L’attaque un peu expéditive de Lordon contre Sapir

par Laurent Herblay
lundi 7 septembre 2015

Dans l’extraordinaire polémique déclenchée par les propos de Jacques Sapir sur la logique des Fronts pour s’opposer à la monnaie unique, Frédéric Lordon a écrit un papier pour dénoncer assez rudement les propos de son collègue. Toujours assez brillant sur le fond et la forme, mais très injuste pour Sapir.

 
Un constat global intéressant et brillant
 
Pour Lordon, « c ‘est bien pourquoi l’ordre dominant a impérativement besoin de ses monstres s’il veut soutenir – en y renvoyant systématiquement – le caractère monstrueux de tout ce qui n’est pas lui », comme la Corée du Nord pour la mondialisation, vers quoi les trolls néolibéraux renvoient. Pour lui, « leur opposition ‘radicale’ de surface masque alors la profonde solidarité structurale des deux termes supposément en conflit – le FN et le grand parti unique eurolibéral – qui sont, là encore, une bénédiction l’un à l’autre, au point de les faire vivre dans un parfait rapport de symbiose fonctionnelle : le FN prospère du monopole de singularité que lui abandonne le parti unique d’en-face, lequel, usé jusqu’à la corde, ne se maintient plus qu’en renvoyant au monstre tout projet de faire autrement  ».
 
Il poursuit : « car une chose est certaine, c’est qu’à part le terrorisme au FN, le parti eurolibéral (…) n’a plus rien à dire. Il est rincé, à sec, lyophilisé, de la pensée en granules, du discours en poudre (…) Par bonheur, quand il n’y a plus rien, il y a encore le FN. Et voilà aussi par quoi l’euro se maintient. Pour que le monstre remplisse son office cependant, il importe de lui faire absorber toute altérité possible, et de confondre toutes les alternatives en une seule, la sienne – monstrueuse. C’est bien pourquoi les idéologues eurolibéraux, journalistes embedded en tête, n’ont jamais rien eu de plus urgent que d’assimiler ainsi toute idée de sortie de l’euro au nationalisme xénophobe du FN, d’égaliser strictement les deux termes, opportunément soudés dans la même indignité  », des constats que je partage.
 
Mais un propos injuste pour Sapir
 
Le papier de Lordon a déclenché un débat passionné sur son blog, un commentateur, Alexandre Tsara, contredisant de nombreux aspects de son argumentation, repris sur le blog Pendant ce temps-là, dont j’ai trouvé le lien dans le papier de soutien à Jacques Sapir de l’ami RST. Cette polémique est comme un écho des débats que j’ai pu avoir sur la question au sein de Debout la République, même s’il faut reconnaître que la place d’un intellectuel n’est pas la même que celle d’un responsable politique. Mais ici, ce qui est injuste, surtout dans un papier aussi long et travaillé, c’est finalement le manque d’attention de Frédéric Lordon aux propos tenus par Jacques Sapir : pas de citation et un résumé simpliste, que l’on peut considérer comme pas vraiment honnête, de l’auteur du blog Russeurope.
 
Ainsi, Lordon fait à Sapir le même procès que lui font les idéologues eurolibéraux, journalistes embedded en tête, ce qui devrait éveiller quelques soupçons, d’autant plus que Sapir soutient que « la participation du Front National à ce ‘front’ n’est pas aujourd’hui envisageable  »… Alexandre Tsara fait également un joli sort à l’argument a priori séduisant du « mono-idéisme  », en soulignant justement qu’il faut savoir faire des priorités en politique et que la Grèce montre que la sortie de la monnaie unique, voir de l’UE, pourrait bien être la priorité des priorités pour pouvoir enfin mener une politique alternative, comme l’explique bien Sapir dans ses papiers. Enfin, Frédéric Lordon semble s’enfermer dans une vision politique où, malgré tout, la gauche serait forcément du bon côté, et la droite pas…
 

Voilà pourquoi, même si je persiste à penser qu’il n’y a pas de dialogue possible avec un parti comme le FN, qui solde ses principes en Chine pour les tee-shirts de ses universités, et pour bien d’autres raisons, je pense que Frédéric Lordon fait un bien mauvais procès à Jacques Sapir.

 


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