Kim Jong-il sort de l’axe du mal !

par Pierre R. Chantelois
mercredi 14 février 2007

Le président américain, Georges W. Bush, a vu le mal de très près. Lors de sa visite en Corée du Sud, il s’est rendu dans la zone démilitarisée à la frontière avec la Corée du Nord, un des pays de l’axe du mal dotés d’armes de destruction massives. Côté Sud, 38 000 soldats américains stationnés. Côté Nord, l’arme nucléaire. Frondeur, Kim Jong-il le petit a menacé le grand : « A cause du comportement arrogant et insolent des États-Unis, le danger d’une guerre grandit chaque jour sur la péninsule coréenne. » Il prévient : « Si les impérialistes américains et leurs alliés osent provoquer une guerre sur cette terre, cela les conduira à leur destruction finale. » Forte impression en Occident ! S’exprimant lors d’une réunion des commandants de l’aviation iranienne, le guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, menace : « L’ennemi sait bien que toute invasion serait aussitôt suivie par une réaction globale contre les envahisseurs et leurs intérêts partout dans le monde. »

Confort ou indifférence en Occident ?

Six pays s’assoient autour d’une table pour négocier avec la Corée du Nord : les deux Corées, les États-Unis, le Japon, la Russie et la Chine. C’est maintenant chose acquise : sur l’axe du mal composé de l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord, seule Téhéran reste sur la liste noire. La Corée du Nord devrait également quitter la liste des pays soutenant le terrorisme, les États-Unis s’y sont engagés solennellement.

Condoleezza Rice a estimé hier que l’accord intervenu sur le programme nucléaire nord-coréen devait constituer un message pour l’Iran.

Ban Ki-moon s’est déclaré « encouragé par le fait que cet effort constructif de la communauté internationale pourrait en définitive renforcer le régime international de non-prolifération et contribuer à instaurer durablement la paix, la sécurité et la prospérité dans la région », a indiqué le secrétaire général dans un message transmis par sa porte-parole.

Au Moyen-Orient, pour l’instant, rien. Une feuille de route, un quartet, puis plus rien. La volonté n’y est pas. Mais cela est une autre affaire. Revoyons les termes de l’entente avec Kim Jong-il, chef d’Etat crédible avec qui les États-Unis acceptent bien, après l’avoir vilipendé, de partager les agapes.

Introduction

Vous souvenez-vous du dernier James Bond, Die Another Day ? Le film décrivait une vision manichéenne du monde. Coproduction USA-UK, ce film titillait notre imagination en extrapolant sur un scénario apprêté à la realpolitik : l’affrontement possible avec la Corée du Nord, le fleuron de « l’Axe du mal » de G. W. Bush. Le Nord-Coréen y est dépeint comme un psychopathe dégénéré, physiquement et mentalement. Le public américain et les amateurs de science-fiction nagent alors en pleine « croisade » « du Bien contre le Mal », « contre le terrorisme ».

Mais qui est donc ce psychopathe dégénéré, tel que représenté par le cinéma américain ? Plutôt de célébrer la naissance du Christ, ce dernier 25 décembre 2006, la Corée du Nord fêtait, la veille de Noël, l’anniversaire de la venue à la tête de l’armée de son cher leader, Kim Jong-il. Il hérite du pouvoir en 1991, à la mort de son père, Kim Il-sung, fondateur de la Corée communiste. Lors d’un gala, des soldats ont notamment pu danser sur des chansons intitulées Tous les militaires et le peuple sont autant de balles et de bombes ou Notre général est le meilleur. Catherine, auteure d’un blog, propose quelques-uns de ces hymnes à la gloire de Kim Jong-il. Comme elle le dit si bien, à vos peignes, car ça décoiffe !

Kim Jong-iI expérimente l’arme nucléaire, s’affiche au volant de voitures de luxe et se fait offrir par les six cents riches familles inféodées au gouvernement communiste des cadeaux en provenance des technologies occidentales. Kim Jong-iI par exemple apprécierait tout particulièrement les alcools et vins français ! Si le puissant peut avoir accès aux dernières technologies, il se garde bien d’en partager l’usufruit avec son peuple.

En 1994, Bill Clinton était à deux doigts de déclarer la guerre à la Corée du Nord. L’ancien président James Carter s’envola pour Pyongyang, où il s’entretint directement avec M. Kim Il-sung - le père - et obtint l’engagement d’un gel total du complexe de Yongbyon.

En mars 2001, à l’occasion d’une visite du président sud-coréen à la Maison Blanche, Georges W Bush surprend son hôte en annonçant la rupture des discussions avec la Corée du Nord relativement aux missiles de longue portée, invoquant l’impossibilité de s’assurer que ce pays respecterait les lignes directrices qui seraient l’objet d’une entente. Cette nouvelle fut accueillie avec étonnement par les autorités sud-coréennes qui avait passé des années à négocier avec la Corée du Nord, soutenues par l’administration Clinton, dans le cadre d’une politique de paix et de réconciliation qui avait d’ailleurs valu un prix Nobel au président sud-coréen.

En 2002, la Corée du Nord tente de renouer le dialogue avec les États-Unis, interrompu depuis l’arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche. Le sous-secrétaire d’État chargé de l’Extrême-Orient, James A. Kelly, est reçu à Pyongyang. Il s’y montre arrogant et claque la porte. La Maison Blanche soutient que les diplomates nord-coréens auraient reconnu avoir repris leur programme de recherche nucléaire depuis plusieurs années. Pyongyang aurait en 1998 conclu avec Islamabad un accord sur un transfert de missiles nord-coréens au Pakistan en échange de la technologie pakistanaise d’enrichissement de l’uranium.

La même année, Washington invente la formule de l’« axe du mal » et abandonne sa politique historique de l’endiguement (containment) pour une stratégie de guerre préventive. L’administration Bush présente la Corée du Nord comme un État voyou qui menace la paix mondiale au moyen d’armes de destruction massive. Le régime tyrannique de Kim Jong-il ne pouvant compter que sur peu d’amis et accumulant beaucoup d’adversaires, il est intéressant que noter que les États voisins, pourtant directement concernés, ne considéraient pas que ce danger fût réel. Ils ont accusé les États-Unis de provocation.

Toujours en 2002, les États-Unis accusent à nouveau la Corée du Nord de menacer la stabilité internationale en vendant des missiles auprès de n’importe quel acheteur. Les États-Unis remettent en cause la cargaison du So San interceptée après son départ de la Corée du Sud. Les spéculations allaient bon train sur les destinataires de cette cargaison : il pourrait s’agir d’Al Qaïda. On évoquait l’origine yéménite d’Oussama Ben Laden. Le département d’État semblait accréditer cette rumeur en indiquant que les missiles n’étaient probablement pas destinés à l’Irak. Les Américains découvrent toutefois rapidement que les missiles nord-coréens ont été dûment achetés par le Yémen pour son armée. Les États-Unis et l’Espagne restituent le So San et sa cargaison. Contrairement à ce qui a été médiatisé, la Corée du Nord ne s’était livrée à aucun trafic et n’entretenait pas de relations avec Al Qaïda au sein de l’axe du mal.

La Corée du Nord s’est raidie et enfoncée dans un discours de résistance jusqu’au suicide. Loin de se montrer inquiète, la Corée du Sud s’est désolidarisée des États-Unis et s’est payé le luxe de proposer sa médiation. La puissance nucléaire du Pentagone n’a nullement dissuadé Kim Jong Il. En effet, le Grand Leader n’ignorait pas qu’une explosion atomique sur son territoire toucherait aussi la Corée du Sud et les 37 000 GI’s qui y stationnent.

La Corée du Nord provoque un tollé général en lançant une bombe avec succès dans un site souterrain secret. Les occidentaux sont convaincus dès lors que l’Iran travaille sur son propre programme d’armes en raison du fait, notamment, que des conseillers militaires iraniens se rendent régulièrement en visite en Corée du Nord pour participer à des tests de missiles.

La politique de confrontation du républicain George W. Bush a contrecarré aussi bien les efforts de la Corée du Sud en quête de réconciliation, que ceux en faveur de l’apaisement des démocrates Bill Clinton et Jimmy Carter.



L’entente

Le négociateur chinois, Wu Dawei, a fait état d’une déclaration conjointe obtenue après six jours de pourparlers qui ont réuni les deux Corées, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie pour convaincre Pyongyang de renoncer à l’arme atomique : « Cette session de pourparlers a permis d’obtenir un important consensus sur la mise en œuvre des premières mesures (pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne), ce qui a conduit au succès final de ces discussions. »

Comme nous le verrons, la Corée du Nord recevra de larges et généreuses compensations économiques, en échange de son désarmement nucléaire, en pétrole ou en électricité, au fur et à mesure du démantèlement de ses programmes. Après des pourparlers marathon de seize heures, les négociateurs ont enfin trouvé un terrain d’entente avec Pyongyang. Un premier pas sur la voie de la démilitarisation nucléaire. Le président américain George W. Bush s’est dit content, tout en soulignant qu’il s’agissait d’un premier pas : « Ces discussions sont une bonne occasion de recourir à la diplomatie pour traiter les programmes nucléaires de la Corée du Nord. Ils reflètent l’engagement commun des participants en faveur d’une péninsule coréenne sans armes nucléaires. » Pour sa part, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice a aussi réagi positivement à l’annonce de cet accord, soulignant qu’il s’agissait d’un bon début mais qu’il ne s’agissait pas de la fin de cette histoire.

L’accord devra se concrétiser dans un contexte de méfiance profonde entre Pyongyang et ses donateurs potentiels. Quelque 30 000 soldats américains restent stationnés sur la péninsule coréenne, les deux Corées étant en état de guerre technique depuis la trêve qui mit fin au conflit de 1950-1953. John Bolton , ancien représentant permanent des États-Unis à l’Onu, est d’avis que le régime communiste ne devrait pas être récompensé par d’énormes livraisons de fioul lourd. « Cela envoie exactement le mauvais signal à tous les États qui veulent se doter de l’arme nucléaire dans le monde », a-t-il déclaré sur CNN. Japonais et Nord-Coréens veulent démarrer des discussions bilatérales pour normaliser leurs relations. Le ministre nippon des Affaires étrangères, Taro Aso, a conditionné le soutien de son pays à l’aide énergétique à d’éventuels progrès sur le contentieux des ressortissants japonais enlevés par des agents de Pyongyang pendant la Guerre froide. Le Premier ministre nippon Shinzo Abe a bien indiqué : « Le Japon ne fournira pas d’assistance énergétique à la Corée du Nord en raison de l’enlèvement d’un certain nombre de ses ressortissants par des agents de Pyongyang dans les années 1970 et 1980. »

Les six pays qui sont engagés dans cette négociation doivent maintenant faire approuver cet accord par leurs gouvernements respectifs. Christopher Hill, l’émissaire américain, « s’est félicité de cet accord, excellent selon (lui), un accord encourageant pour la dénucléarisation de la Corée ». La communauté internationale a salué la percée obtenue mais restait prudente sur l’avenir d’un processus semé d’embûches.

Un premier état des lieux sera dressé lors de la réunion sous trente jours de cinq groupes de travail sur la dénucléarisation, la normalisation des relations avec les États-Unis et le Japon, la coopération économique et énergétique, et la paix et la sécurité en Asie du Nord-est. Les envoyés chargés du nucléaire se retrouveront, eux, le 19 mars, et les ministres des Affaires étrangères des Six, à l’échéance des soixante jours. Le directeur général de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA), Mohamed El-Baradei, a déjà annoncé qu’il s’apprête à retourner en Corée du Nord pour vérifier l’application de l’accord sur le démantèlement du programme d’armement nucléaire de Pyongyang. La question sera évoquée lors d’une réunion du conseil des gouverneurs de l’agence le 6 mars, a-t-il précisé.

Les obligations

Pour sa part, la Corée du Nord s’est engagée à commencer dans les deux mois à démanteler ses installations nucléaires en échange d’une aide énergétique. Déjà l’agence officielle de Pyongyang a semblé limiter la portée de cet accord en parlant de suspension temporaire des activités des installations nucléaires nord-coréennes. Or, ces termes ne figurent pas dans le document de Pékin. Nombre de questions cruciales nécessiteront de nouvelles négociations. La question de savoir si la Corée du Nord dispose d’un programme d’uranium hautement enrichi est l’une de celles qui demeurent en suspens. Pyongyang n’a pas reconnu l’existence d’un tel programme. « Nous devons parvenir à un résultat satisfaisant pour les deux parties sur ce point », a dit Hill. « Nous devons savoir avec exactitude ce que cela recouvre. »

Les cadeaux

Le régime de Pyongyang sera récompensé au fur et à mesure de l’avancée de son désarmement nucléaire. La Corée du Nord recevra une aide énergétique équivalant à un million de tonnes de pétrole si elle respecte ses engagements. La fourniture de 50 000 tonnes de pétrole sera, dans un premier temps, effective si elle ferme son principal réacteur, situé à Yongbyon, à une centaine de kilomètres au Nord de Pyongyang, dans les deux mois. Le reste, soit 950 000 tonnes, sera livré, dans un deuxième temps, dès que Pyongyang aura désactivé complètement le réacteur qui devra être inspecté par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) également dans les deux mois après la signature de l’accord.

Un autre volet de l’accord prévoit un dégel des relations avec Washington. Les États-Unis se sont engagés à retirer la Corée du Nord de la liste noire des pays soutenant le terrorisme et à lever les sanctions commerciales qui pèsent sur Pyongyang. Si l’accord est bien là, il ne s’agit que d’un début, une nouvelle session de pourparlers est d’ores et déjà programmée à Pékin dans un mois.

Les mesures convenues n’incluent pas encore la fourniture de 2000 mégawatts d’électricité promis par la Corée du Sud dans le cadre d’un accord intervenu entre les six en septembre 2005. Cet approvisionnement est censé intervenir après la dénucléarisation complète de la Corée du Nord. L’approvisionnement en électricité, d’un coût estimé à 8,55 milliards de dollars, serait à peu près égal à la production actuelle de la Corée du Nord.

Conclusions

L’essayiste français Guy Sorman écrit sur son blog : « Croire que le gouvernement de Pékin s’indigne de l’essai nucléaire nord-coréen est risible : la Corée du Nord ne tient que par l’aide chinoise. Agiter la menace nord-coréenne permet au gouvernement chinois de maîtriser le jeu diplomatique dans la région : le régime (vraiment communiste) chinois prend sa revanche sur l’Occident en obligeant les pays en conflit à prendre le chemin de Pékin. Ces deux faits sont connus de tous les experts de la région ; mais d’une certaine manière, le mensonge partagé (et claironné par les médias sans curiosité) arrange les puissants. Pékin est content ; Washington a un ennemi de plus ; Tokyo et Séoul évitent la réunification de la Corée. A Tokyo on craint une trop grande Corée ; à Séoul on craint le coût de la réunification. Tant pis pour les victimes, vingt millions de prisonniers en Corée du Nord. »

Deux grandes absentes donc de cette entente : la population nord-coréenne et l’aide alimentaire. Qu’importe, les grandes puissances sont rassurées. Pour l’instant.

Questions

• Seriez-vous prêts à parier sur la durée de l’entente ?
• Kim Jong-il est-il vainqueur ?
• Qui sont les perdants ?
• Pourquoi les États-Unis appliquent-ils deux poids deux mesures ? D’un côté, l’Iran toujours dans l’axe du mal et d’un autre côté, la Corée du Nord, maintenant exclue de l’axe du mal ?
• Que vous inspirent les termes de l’entente ? Est-elle trop généreuse ?


Lire l'article complet, et les commentaires