L’ouverture coince sur la franchise médicale

par Olivier Bonnet
mardi 22 mai 2007

L’ennui, quand on se pique d’ouvrir un gouvernement à des personnalités à sensibilité de gauche, c’est qu’on peut s’attendre à ce qu’elles soient en désaccord avec le programme droitier que s’apprêtent à appliquer Sarkozy et Fillon - que viennent-elles alors faire dans ce gouvernement est une autre question ! Le stratège de l’Elysée espérait sans doute que ces prévisibles tiraillements ne surviennent pas trop tôt, en tout cas pas avant les législatives. Puisque c’est bien à cela que sert cette ouverture en trompe-l’oeil : doter l’UMP d’une confortable majorité à l’Assemblée nationale, pour avoir ensuite les mains libres, se débarrasser des ministres en dissonance avec la mélodie sécuritaro-libérale sarkoziste et mettre le cap à droite toute.

En attendant, on fait passer le message du "Regardez comme nous sommes ouverts, voyez comme nous rassemblons" - et l’on enrage que l’opinion se laisse prendre à ce stratagème tout de même cousu de fil blanc. Bref, quand un Martin Hirsch accepte le poste de haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, c’est qu’il pense ainsi pouvoir servir la cause qu’il défendait en tant que président d’Emmaüs France. Sans remettre en cause sa sincérité, nous pensons qu’il est bien naïf d’imaginer lutter contre la pauvreté au sein d’un gouvernement à la politique antisociale annoncée (durant la campagne présidentielle).

C’est tout le mystère des extraordinaires talents de persuasion - d’embobinage serait plus juste - qu’il faut bien reconnaître au nouveau président de la République. Nous avons donc posé qu’Hirsch est sincère. Aussi juge-t-il sincèrement que la franchise médicale que veut instaurer le gouvernement "n’est pas une bonne mesure", et il le dit, hier, au micro de France Inter. Pour être aussitôt recadré par la ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot-Narquin. Pour vous resituer cette éminente personnalité, c’est elle qui s’était couverte de ridicule, alors que les personnes âgées mouraient par dizaines de milliers sous la canicule et l’inertie du gouvernement Raffarin de l’époque, au sein duquel elle détenait le portefeuille de l’Environnement, en conseillant de... garer les voitures à l’ombre ! Elle est aussi l’auteure de cette puissante analyse, qu’apprécieront à sa juste valeur les féministes : en politique comme ailleurs, "la femelle est en recherche du mâle dominant".

Que dit donc Bachelot sur la franchise médicale ? Qu’elle "devait être entendue comme un facteur de responsabilisation des assurés, qui (...) serait accompagné des exonérations nécessaires pour tenir pleinement compte des situations sociales très dégradées". Ah, la belle tarte à la crème de la responsabilisation des assurés ! Ainsi, si l’on est responsable, raisonnable, on ne doit pas tomber malade. Ceux qui le font sont donc des irresponsables, coupables de dépenser sans compter au motif futile de se soigner, alors qu’on n’est même pas sûr qu’il se s’agisse pas de simulateurs, tricheurs et profiteurs qui plombent les comptes de notre système de santé ! Responsabiliser les usagers...

A quoi cela rime-t-il, quand "environ 70% de la dépense totale est le fait de 10% de patients qui sont atteints de lourdes pathologies, parfois en fin de vie, et à qui on ne demande guère leur avis quant aux soins dont ils sont l’objet, comme le rétablit l’Appel contre la franchise Sarkozy lancé par trois médecins généralistes ? Et dont la seule « responsabilité » serait de décider de ne plus se soigner. Est-ce la société que l’on veut ?" LehHaut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté avalera-t-il cette couleuvre ? "Martin Hirsch et Roselyne Bachelot se reverront très bientôt pour définir les conditions de mise en oeuvre de cette réforme", précise le communiqué diffusé hier par le ministère de la Santé (et des Sports).

Pour Faouzi Lamdaoui, secrétaire national du PS à l’Egalité, c’est tout vu : la prise de bec entre les deux membres du gouvernement marque "la fin de la lune de miel médiatique entre les personnalités débauchées par Nicolas Sarkozy, dont le ralliement équivaut déjà d’ores et déjà à un reniement de leurs convictions. Aujourd’hui Hirsch cède sur la franchise médicale, demain Kouchner devra taire son désaccord sur la Turquie. Les personnes débauchées ont été séduites puis réduites".


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