L’envol présidentiel de François Fillon, trancheur de nœuds (1/2)

par Sylvain Rakotoarison
samedi 2 mars 2013

Finie la rivalité avec Jean-François Copé, finie la soumission à Nicolas Sarkozy. François Fillon a montré qu’il savait cogner dur contre le gouvernement, parfois avec une ironie mordante, et qu’il savait exprimer clairement son ambition présidentielle au service d’un projet solide. Métamorphose d’un suiveur en leader. Première partie.

C’était la semaine de rentrée politique de l’ancien Premier Ministre François Fillon après plus de deux mois de silence médiatique qui sortir des vapeurs de la crise à l’UMP : une (courte) intervention au journal de 20 heures de Claire Chazal le dimanche 24 février 2013 (où il n’a pas dit grand chose sinon ne renoncer à rien), une interview au journal "Le Monde" publiée dans l’après-midi du mardi 26 février 2013 et un grand meeting à la Mutualité de Paris, le même jour à 19h00.


Salle bondée

Le choix de la date et de l’heure pouvait surprendre (en pleine semaine, un mardi, à 18h30, juste avant les vacances d’hiver pour les Parisiens) : était-ce le meilleur moment pour mobiliser le plus de monde ? Paraphrasant André Malraux à propos du gaullisme, François Fillon a même remarqué, petite pique contre Jean-François Copé : « L’UMP est loin d’être la maison des Français qui se pressent dans le RER de 18 heures . ».

Pourtant, la foule a été au rendez-vous et la salle, qui compte deux mille sièges, remplie à craquer, beaucoup de participants devant rester debout. Non seulement François Fillon a réussi son pari de mobiliser ses troupes mais il a réussi à mobiliser un large aréopage de hiérarques de l’UMP : Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Gérard Larcher, Christian Poncelet, Bernard Accoyer, Hervé Gaymard, François Baroin, Jérôme Chartier, Éric Ciotti, Christian Estrosi, Gérard Longuet, Jean Tibéri, Pierre Lellouche, Jean Leonetti, Éric Woerth, Patrick Devedjian, Bernard Debré…

La "guest star" fut évidemment Nathalie Kosciusko-Morizet qui, par sa présence, a apporté son soutien à François Fillon tandis que ce dernier, réciproquement, a apporté le sien à la candidature de l’ancienne ministre à la mairie de Paris. Ce fut l’occasion pour François Fillon d’annoncer qu’il ne souhaitait pas concourir pour Paris, qu’il ne voulait pas cumuler les mandats et qu’il était favorable au renouvellement des générations.



Ovationné lors de son arrivée dans la salle (la même où Nicolas Sarkozy avait annoncé sa défaite électorale le 6 mai 2012) et englouti par la mare jaillissante des journalistes et photographes, François Fillon a prononcé un discours très construit, très combatif, clair dans ses intentions, incisif, avec la prétention d’être le véritable leader de l’opposition (lire le texte intégral du discours ici).


Désormais à son compte

La mue s’est réalisée lentement, progressivement mais sûrement. François Fillon est un homme réservé, courtois, élégant et semble avoir toujours eu des scrupules lorsqu’il voulait avancer ses ambitions. Jusqu’à maintenant, il avait toujours cheminé dans le sillage d’un autre : Joël Le Theule (1978-1980), Philippe Séguin (1981-2001), Jacques Chirac (2001-2004) et Nicolas Sarkozy (2004-2012). Le voici maintenant libéré de ses parrains et seul, seul face à son ambition nationale.

Pour bien le faire comprendre, il a même dû décocher quelques flèches pour prendre son envol en solitaire ; que ce soit Nicolas Sarkozy ou lui, ils sont maintenant au même niveau, dans l’opposition, sans pouvoir de décision sur l’avenir de la nation : « Nos lauriers sont à terre. Il n’y a plus ni préséance, ni hiérarchie. (…) Ne cherchons pas d’excuses ou de sauveur suprême car en République, ce sont les citoyens eux-mêmes qui se sauvent ou qui se perdent. ».

L’entourage de Nicolas Sarkozy a même dû réagir en rappelant que les deux hommes ne seraient pas de la même catégorie. Pourtant, une telle réaction va dans le sens de François Fillon et a mis en valeur justement le début de cette aventure solitaire, histoire de faire comprendre que Nicolas Sarkozy appartient au passé comme Valéry Giscard d’Estaing a appartenu au passé depuis sa défaite du 10 mai 1981. Et malgré cela, l’avenir n’est pas vide.


Stature présidentielle

Aujourd’hui, François Fillon trace désormais son propre sillage avec une double cible : l’élection présidentielle de 2017 en passant par une primaire ouverte de l’UMP en 2016, primaire qui avait tellement favorisé médiatiquement le candidat socialiste en 2011.

Homme d’État, il n’a plus rien à prouver sur sa capacité personnelle à décider au plus haut niveau du pouvoir : « J’ai vécu dans l’intensité des responsabilités gouvernementales, au point de me sentir parfois dépossédé d’une part de moi-même. (…) L’épopée du Général De Gaulle, c’est elle qui avait fait de moi un militant… Trente-cinq ans plus tard, vous êtes à Matignon, dans votre bureau, face à votre époque. Les marges de manœuvre sont réduites à néant par la crise. (…) Le pays tape à votre porte pour qu’on l’aide et le protège. Vous l’aidez, vous le protégez du mieux possible, mais vient le moment où vous dites "non". (…) Mais ce "non" fait de vous un homme qui fait passer ses responsabilités avant ses intérêts. Ce "non" vous transforme. ». Il a également affirmé assumer tout le quinquennat précédent : « Nous avons évité à notre pays le drame que vivent les Grecs, les Espagnols, les Irlandais. ».




Un discours très réfléchi

Sur la forme, François Fillon a lu un peu trop souvent ses notes mais s’est montré globalement un bon orateur, lançant ses attaques en plein dans le mille ou distillant ses intentions personnelles bien plus clairement que d’habitude.

Sur le fond, son discours a été très bien construit intellectuellement, en n’étant pas seulement une critique du gouvernement actuel mais aussi un mode d’emploi pour construire son projet présidentiel. Son leitmotiv a été de vouloir trancher des nœuds qui minent la société française. On ne peut pas s’empêcher, bien sûr, de mettre en perspective cette construction avec le fameux "nœud gordien" de Georges Pompidou dont François Fillon se veut le lointain héritier.



Prenons d’abord les critiques contre le pouvoir actuel.


Vous aimez Voltaire ? On nous prend pour Candide !

François Fillon a mis les rieurs à ses côtés en critiquant la nomination de Ségolène Royal comme vice-présidente de la BPI (la banque publique d’investissement). Elle est issue de la même promotion à l’ENA que le président de la BPI, Jean-Pierre Jouyet mais aussi de son ancien compagnon et actuel Président de la République François Hollande, de la directrice de cabinet de celui-ci (Sylvie Hubac), du Secrétaire Général de l’Élysée (Pierre-René Lemas) et du Ministre du Travail MIchel Sapin (même promo par ailleurs que Dominique de Villepin).

Il a été très dur ses les fausses promesses d’exemplarité : « Il est vrai qu’on vient de créer une Banque publique d’investissement. Mais c’est aussitôt pour en confier la direction à la promotion Voltaire. "Moi, Président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit exemplaire !". Je ne savais pas que madame Royal si experte des circuits financiers… Vous aimez Voltaire ? Vous feriez bien, car on nous prend pour Candide ! ». C’était pourtant prévisible dès le début de la campagne électorale.



Cette petite phrase n’est pas venue par hasard : quelques heures auparavant, François Hollande décorait effectivement à l’Élysée, entre autres (il a aussi décoré Edgar Morin), un ancien de sa promo, Dominique Villemot, à qui il a dit, pour plaisanter : « Une fatalité pèse sur vous : vous êtes sorti de la fameuse promotion Voltaire de l’ENA. Toute distinction d’un de ses membres devient suspecte. Elle apparaît comme une faveur, une indulgence pour ne pas dire une connivence, un privilège. Je m’en voudrais presque d’avoir réussi le concours cette année-là si ça devait effacer la lucidité des commentateurs sur les mérites des anciens élèves issus de cette promotion qui ne me doivent rien, à qui je doit peut-être beaucoup. » (en disant cela, d’ailleurs, François Hollande ne s’est pas aidé, car décorer des personnes à qui l’on doit beaucoup, cela pourrait s’apparenter à du renvoi d’ascenseur, pour ne pas dire plus).


Il n’y aura plus assez de sapins

La principale critique a porté sur la politique économique désastreuse : « Les socialistes préfèrent demander aux ménages et aux entreprises de payer la note des déficits plutôt que d’exiger de l’État qu’il se serre la ceinture. (…) Le gouvernement stigmatise et surtaxe le capital mais supplie les investisseurs étrangers de venir sauver nos entreprises malades. Voilà la contradiction du socialisme : d’un côté, la démagogie fiscale dans l’Hexagone ; de l’autre, la course aux financements extérieurs. ».

François Fillon a violement fustigé les prévisions du gouvernement : « Il aura suffi de six mois pour pulvériser les hypothèses de croissance que le gouvernement avait érigées en objectifs centraux de son action. Le taux de croissance sera proche de 0% et le déficit de 3,7%. On appréciera au passage la nouvelle cacophonie gouvernementale, avec Fabius qui ouvre le bal en livrant son pronostic sur le taux de croissance, Moscovici qui voit passer les balles, et Ayrault et Hollande qui pédalent. (…) François Hollande s’était engagé à réduire le déficit. (…) Un engagement de campagne de plus aux oubliettes ! Le cimetière des promesses électorales non tenues s’étend chaque jour. Bientôt, il n’y aura plus assez de sapins ! ».


À côté de l’urgence

Autre critique, celle contre le mariage pour les couples homosexuels : « La récession nous guette, l’Europe stagne, et sur le plan intérieur, la France se déchire sur la question du mariage. Derrière ce mariage (…), je vois poindre une vision de la société à laquelle j’oppose ma conception de la République. Je veux parler de cette société où l’extension des droits l’emporte sur tout autre considération. (…) Je ne veux pas caricaturer tous ces sujets qui sont sensibles et sur lesquels aucune réflexion n’est en soi illégitime. Mais je pose une question : à quand un projet de loi où figure le mot "devoir" ? Il y a une dérive inquiétante à voir un gouvernement se pencher sur les attentes de chacun sans jamais s’interroger sur l’unité de la nation. ».

Craignant que la conception de la « citoyenneté à géométrie variable » du gouvernement n’entraîne le communautarisme et l’égoïsme, François Fillon voudrait un pays qui se sente solidaire : « Dans un monde de sept milliards d’habitants, tout notre objectif est au contraire de solidifier nos repères communs. Les soixante-cinq millions de François ne doivent pas être encouragés à dire "et moi, et moi, et moi", mais entraînés à dire "et nous" ! ».

Pour l’ancien Premier Ministre, le souci réel est la priorité de l’action publique : « Nous sommes sur la pente du déclin, et je n’accuse pas François Hollande d’en être le seul responsable, je ne l’accuse même pas d’être socialiste, je l’accuse d’être à côté de l’urgence ! ». Une phrase qui redonnait sens aussi à son évocation du suicide d’un demandeur d’emploi devant une agence de Pôle Emploi de Nantes ou à celle de la guerre au Mali.


Foucades ministérielles

François Fillon a tenu des propos sans concession contre les saillies intempestives du Ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon : « L’urgence n’est pas de créer des zones pour les vacances d’été mais de recentrer l’école sur les savoirs fondamentaux, sur l’apprentissage du respect des autres et de l’autorité, l’ouvrir sur le monde du travail, la placer au cœur de la République » pour observer : « Quelle autre école dans le monde vit au rythme des foucades d’un ministre qui affectent douze millions d’élèves et leurs familles ? ».


C’est évidemment toujours facile de jouer au chamboule-tout quand on est dans l’opposition. Toutefois, François Fillon a passé une grande partie de son meeting, au contraire, à chercher des pistes de proposition pour redresser la France, que je détaillerai dans le second article consacré à cette intervention publique.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (1er mars 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Fillon n’est-il qu’un simple collaborateur ?
François Fillon, le sauveur de l’UMP ?
François Fillon à Matignon.
François Fillon, rigueur et vérité.
François Fillon candidat à la présidence de l’UMP.
L’UMP réconciliée ?
François Fillon et le syndrome Raymond Barre.
Discours de François Fillon à la Mutualité le 26 février 2013 (texte intégral).
Interview de François Fillon au journal "Le Monde" daté du 27 février 2013 (texte intégral).


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