Jeudi, quelques jours après avoir accueilli en grandes pompes, et complaisamment, Nicolas Sarkozy au journal de 20 heures, France 2 a accordé à Alain Juppé plus de deux heures d'émission dans une nouvelle édition de Des Paroles et Des Actes. Une émission extrêmement révélatrice.
Deux débats sans intérêts
L'échange avec la députée du FN n'était pas plus productif, même si, étonnament, il a été bien plus posé et calme que le précédent. En 20 minutes, Marion Maréchal Le Pen a été incapable de parler d'autre chose que d'immigration. Et si elle a pris un ton très mesuré, on voyait tout de même des différences. Mais ne parler que de ce sujet alors qu'il y en a tant d'autres (monnaie unique, protectionnisme, finance, monétisation de la dette publique, services publics, éducation, sécurité, questions éthiques, science...) donne une image mono-maniaque et extrêmement limitée du FN,
qui n'apparait pas, heureusement, comme une alternative crédible aux deux partis qui se succèdent au pouvoir depuis des décennies. En outre, elle est très souvent restée à la surface des choses, sans rentrer dans le fond des sujets.
Une triple impasse pour le pays
Du coup, cette émission laisse un goût amer. On a eu droit à un FN, qui, à défaut d'être aggressif, était bien superficiel et léger. Le socialiste, incapable de défendre sa politique, se contentait d'éléments de langage dignes d'un communicant pas très bien inspiré, et adepte du plus c'est gros, plus cela passe. Au final, le spectacle était tellement désolant qu'Alain Juppé en sortait grandi, apparaissant comme plus professionnel et finalement assez modéré, face à des adversaires un ton en-dessous. Mais par-delà son apparence de premier de la classe qui aurait bien vieilli, perdu la dureté des tanins de sa jeunesse et gagné en rondeur, comme un bon Bordeaux, qu'il représenterait bien, le discours d'Alain Juppé, malgré son professionnalisme apparent, est d'une pauvreté intellectuelle absolument affligeante.
Nous avons eu droit à
tous les poncifs de la pensée économique actuelle, entre une dépense publique trop élevée de 7% du PIB, soit 140 milliards (
sachant que l'on compare des choux et des carottes), une dette trop lourde (
on se demande pourquoi la France emprunte à 1,25% sur 10 ans), «
la croissance, c’est d’abord la compétitivité des entreprises » (
jusqu'où faudrait-il baisser le prix du travail pour être aussi compétitif que les Roumains, les Marocains, les Indiens ?). Alain Juppé se fait le représentant irréfléchi des idées néolibérales d'il y a 100 ans ou des années 1980,
alors que même le FMI a mis de l'eau dans son vin austéritaire, et que
l'explosion des inégalités ou l'instabilité économiques poussent de nombreux économistes à reconsidérer leurs positions. Pour éviter tout débat, il dit que «
la seule chose qui marche, c’est l’économie de marché (…) je suis libéral », comme s’il n’y avait pas une infinité de variantes…
Bref, Alain Juppé est bien le représentant de cette classe politique dans sa bulle, paresseuse et conformiste. C’est lui qui est fermé, à toute remise en question d’une pensée fossilisée malgré les ravages qui sont faits en son nom en Grèce ou ailleurs.