L’échec des « trucs en -isme »

par Robert Biloute
mardi 4 novembre 2008

Depuis que je suis en âge de m’intéresser à la marche du monde, des premières rébellions adolescentes essentiellement esthétiques, jusqu’aux discussions passionnelles avec le tonton votant FN, je sens comme un désabusement chez moi.

La chute

Ce désabusement plane toujours en arrière-fond, au cœur même des certitudes les plus profondes. J’ai tendance à l’associer à ma "génération" ou, en tout cas, aux personnes ayant grandi dans une période où le plus grand événement géopolitique mondial fut la chute de l’empire URSS.

Cet empire, historiquement fer de lance du communisme, a entraîné dans son effondrement l’annihilation de toute velléité à penser un système différent, plus équitable. Il l’a même fait bien avant, en pervertissant la théorie marxiste et en créant en pratique un modèle politique allant fondamentalement à l’encontre des idées qui furent sa source : négation de la liberté individuelle par un pouvoir outrageusement centralisé, négation de l’égalité avec la création des "apparatchiks" ; négation de l’humanisme même après toutes les exactions commises au nom du parti et de la grandeur du pays.


Le communisme a-t-il existé ?

En résumant à la serpette, on peut donc dire que le système d’idées, purement théorique, mis en place par Marx et repris par d’autres plus ou moins fidèlement, s’est transformé dans la pratique en un alibi commode pour asseoir la domination d’un groupe limité de personnes.

Quand on regarde l’Histoire, il est finalement censé de se poser la question : "la doctrine communiste a-t-elle jamais été appliquée ?"

Pour préciser : a-t-elle bénéficié, ne serait-ce qu’un mois, d’une mise en pratique effectuée par des personnes profondément convaincues de son utilité et tout acquises à son application, pour le bien-être de tous ?

Ou en version condensée et plus accrocheuse : pensez-vous réellement que Staline peut être qualifié de communiste ? Pensez-vous réellement qu’il appliquait une doctrine précise dans le but d’améliorer le sort des citoyens ?


Le libéralisme a-t-il existé ?

Or, voici qu’on nous annonce la chute du libéralisme.
Bien que le cadavre soit encore chaud, et peut-être pas si mort, tentons la même rétrospective qu’avec le communisme : le libéralisme a-t-il été appliqué ?


- utilisation massive de subventions (notamment à l’agriculture) dans les pays dits développés ;

- imposition aux pays dits sous-développés de règles économiques favorisant les Etats déjà riches, par le biais du FMI ou autres organes pas si indépendants (dont le rôle dans la crise alimentaire semble plutôt très important) ;

- de manière générale, intervention systématique de l’Etat à chaque grande crise, et même entre deux crises (on en a un exemple en ce moment même, mais on pourrait également citer le new deal de Roosevelt).

- les politiques se déclarant libérales, et ce partout dans le monde à ma connaissance, s’accompagnent toujours d’un conservatisme social marqué (répression, morale, droits du travailleur, "c’était mieux avant, on est allé trop loin"…).

On retrouve ici ce que d’aucuns appellent la contradiction fondamentale de l’homme de droite moderne : profondément libéral dans le travail, il lutte pour la liberté d’entreprendre n’importe quoi pourvu qu’il y ait production de "richesses", profondément conservateur à la maison, il lutte pour que ces enfants ne subissent pas les affres de l’immoralité du consumérisme.


Peut-on encore croire aux idéologies ?

Il est frappant de constater que ces deux trucs en -isme, le communisme et le libéralisme, sont fondés sur des doctrines extrêmement séduisantes en théorie, car prenant leur source dans des valeurs fondamentales de l’être humain jusqu’ici :

- pour le communisme, l’égalité : le rêve d’un monde meilleur ou la disparition de l’inégalité permettra l’épanouissement de tous et l’avènement de "vraies" valeurs, par opposition aux valeurs perverties du capitalisme ;

- pour le libéralisme, la liberté : le rêve d’un monde meilleur ou la disparition de la contrainte permettra l’épanouissement de tous via l’expression libre par chacun de son intérêt, et par la satisfaction des besoins individuels.

Dans les deux cas, l’histoire finit par une contradiction profonde des règles fondamentales de la doctrine par ceux-là mêmes qui déclarent l’appliquer, et par une appropriation de l’immense majorité des fruits de la société par un groupe restreint d’individus.

Il est en outre intéressant de constater que ce groupe restreint d’individus est composé de ceux qui bafouent les règles de la doctrine tout en s’en réclamant.


Et maintenant ?

Il y a là une faiblesse commune, dont on devrait tenir compte dans le cadre d’une éventuelle refonte d’un système idéologique. Le prochain système, s’il arrive, ne pourra pas se contenter de belles paroles et de valeurs fondamentales : il devra prendre en compte la difficulté systématique des êtres humains à ne pas se trahir et à ne pas trahir les autres.
Pour employer un terme d’ingénierie, il devra être robuste face à cela.

Une petite pensée pour les nouvelles générations, celles qui viendront après la chute du communisme, après la chute du libéralisme : ne vous découragez pas, ne vous illusionnez pas, gardez les yeux ouverts et cherchez.


Robert Biloute

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