L’irrésistible ascension de Besancenot

par damocles
lundi 5 novembre 2007

Le tournant politique dont on ne parlait jusqu’à présent qu’au conditionnel est en train de se négocier tranquillement sous nos yeux : face à l’incapacité du Parti socialiste à se réformer, l’extrême gauche, avant tout par le biais d’Olivier Besancenot, leader de la LCR, déploie lentement mais sûrement une stratégie de rassemblement qui ne devrait pas tarder à porter ses fruits. Dont le premier devrait être l’accélération de la chute socialiste.

Le Monde fait le point sur cet état de fait : Olivier Besancenot rejoint désormais, en termes de popularité, les leaders du PS, au point de rattraper Ségolène Royal :

« Le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, Olivier Besancenot, s’installe en leader de la gauche de contestation. Au point de faire jeu égal - en termes de popularité - avec Ségolène Royal. En obtenant 4,08 % à l’élection présidentielle, M. Besancenot avait devancé ses rivaux de la gauche radicale, Marie-George Buffet (PCF) et José Bové. Il vient concurrencer les leaders du Parti socialiste dans un sondage BVA-Orange, réalisé du 18 au 20 octobre auprès de 1 078 personnes, et publié dans L’Express du 25 octobre : 40 % des personnes interrogées "souhaitent qu’il ait davantage d’influence dans la vie politique française" (Le Monde du 27 octobre). En un mois, M. Besancenot a gagné trois points d’opinions favorables. Mme Royal en a perdu deux.  »

Ce nouvel élan de popularité intervient au moment même où la jonction est peut-être imminente entre les partis d’extrême gauche, Lutte ouvrière d’Arlette Laguiller envisageant pour la première fois sans animosité manifeste cette éventualité, rappelle (toujours) Le Monde - dans un autre article :

« Lorsque, fin juillet, le porte-parole de la LCR annonce son projet, Mme Laguiller ne réagit pas. Un mois plus tard, alors que M. Besancenot renouvelle son appel, changement d’attitude : Mme Laguiller explique au JDD.fr que son organisation porte "un regard sympathique et attentif sur la LCR et sur Olivier Besancenot". Ajoutant : "On attend de voir." Aujourd’hui, la direction de LO assure accueillir de manière "favorable" la proposition de la LCR. Expliquant partager son souci de s’élargir, les dirigeants disent que la "Ligue" "a raison de le tenter". "Il y a des moments qui peuvent sembler favorables", souligne George Kaldy, membre de la direction. [...] Contacts avec le PCF dans certaines villes, discussions avec la LCR dans d’autres, le congrès début décembre tranchera. D’ici là, le 14 novembre, les deux organisations doivent se rencontrer. »

Et pendant ce temps, au PS ? Eh bien on fait ce que l’on sait le mieux faire, du fait de l’expérience, et qui reste pour autant le moins efficace, au vu de la même expérience : on tente de masquer les divisions. Le sujet concerné ? La ratification du TCE. D’après - encore - Le Monde,

« Dans leur majorité, les partisans du traité de 2005 le sont également en 2007. François Hollande s’est personnellement prononcé en faveur du oui même s’il "déplore" une ratification par voie parlementaire. [...] Alors qu’un projet de consultation des citoyens était inscrit au programme de Ségolène Royal pour l’élection présidentielle, l’ancienne candidate socialiste jugeait, pour sa part, dans Libération, que "la question de la procédure d’adoption, référendaire ou parlementaire, n’est plus une question de principe. Ce traité, même imparfait, peut remettre l’Europe en marche", insiste-t-elle. Côté "nonistes", seul Jean-Luc Mélenchon affiche sur son blog une franche hostilité au nouveau traité. Vincent Peillon fervent défenseur du non en 2005 a changé de position. "Je crois que la bonne solution, et je le dis en tant que partisan du non, c’est de dire oui, aux conditions du oui socialiste, qui n’est pas le même que le oui de Sarkozy", a-t-il déclaré au site de 20minutes.fr. Laurent Fabius a quant à lui reconnu qu’il y avait "un certain nombre d’avancées, par exemple la création d’un président, d’un haut représentant des affaires étrangères", critiquant toutefois qu’il n’y ait "rien pour débloquer la situation sociale et fiscale de l’Europe". »

Dans ce contexte, quelle solution adopter à moyen terme pour sauver le PS d’une agonie longue et douloureuse ? Ce n’est pas que cette idée me traumatise, c’est juste que tout cela se déroule sous les caméras, et qu’il y a des enfants qui regardent... Faut-il donc à nouveau envisager la sempiternelle « modernisation », sans cesse évoquée et jamais amorcée, pour une transition en douceur vers le XXIe siècle ? En d’autres temps, j’aurais applaudi à cette annonce virtuelle, par souci de l’existence d’une opposition digne de ce nom. Seulement, il semblerait que les peuples de gauche européens ne soient pas forcément sensibles à cette démarche, ainsi que le rappelle Pierre Bocev, correspondant du Figaro à Berlin, à propos du SPD :

« Hors d’Allemagne, on ne peut que se frotter les yeux. Les réformes prennent, le chômage est en baisse constante depuis 19 mois et l’économie se porte à merveille. Partenaire junior de la "grande coalition" d’Angela Merkel, le SPD pourrait s’en prévaloir, lui qui a été à l’origine du grand chambardement douloureux, le 14 mars 2003 quand Gerhard Schröder a lancé son "Agenda-2010" avant d’être emporté par la lame de fond du mécontentement aux législatives de 2005. Le parti social-démocrate, au contraire, renie cet héritage potentiellement prometteur. Son congrès, il y a une semaine à Hambourg, a amorcé un virage à gauche qui revient en partie sur les réformes et traduit un retour au credo social traditionnel et douillet. Il est vrai que l’opinion publique, à en juger par une noria de sondages unanimes, n’a en rien honoré le courage réformiste du SPD. Cette semaine encore, le magazine Stern le situe à 26 % des intentions de vote, à 13 points de la CDU/CSU de la chancelière. Et cela fait deux ans que cela dure. Autant dire que le label modernisateur n’a pas réussi au SPD. »

Dans le même édito, Pierre Bocev parle d’une « prise en tenaille du SPD », du fait - quelle coïncidence - de la création d’un nouveau parti unitaire à sa gauche :

« Sur sa gauche, les laissés-pour-compte des réformes à l’Ouest, dans l’ancienne RFA, et les néocommunistes héritiers du parti unique de l’ex-RDA ont convolé pour créer Die Linke, prête à promettre tout et n’importe quoi. »

La crise du SPD, suivie de son revirement conservateur, montre au grand jour le décalage existant entre certains partis de gauche européens et leurs électeurs. Les leaders politiques se rendent compte que les réformes sont indispensables, que certaines de leurs positions idéologiques et économiques sont dépassées, et ce depuis le premier coup de marteau sur le Mur de Berlin. Cependant, leurs électeurs, gavés par leurs soins de cette même idéologie depuis des décennies, n’entendent pas la régurgiter si vite. Et ce même s’il faut creuser le sable plus profond pour y plonger sa tête.

Il serait donc temps que François Hollande s’en aperçoive : la méthode Couet, qui a fait les beaux jours de la gauche durant la seconde moitié du XXe siècle, n’est désormais plus un socle politique solide... celui-ci s’étant évaporé avec les frontières nationales. Le reflet allemand est aujourd’hui la prédiction inexorable de l’avenir socialiste français, si le parti du même nom fait l’économie d’une refondation structurelle profonde et pragmatique.


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