L’électorat de gauche aux abonnés absents
par Henry Moreigne
lundi 7 octobre 2013
Il y aura un avant et un après Brignoles (Var). Au premier tour de l'élection cantonale partielle qui s'est déroulée ce week-end dans le Var, le Front National est arrivé largement en tête avec 40,4 % des voix, devant la candidate UMP (20,8 %). Mais surtout, les deux candidats de gauche, PCF et EELV ont été éliminés dès le premier tour du scrutin dans un canton pourtant remporté par la gauche en 2012. Epiphénomène ou présage inquiétant ? C'est bien le fantôme du 21 avril 2002 qui va planer sur les municipales de 2014.
Le décor n'est pas réjouissant. Le PS est embourbé dans la crise, la pratique gestionnaire et les promesses non tenues. Le Front de Gauche, inaudible, est à la ramasse. Les écolos enfin qui ont sacrifié leurs idées à leur présence au gouvernement sont en voie de marginalisation. Bref, la gauche est mal en point. Son effacement rejoint celui d'une UMP incapable de se remettre de la guerre fratricide qui la traverse encore. La nature ayant horreur du vide, un boulevard s'ouvre à un Front National, en apparence pasteurisé, désormais bien décidé à exercer des responsabilités.
Marine Le Pen plus affutée que jamais entend bien mettre la touche finale au travail de normalisation qu'elle a engagé. La sémantique étant aujourd'hui le dernier cordon sanitaire autour du FN, sa dirigeante menace désormais de poursuites devant les tribunaux ceux qui continueraient à le qualifier de "parti d'extrême droite". Adopter le langage de son adversaire c'est le premier pas vers la défaite. Changer la qualification donnée par son adversaire c'est gravir la première marche qui mène vers la victoire.
La rupture des symboles ne s'arrête pas là. Le délitement se poursuit. Ce matin sur France Inter, Jean-Luc Mélenchon a prononcé l'oraison funèbre du front républicain en déclarant que dans le cas de Brignoles, grosso modo UMP et FN c'est la même chose. Fidèle à sa stratégie qui vise à provoquer l'effondrement à gauche pour entreprendre une refondation autour de son parti, il emboîte le pas à François Fillon dans le refus de choisir. Faute de partenaire pour constituer un front, le PS se retrouve désormais isolé derrière ce qui est devenu une ligne Maginot, inopérante face à la guerre de mouvement conduite par le FN.
Au PS on a bien conscience du coup de tabac qui s'annonce. Christophe Borgel, secrétaire national aux élections du PS, estime que le parti d'extrême droite pourrait recueillir 10 à 15 points de plus que les 17,9 % du premier tour de la présidentielle. L'exécutif en a également pris la pleine mesure mais le PS donne l'impression d'être l'équipage d'un gros navire qui vient de s'apercevoir tardivement de la présence d'un iceberg sur sa route. L'inertie est telle que malgré les manœuvres et le coup de gouvernail le choc semble inévitable.
La responsabilité est historique pour une gauche aux abois et au premier chef pour la présidence de la république. Loin de se poser la question d'une inflexion possible de la politique actuellement menée, d'évaluer les raisons du désarroi, l'exécutif et le PS s'enferment dans un autisme et une autosatisfaction suicidaires. En alimentant la déception et par ricochet l'abstention, le PS après les raisons de la colère promet de belles vendanges au FN.
A ce titre, Jean-Luc Mélenchon a malheureusement raison lorsqu'il martèle que "le FN prospère sur la résignation" et que "le principal pourvoyeur de ses voix est à l'Elysée".