L’arbitre Bayrou a les oreilles qui sifflent

par LM
mardi 24 avril 2007

Le troisième homme du centre a gagné en sex appeal depuis dimanche. Sarkozy lui fait du rentre-dedans, tandis que Ségolène lui propose un rancart. L’intéressé, lui, réfléchit surtout aux échéances de juin, où il voudrait conclure.

François Bayrou doit être content : il est aujourd’hui un homme qui compte. Lui qui sait apprécier la notoriété et ses reportages dans Paris-Match doit se frotter les oreilles en entendant son nom sortir de toutes les lèvres de gauche comme de droite dans cet entre-deux-tours.

Les lieutenants de Sarkozy, dont « d’anciens » UDF (Borloo, Robien, Santini, Douste Blazy) lui ont clairement signifié que pour eux il faisait « partie de la famille », que donc, « tout naturellement », pour reprendre une formule chiraquienne, il devrait soutenir Nicolas Sarkozy dans son ultime ascension vers l’Elysée. Sarkozy, lui, n’a pas exactement répété l’offre : hier à Dijon (son clocher, sa moutarde) il a redit sa volonté de rassembler tout le peuple français, mais en précisant, dans son inimitable style « si t’es pas content, dégage » : « Que l’on ne compte pas sur moi pour renier mon projet (...). Je ne construirai pas une union des partis sur le sacrifice de ma sincérité », avant de conclure par un « je ne marchanderai pas » plutôt précis. En clair : ce n’est pas à Sarkozy, en position de force, de demander de l’aide à Bayrou, c’est plutôt à Bayrou de savoir s’il veut ou non faire partie de la victoire UMP. "L’ouverture dont je veux être le candidat c’est l’ouverture de l’esprit" a poursuivi Sarko en explicitant : "L’ouverture d’esprit, c’est être capable de prendre en considération les raisons de l’autre (...) et de le respecter même quand on pense qu’il a tort (...). Nul besoin d’être d’accord sur tout pour que chacun puisse travailler avec les autres pour le bien commun." Sarkozy n’introduira donc pas de dose de centrisme dans son programme d’ici le 6 mai, mais ça n’empêche pas les électeurs de l’UDF de voter pour lui ; il prendra leur vote avec joie et gratitude.

Pour Ségolène, hier à Valence, la musique est autre. La dame de Melle (son clocher, sa maternelle) a certes réalisé un score remarquable, mais loin, très loin, des 31 de son adversaire. Soutenue très vite par ses amis d’une ultra gauche dérisoire, elle sait que pour l’emporter elle devra draguer, en profondeur, les voix de l’UDF. Et ce François Bayrou, qui n’avait, il y a encore quelques jours, « ni programme, ni équipe » selon les propres dire de Ségo, risque d’être dur à mener à l’abreuvoir. Alors la favorite de monsieur Hollande a choisi comme d’habitude, dans son inimitable style « arrêtez de m’applaudir on entend pas ce que je dis » : "La France a tout à gagner à l’ouverture des idées pour sortir des blocages d’un système dépassé. C’est pourquoi je propose un dialogue public sur la base du pacte présidentiel". Du Bayrou dans le texte, non ? Excepté l’insert « pacte présidentiel », on jurerait une déclaration du candidat béarnais. Un « dialogue public », donc un débat, pour rechercher des « convergences » entre son pacte à elle et sa vision de la VIe République à lui.

Ca paraît un peu fumeux, comme système, mais Ségolène n’a pas le choix : même les plus bornés de ses éléphants ont compris que pour avoir une chance de pas finir Fanny, il allait falloir coûte que coûte se trouver des atomes crochus avec le centre. Ou au moins faire revenir, ces « électeurs de gauche » qui ont voté Bayrou au premier tour parce qu’ils n’étaient pas convaincus que Ségolène puisse battre Sarkozy au second. Pour les faire revenir il faut les convaincre que si, c’est possible, l’oie blanche du Poitou peut arriver à ses fins, avec un peu d’orange sur son tailleur, voire quelques déplacements en tracteur.

C’est Rocard qui doit se marrer, bien sûr. Et pas seulement lui. Une petite revanche pour certains vieux croûtons socialistes que Ségolène avait raillé quand ils avaient appelé « trop tôt » selon la Dame, à rejoindre Bayrou. Aujourd’hui, Royal est obligée de le faire. Elle n’a pas d’autre choix. Et surtout pas de se lancer dans une campagne « tout sauf Sarkozy », que souhaite Besancenot, qui conduirait à une diabolisation du candidat UMP que ce dernier saurait sans difficulté retourner à son avantage.

« L’arbitre, dans un match de foot, c’est l’homme le plus important, non ? » a lâché hier, amusé, le très jovial ancien ministre de Sarkozy récent UDF Azouz Begag. François Bayrou s’est vu décerner ce rôle d’arbitre par les politologues. Ce qui doit le faire saliver, certes, mais l’homme connaît quand même suffisamment la musique pour savoir aussi qu’il a un frein à son ambition : les législatives. Dans la perspective de ce scrutin-là, il va devoir bien calculer son coup, siffler dans le bon sens. Pour que son parti « social-démocrate » ressemble à quelque chose et ne soit pas relégué au rang de « gadget », comme l’UDF l’a trop souvent été. C’est pour cela que Bayrou n’est plus dans la course à l’Elysée, il est passé à l’élection suivante, dès les résultats proclamés. Ce n’est donc pas tant des « convergences » qu’il va venir chercher à droite ou à gauche, mais plutôt quelques circonscriptions. L’assurance qu’un bon nombre de ses 577 candidats arrache le morceau.

Que Ségolène se méfie donc : le centre n’est pas cette terre d’asile où l’ordre juste serait tout heureux de s’épanouir, mais un terrain miné qu’elle devra sécuriser. Et puis, aussi important soit-il, l’arbitre ne fait pas les joueurs.


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