se protège-t-il ?… La commission bancaire inflige un blâme et une amende de 4 millions d’euros à la S.G. pour « carences graves dépassant la répétition de simples défaillances individuelles ».

A ce stade, Il n’échappera à personne que l’administration judiciaire s’est mobilisée en seulement 16 jours à partir du dépôt de plainte… et la commission bancaire presque instantanément à la publication de l’enquête de police.

Question :

Cet empressement général de l’autorité administrative et de l’univers bancaire cache-t-il quelque chose ?

Poursuivons,

 05/10/2010 : KERVIEL est reconnu seul responsable. Il est condamné à de la prison (3 ans fermes, 2 avec sursis) et 4,9 milliards de dommages et intérêts (montant de la perte revendiquée par la SG) Il fera appel ;

 24/10/2012 : La cour d'appel confirme le jugement de première instance ;

 19/03/2014 : Cassation, La prison est confirmée, le montant du préjudice est cassé ! L’affaire est renvoyée à un nouvel appel …

 2. Intervention de l’administration fiscale

D’empressement en empressement, en voici un autre qui questionne à son tour : L’inspection des finances, proche de Bercy et dont Daniel BOUTON, patron de la S.G. en 2008, serait issu… se mobilise pour sauver l’honneur des banques.

Presque aussitôt, Christine LAGARDE, Ministre des Finances semble sous pression, elle commande un rapport qui dédouanera la S.G .Il sera publié le 04/02/2008, 12 jours seulement après le dépôt de plainte de la S.G. !

Mais les surprises s’ajoutent à l’empressement,

Christine Lagarde, consentira une remise fiscale de 1,7 milliard d’euros à la Société générale, dès 2008…

Une somme du même ordre sera reversée aux actionnaires la même année, sous forme de dividendes et de rachat d’actions !

Si J. KERVIEL ne s’est pas enrichi, les actionnaires, oui… Et les contribuables ? Non !

A ce stade de l’affaire : On a le sentiment que Jérôme KERVIEL, livré à lui-même dans une F1 et sans contrôle s’est laissé griser ! Cela mérite effectivement un retrait de permis (interdiction d’exercer) pour grand excès de vitesse au volant (derrière un ordi de trader)

En revanche, La responsabilité née du laxisme de la SG est avérée !

En revanche, L’argent semble couler à flot ! C’est de la folie pure, traders et banquiers semblent surtout être coupables d’irresponsabilité, anesthésiés qu’ils sont par l’abondance de leur rémunération et la surcharge de voracité.

En revanche, et comme si ce n’était pas suffisant, le contribuable paiera par son impôt une prime à ceux qui ont perdu tant d’argent !

En revanche, Jérôme KERVIEL se voit refuser l’accès à une expertise. Bon Dieu, Bon sang de Bonsoir ! Ce garçon est traité d’escroc ! Nombreux français pensent qu’il a vraiment dérobé ces 4,9 milliards ! C’est faux, j’y viens plus loin.

Et Jérôme KERVIEL est en prison !

 Là, sauf à dériver à mon tour, j’ai l’impression de marcher sur la tête.

 3. La situation a changé, pourquoi ?

Parce que La Cour de cassation a annulé la condamnation de Jérôme Kerviel au civil, c’est-à-dire les dommages et intérêts. La Cour de cassation a ainsi ébranlé la Société Générale qui s’employait à éviter les investigations « retenues » d’une justice au comportement étrange. Sauf à avoir une explication pertinente, la question se pose, non ?

Or, la responsabilité de la Société générale était engagée dans les pertes. La cour d’appel l’a reconnu en soulignant la sanction par une amende de 4 millions d’euros, de la commission bancaire.

Alors oui, c’est différent,

Premièrement : cette perspective d’un 2ème Appel réactualise-t-elle l’idée d’une expertise judiciaire sur la réalité des pertes. ?

Deuxièmement : l’expertise du débouclage pourrait-elle déclencher une série de réactions en cascades ?

Attention, c’est une hypothèse de situation et non une présomption ; mais, une hypothèse qui si elle était confirmée, poserait des questions :

Puisqu’ il est avéré que la S.G. est responsable par laxisme de ses pertes, aurait-elle eu intérêt à cacher la vérité sur le débouclage ?

Si c’était le cas :

En annulant les dommages et intérêts, la cour de cassation rétablit-elle de fait, l’obligation de la S.G. à restituer aux contribuables, le cadeau de 1 milliard 7 octroyé en quelques jours par Madame LAGARDE ?

Ce serait une bonne nouvelle pour les contribuables, la S. G. pourrait contribuer en restituant cet argent à réduire le déficit public.

Autre solution, M. VALLS a déjà trouvé 1 milliard pour financer la réduction d’impôts des français les plus défavorisés, il y a-t-il une objection pour que la SG en restituant le 1,7 milliard indument perçu et les dividendes versés, contribue à alléger la pression fiscale sur les classes moyennes plutôt qu’à creuser le déficit national ?

 4. Mais Jérôme KERVIEL n’est pas populaire et c’est fâcheux !

Pourquoi pas populaire ?

D’abord, il y a Les amalgames qui stigmatisent, voyons donc cela autrement que sous l’angle strictement judiciaire :

Dès le début de l’affaire, BOUTON, le patron de la banque à l’époque, qui est issu de l’univers fiscal et serait proche de Bercy (je fais gaffe à ce que j’écris) a clamé sur France INFO, en pointant Jérôme KERVIEL : « cet escroc, ce fraudeur, ce terroriste, je ne sais pas ».

Il a dit ça en pleine crise des subprimes, démarrée en 2007 et dans le contexte de la crise de la dette avec un ennemi identifié : la Finance et ses insolents Traders. Compliqué pour l’ancien étudiant d’apparaitre comme un sale gosse qui aurait juste joué sans permis avec la voiture du boss !

Les français n’aiment ni les traders ni l’argent facile et encore moins les traders escrocs et Daniel BOUTON, les médias et les politiques le savent parfaitement. Seulement, voilà J. KERVIEL c’est avant tout un être humain qui a des droits, pas un trader fortuné, loin s’en faut.

Madof est un escroc qui s’est enrichi, il a été condamné pour ça. Ben Laden était un terroriste qui avait du sang sur les mains, il a été abattu pour ça.

Sérieusement, lorsque BOUTON parle ainsi, « escroc » et « terroriste », alors que l’affaire n’est pas aboutie judiciairement et que M. SAPIN reprend le terme d’ « escroc » 6 ans après, il y a quelque jours, il créent volontairement un environnement de détestation populaire pour Jérôme KERVIEL et cela ne les honore pas car ils induisent sa culpabilité.

Je me demande si une fois l’affaire terminée, l’arroseur ne risquerait pas d’être arrosé ?

J. KERVIEL n’est ni MADOF ni BEN LADEN, s’agissant d’un individu qui réclame plus de justice, tout en admettant ses erreurs, il faut rester mesuré…

Ces gens-là parlent des français et décident de nos vies sans les partager et en plus ils évoquent la prison ; mais sans savoir ce que cela représente pour celui qui y est conduit !

C’est assez grave, pourquoi ?

Parce que ceux-là qui qualifient KERVIEL d’escroc ont pipé les dés, dès le départ ! Parce que le terme d’escroc a été ancré dans l’esprit du grand public. Parce que les amalgames font du chemin, beaucoup de gens pensent vraiment que Jérôme KERVIEL est un escroc qui a volé 4,9 milliards aux petits épargnants. C’est pas du tout cela l’affaire !

Sauf qu’à la différence de Madoff et de Ben Laden,KERVIEL n’a rien dérobé, il n’a tué aucun innocent et ne s’est pas enrichi d’après l’enquête policière.

Puisque J. KERVIEL comme l’a conclu l’enquête, n'avait soustrait aucune somme d'argent et qu'il n’avait opéré, ni de détournement de fonds, ni d'enrichissement personnel, n’aurait-il pas agi uniquement par dévotion à la SG pour lui faire gagner toujours plus d’argent ?

Donc le juger pour ce qu’il a fait et rien d’autre ne serait-il pas mieux approprié ?

Alors, les derniers mètres de marche, Monsieur CAMBADELIS, c’est du cirque ou de la légitimité ? Alors et sous toute réserve de posséder les bons éléments d’information ; Espérons pour Messieurs SAPIN, BERTRAND et d’autres comme Monsieur CAMBADELIS qui prêtent le flanc par leur empressement à le mettre en prison, qu’ils ne diffament pas par imprudence.

J’ai le sentiment que ce trader-là n’était qu’un employé zélé, aussi bien il aurait pu être au guichet et avec pour seul objectif de rapporter toujours plus d'argent à la banque. Quant aux grands de la presse qui ont longtemps pris parti de ne pas assez entendre la Défense de Jérôme KERVIEL, diable pourquoi verrouillent-ils et s’empressent-ils à laisser enfermer Jérôme KERVIEL si la Société Générale n’a rien à se reprocher et personne d’autre non plus ?

 En conclusion,

L’opacité et le secret nourrissent le doute. Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut peut-être plus de courage à la Justice et peut-être s’interroger sur des liaisons dangereuses de la République avec les Marchés… et… l’argent. Bien que cela soit un autre sujet qui ne touche pas spécifiquement au sujet de l’article, la question se pose.

La seule chose qui puisse être acceptable serait qu’il ne s’enrichisse pas sur sa faute. En revanche, parce que les politiques le traitent d’escroc, s’il n’en est pas un et parce que la Banque aurait pipé les dés… Alors là, la réparation sera légitime.

Une dernière chose, si un tel scénario aboutissait… Tout n’est pas pourri dans la République mais attention… Si Jérôme KERVIEL a raison, c’est l’Etat de Droit qui est menacé et ça, c’est l’affaire, ni des Marchés, ni de la S.G. ni de la Justice, ni des avocats mais des français et surtout de ceux qu'ils ont élus pour les représenter.


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