Justice et laïcité tombent du ciel étatique

par Céline Ertalif
mardi 27 février 2007

La semaine dernière, j’ai entendu Valérie Pécresse défendre en moins de cinq minutes, coup sur coup, la laïcité et l’indépendance de la justice. Je ne sais pas pourquoi, cela m’a agacée plus que d’habitude.

Vraiment, j’en ai assez d’entendre des fariboles de cette nature, j’ai tourné le bouton de mon autoradio. Off. C’est tellement écoeurant ces énarques qui enfilent les banalités du politiquement correct, fût-ce pour dire absolument n’importe quoi. Ras le bol, c’est insupportable. Sans doute vous, mes lecteurs, serez-vous d’abord interloqués par mon courroux. L’objet de cet article est d’expliquer le rapport entre les deux questions de la laïcité et de la justice. Un très vieux sujet, en réalité une impitoyable équation entre la religion et la politique.

Je sais bien qu’il est très à la mode de militer pour l’indépendance de la justice. La jolie blonde Guigou n’aurait sans doute pas dit moins que la belle blonde Pecresse. Et pourtant l’indépendance des magistrats posera un problème au regard de la démocratie aussi longtemps qu’ils seront fonctionnaires. Un juge est un fonctionnaire de l’administration du ministère de la Justice, appointé sur les recettes fiscales prélevés sur les contribuables que nous sommes. Or, dans une démocratie, la légitimité provient du suffrage universel et de rien d’autre. Les juges ont gardé la robe, mais la noblesse de la toge ne légitime plus un ordre titulaire de pouvoirs. On nous raconte des sottises depuis des décennies sur cette question de l’indépendance des juges parce que le discours syncrétique a la vertu de faire plaisir à tout le monde, l’inconvénient reste de rendre les débats publics sur cette délicate question parfaitement idiots. Soit on est dans le modèle américain avec des juges indépendants dont la légitimité est issue du suffrage, soit on est dans le modèle napoléonien et la légitimité est administrative avec des juges dépendants du pouvoir politique. Aucun fonctionnaire ne peut être indépendant de l’Etat, la robe n’y change pas grand-chose, il n’a pas de légitimité démocratique par lui-même.

Le juge a la particularité d’arbitrer et, par conséquent, son autonomie est explicite. L’autonomie de nombreux autres fonctionnaires n’en est pas moins réelle, elle est généralement beaucoup moins voyante, voilà tout. Peut-on imaginer qu’on remplit nos directions ministérielles d’énarques pour qu’ils soient de modestes exécutants sans la moindre influence sur la construction des décisions ?

Et la laïcité à la mode Pécresse, c’est aussi une tarte à la crème dont, franchement, je me sens un peu rassasiée. L’idée, c’est que la croyance religieuse est une affaire privée et que les affaires publiques sont du ressort exclusif de la République qui ne reconnaît aucun culte. Les catholiques comprennent la laïcité, ils la défendent même... depuis qu’ils ont réalisé leur nouvelle position dans la société française. Découvrir sa minorité rend raisonnable. Les musulmans ne comprennent pas spontanément de quoi il s’agit, l’individualisme consubstantiel de l’humanisme occidental restant étranger à leur culture pour l’instant. Le problème, c’est que la religion s’appuie sur des croyances, bien sûr, mais elle est aussi et surtout prescriptrice de morale et de comportements sociaux. L’étymologie du mot religion elle-même entretient une certaine ambiguïté entre la vénération qui décrit le rapport entre l’être humain et Dieu (religio) et le lien communautariste (religare) qui se traduit par des rites collectifs.

Le juge en prêtre de la République

La religion est par nature une affaire publique et la réduction à la sphère privée est inconcevable pour quelque religion que ce soit. La laïcité est un compromis historique utile. On peut vénérer la liberté de conscience, c’est aussi une croyance, à distinguer d’ailleurs de l’agnosticisme ou de l’athéisme. Là encore nous sommes dans le syncrétisme  : ça fait plaisir à tout le monde, mais c’est un mythe superficiel et incohérent. C’est une palinodie, parce que la conscience ne saurait être tenue pour une affaire exclusivement individuelle depuis que nous avons lu le docteur Freud et quelques-uns de ses épigones.

Je plaide pour un minimum d’esprit critique. Pour tout dire, je veux bien qu’on préfère les facilités du compromis et les charmes de l’obéissance aux idées faciles, mais à trop répéter les sottises officielles de notre temps, on finit par les croire. Finalement, on ne comprend plus rien à rien. Corinne Lepage a sûrement raison de défendre Renaud van Ruymbeke en tant que victime de l’immixtion politique de Sarkosy dans les procédures de la magistrature. Moi-même, je ne dédaigne pas de critiquer la compromission des responsables politiques qui se montrent dans les églises ou avec une kipa sur la tête. Simplement, la politique reste un triste jeu d’imbéciles si on dénonce les turpitudes des autres sans jamais s’interroger sur la cohérence de son propre discours. On ne choisit pas personnellement les valeurs d’une société, néanmoins tout le monde a le droit de se servir des arguments de légitimité pour mener ses petites guerres idéologiques.

La justice a toujours eu une place centrale dans toutes les religions. Aujourd’hui démunie des prérogatives traditionnelles de la souveraineté que sont notamment la maîtrise de la paix et de la guerre et le pouvoir de battre monnaie, notre République est aspirée par la tentation religieuse. Alors la justice, ciment de la cohérence interne de la société, prend une place grandissante et on ne veut plus rien laisser de public aux religions. On nous propose des juges pour prêtres avec une légitimité qui tombe du ciel étatique plutôt qu’une montée démocratique exprimée par le suffrage des hommes et des femmes.

Dans toutes les sociétés, les êtres humains ont le désir d’une justice trancendante en retour de leur renoncement à se faire justice eux-mêmes. Le récit magique et religieux de l’ordre juste justifie l’inhibition individuelle et protège la société de l’agressivité naturelle des individus. Tous les êtres raisonnables recommandent pourtant le compromis sur la base des rapports de force réels : c’est un peu moins idéologique, mais cela n’empêchera jamais ceux qui veulent le pouvoir de promettre la justice. La couleur du temps est de nous la promettre indépendante et laïque.

Et moi, les énarques blondes m’énervent. Faut-il obéir à ce point aux idées reçues pour atteindre la réussite sociale ? Je râle seule dans ma voiture.




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