L’Etat, une machine cybernétique dont les Nombreux rejettent la dernière réponse fonctionnelle : le CPE

par Le bateleur
vendredi 24 mars 2006

Ce qui se passe actuellement en France à propos du contrat première embauche, mérite, au-delà des analyses de l’objet lui-même (le contrat), d’être étudié comme élément d’un tout cohérent, d’une attitude globale du politique (de l’entreprise, au sens large ?) à une époque caractérisée par le court terme, l’accélération de l’information et le besoin de sécurité.

Il y a vingt ans, les entreprises et les Etats avaient des objectifs à court, à moyen et à long termes. Il semble qu’actuellement (et la disparition du Plan en France l’atteste) le moyen terme n’existe plus, le long terme ne soit élaboré que pour mystifier les concurrents et rassurer les actionnaires, alors que le court terme se transforme en ce que certains managers nomment « réactivité » et qui n’est, en fait, qu’une adaptation de type cybernétique aux modifications déséquilibrantes de l’environnement de l’entreprise, du pays... 

Dans son excellent ouvrage L’empire cybernétique->http://livres.lexpress.fr/critique.asp?idC=8995&idR=12&idTC=3&idG=8] - Des machines à penser à la pensée machine, Céline Lafontaine évoque cette évolution du mode de fonctionnement des systèmes pilotés par l’homme et qui ressemblent de plus en plus au modèle fourni par cette science, inventée pour tenter de donner à la machine la complexité de l’humain, et qui semble avoir contribué à l’exact contraire, à savoir faire des décideurs des machines cybernétiques (il en va de même dans le domaine de l’enseignement dit autrefois « assisté par ordinateur » et qui se dissimule désormais en « nouvelles technologies de l’éducation »).

Ce qui domine dans ce type de réaction aux dysfonctionnements (et désagréments) de toutes sortes est ce que les spécialistes de ce domaine nomment boucle de rétroaction positive. Dans cette réponse, il n’y a pas de projet, il n’y a plus d’analyse globale, le système, cherche la forme de moindre résistance (comme la bulle de savon sous la pression, qui résout « naturellement » une équation différentielle très complexe).

L’outil majeur est ici la réponse fonctionnelle. A tout problème correspond une solution qui en est l’empreinte.

On retrouve ici notre point de départ, en même temps que le type de dérive qui l’a produit. La réponse fonctionnelle invente sans cesse des objets nouveaux, elle ne réorganise pas l’existant (shuntant la première étape de tout projet, à savoir l’état des lieux, et celui-ci est particulièrement indigent dans le cas du CPE). Ainsi le problème que voulait traiter le Premier ministre étant "la difficulté que les jeunes ont à trouver un premier emploi", sa réponse a naturellement pour titre, : « contrat (les réponses fonctionnelles formelles sont de nouvelles lois et de nouveaux contrats) première embauche » (cela tient de la pensée réflexe, et a peu à voir avec la réflexion et la définition d’un projet sur le long terme, cohérent avec l’existant).

On met donc au monde un nouveau produit, censé ici résoudre à la fois la question de la première embauche des jeunes et celle de la flexibilité de l’emploi. S’il avait été appelé "contrat premières embauches à flexibilité maximale" (pluriel indispensable *), la loi aurait tenu tout entière dans son nom.

Très souvent, ce type d’approche ** « fonctionne » pendant quelque temps, puisqu’il vise à s’adapter aux symptômes (plus qu’à guérir ***), mais bien évidemment, à long terme, l’absence de cohérence d’ensemble finit par produire à son tour du dysfonctionnement, voir pire. ****

Après la discussion sur la énième loi inutile ****, voir nocive à la France, tôt ou tard une réaction plus vigoureuse que les autres ne pouvait manquer de se produire, marquant l’exaspération des Nombreux face à cette absence totale de gestion de la France sur le long terme, et cet excès de fonctionnement réflexe débouchant sur ces réponses exclusivement adaptatives. Le CPE était le produit de trop.

Ainsi peut se comprendre à la fois l’opposition très majoritaire contre ce nouveau contrat, et le caractère relativement modeste de la mobilisation (son amplification lente n’étant que le résultat conjugué de l’attitude quelque peu hautaine de Monsieur de Villepin et de l’opportunisme des socialistes qui attisent le conflit en faisant de la suppression de la loi la condition première à des propositions alternatives dont personne à cette heure ne sait rien.)

Ainsi, si le gouvernement souhaite gouverner, ce n’est pas tant le CPE qu’il faut abroger que ce fonctionnement minimaliste, purement réactif, mimé des systèmes d’autorégulation de la cybernétique, et dont un Etat digne de ce nom ne peut se contenter.


* il a été ajusté au CNE après quelque temps ... sa nécessité était pourtant une évidence. ** Nicolas Sarkozy « fonctionne » très souvent de cette manière (et le dit même explicitement : « Je dis aux gens ce qu’ils veulent entendre », « Je fais ce qui répond à leur demande »... Nous sommes déjà dans la démocratie en direct, comme le dit Virilio : « Plus rien ne part, plus rien ne voyage ... tout arrive ») *** On s’occupera alors par exemple du sentiment d’insécurité plus encore que de la sécurité elle-même. **** L’art d’allumer des contre-feux ou de créer des diversions est alors très précieux ... mais ne fait, lui aussi, que retarder la tendance générale. **** A propos des aspects positifs de la colonisation


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