Jospin vs Bonaparte

par Alain Roumestand
jeudi 20 mars 2014

L'ancien premier ministre Lionel Jospin publie un livre "Le mal napoléonien" dans lequel il fustige le système napoléonien

Lionel Jospin fut premier ministre de Jacques Chirac de 1997 à 2002 avec le résultat que l'on connait en 2002, éliminé dès le premier tour de la présidentielle. Malgré son honnêteté morale incontestable.

Il publie "Le mal napoléonien" (titre choisi après hésitation) en librairie depuis le 6 mars et déjà en tête des ventes.

Napoléon Bonaparte, il ne l'apprécie guère. Le Consul puis l'Empereur ne trouvent pas grâce à ses yeux ; on s'en serait douté.

Il ne juge" pas l'homme, mais l'homme par rapport à la France". Dans ce livre qu'il veut "essai, analyse, méditations et non biographie ou portrait" il note que de 1799 à 1815 la France s'est affaiblie. Napoléon est donc "le mal", "la maladie maligne", "sans connotation morale", mais comme un "propos politique et historique".

Lionel Jospin affirme que "le bicentenaire de la révolution des droits de l'homme" a été célébré, mais le 6 avril 2014 personne n'aura l'idée de fêter la première abdication, 200 ans après.

Napoléon est "en rupture" avec les messages de la révolution française."La destruction de la société féodale, c'est la révolution". Certes il y a eu la constitution d'une" solide strate administrative",mais le rétablissement de l'esclavage est une tâche indélébile, décision prise au lendemain de la création de la légion d'honneur ( comme le note Edwy Plenel le fondateur de Mediapart).

Napoléon crée un "trouble identitaire avec le retour de César". Il rétablit un "besoin archaïque qui donne lieu à la fabrique d'idole". Il organise "la coupure entre la révolution libératrice et l'empire qui assujettit".

Jospin s'étonne de la fascination que suscite l'homme qui a institué" une dictature militaire". Il y a le suffrage universel mais"les élections sont biaisées".

Pêle-mêle, les guerres, la centralisation, la police politique, l'art officiel illustrent "le mal". La femme maintenue est dans une situation d'infériorité. Elle est mineure .Le renforcement de la famille avec l'enfant naturel qualifié d'intrus, complète le tableau sombre de la période napoléonienne.

Et que penser de la presse avec les 70 journaux en 1799 qui deviennent les 4 journaux en 1804 dont "Le Moniteur" officiel.

Même les monuments issus de cette période de gloire sont réputés "sombres". Jospin veut bien "admirer les admirateurs de l'Empereur" (Stendhal, Hugo, Hegel) mais pas l'homme lui-même.

L'ancien premier ministre ne s'arrête pas en si bonne route. Il va plus loin, très loin. Il enrôle dans le bonapartisme le général Boulanger :"heureusement qu'il ya des Napoléon qui échouent". Puis le maréchal Pétain et "le bonapartisme de la défaite". Enfin De Gaulle qui est"plus républicain que bonapartiste", "un chef incarnant la République". Lionel Jospin hésite-t-il entre le blâme et l'admiration ?

Et la Vème République toute entière est elle aussi dans le collimateur pour couronner l'édifice. "La démocratie de basse intensité" d'Edwy Plenel est mise au ban. Lionel Jospin plébiscite la démocratie représentative, de citoyens conscients, contre "le sauveur", contre le choix d'un seul avec"les légions présidentielles" qui nous conduisent vers"l'abîme et la servitude"(dixit Edwy Plenel).

Lionel Jospin fustige le populisme actuel et avec Plenel reconnait "la pathologie du régime présidentiel".

Ainsi le "bien" napoléonien est ignoré totalement : l'égalité civile, la méritocratie, les réformes pérennes comme les Codes (Jospin pense que le Code Civil en Europe est diffusé en surface), la monnaie solide, l'assentiment populaire tout au long de la période. Est ignorée la lutte du pays de la Révolution et de l'Empire contre les monarchies absolues, qui malgré la Réaction de 1815 ne pourront empêcher l'éclosion tout au long du 19ème siècle des graines semées.

Si Lionel Jospin a raison de dire qu'à la fin de l'Empire "tous nos adversaires s'agrandissent" (la Prusse vers le sud, l'Autriche vers l'Italie) il ne reconnait pas que 1815 est l'ultime soubresaut d'une Europe monarchique et inégalitaire. Les révolutions du 19ème siècle (1830 1848) feront l'Europe de la révolution industrielle.

Le" Mémorial de Sainte Hélène" est lui-même pétri de la force des idées révolutionnaires.

Lionel Jospin considère qu'il est très peu en scène dans son livre. Cependant en creux nous avons un portrait de lui a contrario, et une réflexion sur la politique de notre temps.

Dominique de Villepin a écrit sur "Les 100 jours" ouvrage d'historien. De même Lamartine et son "Histoire des Girondins". Jospin est un homme politique qui s'est retiré après une défaite cuisante, mais qui continue à vouloir apporter sa pierre à la pratique politique de 2014.

On ne peut cependant oublier le piètre bilan de son passage au pouvoir en une période de croissance mondiale et de créations d'emplois par les entreprises, qui aurait dû lui permettre de profiter de l'activité pour faire les grandes réformes que l'époque demande : réforme des retraites, réformes pour la compétitivité des entreprises, réforme de le fiscalité.

Au lieu de cela à défaut d'un programme électoral pensé," les 35 heures" inventées à la va-vite ont plombé l'économie française qui a dévissé, l'insécurité galopante (avec l'emploi, l'insécurité devait reculer, disait-il) lui ont coûté sa présence au 2ème tour de la présidentielle 2002.

N'est pas un décideur actif qui veut, un réformateur efficace avec une vision à long terme .


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