L’après Fillon. Tombeau pour 500 000 Euros

par Renaud Bouchard
lundi 30 janvier 2017

Considère mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! malheureux, tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avais fait tant de projets de plaisirs ne te cause présentement qu'un mortel désespoir...

Guilleragues, Lettres Portugaises (1669). Première Lettre

Seule l’exaltation faisait défaut, et dans l’indulgence de sa rêverie nostalgique, Lloyd mit son absence sur le compte de la maturité – il avait quarante ans maintenant, et non vingt-trois ; s’il était une chose que lui avaient appris ses dix-sept années comme policier, c’était que les espérances diminuaient au fur et à mesure que l’on comprenait à quel point le gros de l’humanité était taré et qu’il fallait tenir cent discours apparemment contradictoires pour garder ses plus beaux rêves en vie.

James Ellroy, Lune sanglante(p. 74)

La complaisance qui a jusqu'à ce jour entouré M. F. Fillon dans sa course à l'élection présidentielle vient de connaître un très sérieux coup d'arrêt. Le Penelope Gate et l'ouverture d'une enquête préliminaire par le Parquet National Financier sur les activités de Mme Fillon n'ont rien d'un accident. Les événements se sont compliqués avec d'autres maladresses en attendant peut-être d'autres révélations.

Un candidat « caramélisé », une réaction catastrophique mais parfaitement compréhensible d'une opinion publique lasse des dérives politiques et des combines financières à la légalité comme à la moralité discutables, une image écornée, la perspective d'un naufrage politique imminent par une nuit sans lune, voici autant d'éléments qui ont très probablement déjà conduit les soutiens discrets et puissants de M. Fillon à l'impérieuse nécessité d'envisager très vite de changer de cheval.

Les affaires ont en effet trop attendu. Il est urgent de solder le quinquennat désastreux qui s'achève et de préparer une remise en selle pour entrer au plus vite dans le nouveau jeu d'une année 2017 dans laquelle une Europe affaiblie par le Brexit, un Royaume-Uni trouvant un deuxième souffle dans une relation privilégiée avec les Etats-Unis, une France zombie à la remorque d'outsiders à la ramasse, une Allemagne tenue en laisse par les nouveaux Etats-Unis de D.Trump, une zone Euro moribonde, une Russie et une Chine vigilantes, vont traverser de sérieuses turbulences.

Il est vrai que le profil d'intégrité absolue du magistrat à la tête du PNF donne matière à penser que si une infraction est susceptible d'être retenue dans l'enquête préliminaire actuellement diligentée dans la nébuleuse Fillon, elle le sera, tout comme interviendra le classement de l'affaire si rien de sérieux n'est finalement retenu.

Seules demeurent l'incertitude et la question de savoir quelle sera la nature de la décision judiciaire et quand elle interviendra.

La situation est donc à l'heure actuelle plus que critique car si chacun nomme vérité la part d'espoir qu'il se taille dans l'incertitude, il n'en demeure pas moins que pour quelques commanditaires qui analysent froidement les circonstances actuelles et futures, le « cas » Fillon est probablement en passe d'être réglé et l'exfiltration de l'intéressé - politiquement très mal en point -, susceptible d'être désormais déjà inscrite au calendrier.

Certes, dira-t-on, le challenger Macron a lui aussi les fils d'un chewing-gum sous les pieds avec ses 120 000 Euros de « frais de bouche », mais il n'y a là en effet rien de commun avec les 500 000 Euros de l'autre favori, d'autant plus que dans le camp d'en face, après l'élimination de M. Valls au profit de B. Hamon, les pièces du jeu commencent elles aussi à se mettre en place.

Une forte odeur de brûlé s'échappe donc des cuisines politiques de la droite et ce n'est pas le discours de rassemblement de F. Fillon à la Villette et ses paroles incantatoires à base de "Debout, toujours ! A genoux, jamais !" qui seront de nature à forcer l'avenir et galvaniser un électorat qui se ment à lui-même.

La machine à perdre n'est peut-être pas loin de se remettre en marche et avec l'éventualité d'un trois de chute (Sarkozy, Juppé et Fillon), on ne voit pas tellement qui pourrait prendre la relève, sauf à imaginer un nouveau tour de bonneteau avec, sous chaque gobelet, un choix délicat à effectuer entre le retour de candidats déclassés ou de circonstances, tels MM. Bruno Le Maire, Laurent Wauquier, Xavier Bertrand, ou pourquoi pas François Baroin. Piètre perspective car l'heure tourne !

Inutile de préciser qu'avec un pareil attelage pour tirer de « nouvelles Primaires » si elles devaient avoir lieu, les carottes sont cuites, et que si d'aventure M.F. Fillon se trouve blanchi de tout reproche à titre personnel, il est fort probable que l'électorat qui l'a adoubé tout comme celui qui ne s'est pas reconnu en lui feront peut-être la grimace pour lui donner un blanc-seing, sans parler du reste du corps électoral que l'on voit mal parier sur un cheval aux aplombs fragilisés dont la cote est désormais devenue incertaine.

La « Trinité » Mélenchon, Hamon, Macron vivant sa vie tout comme la candidate Le Pen, on n'imagine pas non plus un Bayrou se glisser dans les interstices et tenter sa chance en raflant les quelques jetons politiques dispersés sur la table, ce qui reviendrait à confondre la mise avec la banque du casino.

Il n'y a donc plus personne susceptible d'émerger parmi la constellation politique qui s'agite sur scène depuis des années, de telle sorte que la porte est désormais ouverte.

Il ne reste plus qu'à souhaiter que l'électorat ne cède pas à la tentation de retomber dans les bonnes vieilles ornières électorales en essayant une fois de plus, mais pour la droite, cette fois-ci, de tenter in extremis de trouver comme candidat sortable le bibelot égaré ou le rossignol invendable traînant sur l'étagère, quitte à vendre finalement son âme...à un autre jeune homme qui lui aussi présente très bien et n'est sur le fond que l'autre face sinon l'image légèrement décalée de M. Fillon.

Où l'on voit, comme l'observait finement C. Baudelaire, que dans le jeu démocratique, ni les individus ni les valeurs n'ont plus de place définitive. C'est désormais le règne, non plus du premier, mais bien du dernier venu sorti du chapeau qui advient.

Rien n'est cependant encore joué car il existe une toute autre possibilité qui suppose que l'on réponde intelligemment à la question de savoir qui gagnera finalement le Grand Prix du Président de la République ?

 

Source :

Pierre Pachet, Le Premier venu, essai sur la pensée de Baudelaire, Denoël (2009)


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