L’avion de vie de l’Etat

par Arturo Bandito
vendredi 22 décembre 2006

 L’avion de vie de L’Etat

Quand le train ne suffit plus...

Depuis deux semaines Le Canard enchaîné développe une affaire qui peut sembler des plus anecdotiques : le voyage en jet privé de notre ministre des Affaires étrangères pour l’Inde.

Un rappel des faits rapide s’impose, M. Douste-Blazy devait se rendre en Inde pour la fondation Unitaid (lutte contre le Sida) qu’il préside. Afin qu’il effectue cet aller-retour, le Quai d’Orsay a eu recours à la société privée suisse Privatair qui lui a fourni la prestation. Jusque-là rien que de tout à fait compréhensible, cependant le diable se glisse dans les détails, ainsi, notre ministre a décidé d’être accompagné lors de son périple par trente-deux personnes parmi lesquelles douze journalistes mais également des proches. Ensuite l’avion réservé n’était pas vraiment un Scénic des airs, mais bien un Boeing 757 (l’avion le plus luxueux de la compagnie) qui est passé de deux cents places en version commerciale à quarante-neuf pour permettre entre autres l’installation de tables à dîner. Il est à noter que ces tables ont bien été rentabilisées puisque les menus comprenaient (je cite le Canard) : « Caviar, saumon fumé, foie gras, Nuits saint-Georges et Puligny-Montrachet ».

Coût total de la location : environ 280 000 euros !

Si l’on voulait s’amuser à calculer le coût total de l’opération, il faudrait y ajouter également les chambres dans un palace indien, etc. Nous laisserons ces tâches comptables, en tout cas on l’espère, à la Cour des comptes. Il me semble plus urgent de profiter de cette affaire pour remettre au goût du jour un sujet que les politiques, et en particulier nos candidats à la présidentielle, évitent d’évoquer ou, quand ils y sont contraints, le font avec le moins de détails et d’engagements fermes que possible. Je parle bien entendu de la réduction du train vie de l’Etat, et en particulier de ses dirigeants.

Si l’on voit régulièrement nos fonctionnaires de base dans la rue à la suite de quelque mesure destinée à leur serrer un peu la ceinture, il n’en va pas de même de nos dirigeants. Et pour cause ! Ceux-ci se gardent bien de s’appliquer la rigueur dont ils ne cessent de nous expliquer la nécessité à longueur de campagnes.

Ne serait-il pas de leur devoir de montrer l’exemple aux autres membres de la nation, qu’il s’agisse du fontionnaire de base ou du chômeur jusqu’au cadre dirigeant bénéficiant de stock-options ? Car il ne faut pas s’y tromper quand il s’agit de stigmatiser les Français pour leurs prétendus abus et manquements aux règles de la bonne gestion, nos politiciens n’hésitent pas à dégainer et tirent aussi bien sur la France d’en bas que sur celle d’en haut ! J’en prends pour exemple les quelques phrases suivantes.

Nicolas Sarkozy, le 23 juin 2006 (source LCI.fr) : "La réhabilitation du travail, elle passe d’abord par une certaine morale", a-t-il poursuivi. Il a tancé également ceux dont "la gestion est un échec" et qui négocient "une prime d’éviction en forme de parachute en or".

Ségolène Royal, le 21 août 2006 (source Libération) : « Réarmer le politique, en interdisant les stock-options ».

Je ne sais pas si le parachute de M. Douste-Blazy était en or, mais son avion l’était sûrement. Sa gestion de la diplomatie française n’est-elle pas jugée comme un échec par beaucoup, y compris au sein de son propre camp ?

Au-delà du cas Douste-Blazy, il s’agit de revoir les décisions de dépenses de nos dirigeants sous l’angle de l’efficacité et de la bonne gestion qu’ils aiment à rappeler aux autres membres du corps social. Nous sommes nombreux à avoir été marqués par un reportage sur les mœurs du gouvernement suédois (Capital sur M6, novembre 2005), une éthique dans la dépense des impôts de leurs concitoyens qui nous semblent à nous, Français, inconcevable. Les règles juridiques qui organisent les dépenses des ministères et des ministres sont des plus draconiennes, et les journalistes peuvent librement compulser et commenter les notes de frais des membres du gouvernement.

Je conçois tout à fait que ce sujet soit à manier avec des pincettes car l’on risque à tout moment de sombrer dans le populisme, faire le lit du Front national et toutes sortes d’anathèmes qui peuvent vous être jetés à la figure. Il n’en demeure pas moins que chaque Français peut quotidiennement voir ces abus institutionnalisés et en témoigner. De la lecture du Canard enchaîné, aux cortèges de voitures qui bouleversent la circulation en plein Paris en passant par les excès de nombreuses collectivités locales (Georges Frêche menant grand train sur M6 également), chaque Français dispose d’anecdotes à profusion pour se convaincre de cette situation choquante.

Qu’importe, diront certains, si notre président de la République a multiplié par neuf depuis sa prise de fonction le budget de l’Elysée (Le Monde du 16 novembre 2006), cela demeure une goutte d’eau dans le tonneau des Danaïdes de nos finances publiques. Cela n’enlève pas à nos responsables politiques leur devoir d’exemplarité qu’ils mettent bien trop souvent de côté. Est-il nécessaire dans ce cadre de rappeler l’attitude d’Alain Juppé qui, autorisé à prendre sa retraite du Conseil d’Etat depuis le 1er janvier 2003, par arrêté du 13 novembre 2002, partit prématurément en cumulant ses indemnités de député et de maire de Bordeaux ?

Quel valeur a la parole de nos politiques dans ces conditions lorsqu’ils appellent les patrons à plus d’éthique, les syndicats à plus de mesure et les Français en général à plus de sacrifices ?

Je pense fortement que les candidats des partis de gouvernement devraient prendre rapidement et clairement position sur ces sujets qui contribuent à radicaliser ou à démobiliser l’électorat. Il est criminel de prétendre ignorer ce problème alors que la campagne prend chaque jour une tournure plus populiste et simplificatrice, et que les sondages semblent être favorables à une progression des idées du Front national.


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