L’exécution de Louis XVI, le péché originel de la République française ?

par Sylvain Rakotoarison
samedi 21 janvier 2023

« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi (…). La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général De Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du Président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu. » (Emmanuel Macron, le 8 juillet 2015).



Il y a 230 ans, le 21 janvier 1793 dans la matinée, le roi Louis XVI est mort guillotiné en public à l'âge de 38 ans, exécuté par les révolutionnaires. Une date qui fait partie de l'Histoire de France, pas la plus belle, mais qui, avec les autres nombreuses victimes de la Terreur, constitue une sorte de péché originel d'une République qui s'est bâtie sur du sang.

La réflexion de celui qui n'était pas encore Président de la République, Emmanuel Macron, sur cette figure du roi absente des institutions, n'est pas nouvelle et a été aussi très étudiée par De Gaulle face à un régime parlementaire très insatisfaisant. Il avait résolu le problème en proposant comme sacre du chef de l'État la consécration électorale du suffrage universel direct, seule légitimité populaire acceptable dans une démocratie républicaine.

On a souvent comparé les Présidents de la Cinquième République à des monarques républicains, ce qui est faux en ce sens que l'État de droit existe dans sa permanence et les contre-pouvoirs également (pour s'en convaincre, il suffit d'observer que deux anciens Présidents de la République ont été condamnés par la justice de leur pays). Mais l'imaginaire collectif est celui-là, celui d'un chef qui peut tout, qu'on élit puis qu'on conspue, au point, lors de la crise des gilets jaunes, que certains auraient voulu recommencer cette funeste journée du 21 janvier 1793.

Revenons à cet épisode de l'Histoire, dont le souvenir se poursuit chaque année par une messe à laquelle assiste ce qu'il reste de monarchistes en France.

Après la fuite du roi et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791, la monarchie s'est discréditée. La Constitution du 3 septembre 1791 proposait une monarchie constitutionnelle. Le 13 septembre 1791, Louis XVI est passé de roi de France à roi des Français. Après les émeutes du 10 août 1792 (pendant lesquelles Louis XVI a gardé un incroyable sang-froid : « La force ne fera rien sur moi, je suis au-dessus de la terreur. »), la famille royale fut transférée le 13 août 1792 au prieuré du Temple, tandis que les émeutiers parisiens réclamaient la fin de la monarchie et la convocation d'une Convention nationale qui fut élue entre le 2 et 6 septembre 1792 dans un climat de massacres en France et de guerre avec les autres puissances européennes. La victoire décisive des révolutionnaires à Valmy le 20 septembre 1792 a galvanisé les députés de la Convention nationale qui s'est réunie pour la première fois le lendemain pour abolir la monarchie et proclamer l'An I de la République française. Louis XVI devenait Louis Capet et fut transféré le 29 septembre 1792 à la Tour du Temple.



Dès le 1er octobre 1792, la Convention a débattu sur l'idée de juger le roi déchu et la manière de le faire. Saint-Just était contre un procès et souhaitait le 13 novembre 1792 son exécution sans procès puisqu'il était l'ennemi du peuple. Le 3 décembre 1792, Robespierre, qui avait pourtant été contre la peine de mort, voulait également la mort rapide du roi : « Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive. ». Le 6 décembre 1792 a été décidé la tenue d'un procès dont les débats seraient menés par les conventionnels eux-mêmes.

Présidé par Bertrand Barère, le Président de la Convention, le procès de Louis XVI a eu lieu du 11 au 26 décembre 1792 à la Salle du Manège, aux Tuileries, lieu habituel des débats parlementaires pendant la Révolution. Parmi les trente-trois chefs d'accusation, Louis XVI était accusé d'avoir conclu des alliances avec des puissances étrangères et d'avoir donné l'ordre de tirer sur le peuple. L'ancien roi, défendu par trois avocats, a répondu à chaque point en réfutant sa responsabilité dans les massacres. Toutefois, ce procès était faussé par l'idée de Saint-Just : ce n'était pas le roi que jugeaient les révolutionnaires, mais la monarchie.

Du 15 au 19 janvier 1793, les députés ont été amenés à répondre nominalement à quatre questions : d'abord une série de deux questions, sur la culpabilité de Louis XVI (est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d'attentats contre la sûreté de l'État ?) et sur la ratification du jugement par le peuple ; ensuite, sur la peine elle-même ; enfin, une quatrième question a été ajoutée sur un éventuel sursis de la peine (certains députés souhaitant voter pour la mort mais avec sursis).

Si les réponses sur la culpabilité ont été sans ambiguïté (oui, Louis Capet était coupable), les conséquences de cette culpabilité ont laissé les députés très partagés. La Convention était composée de 749 députés dont certains étaient absents pour diverses raisons.

À la première question sur la culpabilité, 673 sur 708 votants ont répondu oui. À la deuxième question sur la ratification du jugement par le peuple, 423 sur 709 votants ont répondu non et 286 ont voté oui. À la troisième question sur la peine à infliger au roi déchu, la question la plus importante, 361 sur 721 ont répondu la mort sans condition, 26 la mort avec l'idée de débattre sur un éventuel sursis, 44 la mort avec sursis, 290 d'autres peines, en général, la peine la plus grave après la peine de mort. 361 était le nombre minimal pour atteindre la majorité absolue, mais pour comptabiliser les députés qui ont voté la mort sans sursis, il faut aussi ajouter les 26 qui voulaient débattre de cette question du sursis sans pour autant être favorables au sursis, ce qui fait une un peu plus large majorité de 387 régicides sur 721. Parmi ceux, Philippe-Égalité, près du futur roi des Français Louis-Philippe. Enfin, à la quatrième question sur le sursis, 380 députés sur 692 ont répondu non et 310 ont répondu oui. Là encore, les conventionnels étaient très divisés sur la question.

Le vote des conventionnels sur la mort du roi sera un grand marqueur politique mais aussi historique de ces parlementaires, qu'ils auront dû assumer tout au long de leur existence et pour la postérité, tout comme le fut le vote des plein pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940.





Le 20 janvier 1793, apprenant le résultat des votes de la Convention, Louis XVI a rédigé une demande pour avoir trois jours afin de se préparer à se présenter devant Dieu. Il ne les a pas obtenus. Le lundi 21 janvier 1793 à 10 heures 22, sa tête était tranchée par le bourreau Charles-Henri Sanson à ce qui est maintenant la Place de la Concorde à Paris, et fut montrée au peuple, puis les restent furent enterrés au cimetière de la Madeleine, puis transférés le 21 janvier 1815 par son frère Louis XVIII à la basilique Saint-Denis.

Quelques minutes avant son exécution, Louis XVI avait fait cette déclaration : « Citoyens, je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France ! ». Il n'a pas pu poursuivre à cause du bruit des tambours. Sa mort fut accueillie par la foule par des cris de joie : « Vice la Nation ! Vive la République ! Vive la liberté ! ».

S'il a fait preuve de beaucoup de courage personnel, Louis XVI n'était pas, à l'évidence, l'homme de la situation. Il a fait des concessions et n'était pas un autocrate sanguinaire. Mais il n'avait sans doute pas, dans ces circonstances historiques exceptionnelles, la personnalité taillée pour orienter le sens de l'histoire, pas plus que, bien après lui, Paul Reynaud n'était capable de diriger une Résistance qui l'aurait complètement dépassé psychologiquement. N'est pas Jeanne d'Arc qui veut.



Madame de Staël a commenté les dernières heures de l'ancien roi dans un essai publié après sa mort en 1818 : « Cet homme qui manqua de la force nécessaire pour préserver son pouvoir, et fit douter de son courage tant qu’il en eut besoin pour repousser ses ennemis ; cet homme dont l’esprit naturellement timide ne sut ni croire à ses propres idées, ni même adopter celles d’un autre, s’est montré tout à fait capable de la plus étonnante des résolutions, celle de souffrir et de mourir. ».

Louis XVI a été en quelque sorte une victime collatérale des belles idées de la Révolution que furent la liberté, la démocratie, l'égalité, et surtout, l'État de droit. Il aurait pu les mettre en œuvre lui-même dans le cadre d'une régime de concorde tel que se définissait la Constitution du 3 septembre 1791. Il aura été plus simplement le symbole d'une monarchie capétienne millénaire qu'il fallait à tout prix renverser. Et selon le mot de Clemenceau, avec ses horreurs de la décapitation à outrance, l'Histoire a fait de cette Révolution un bloc, qu'il faut devoir prendre globalement. Napoléon Bonaparte, quelques années plus tard, par ses conquêtes, allait faire de ces concepts les valeurs universelles d'une Europe qui allait devoir encore guerroyer un siècle et demi avant de commencer enfin à s'unir.


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Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2023)
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Henri VI, comte de Paris, ou l’impossible retour du roi.
Henri VII : le roi de France est mort un 21 janvier.
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