L’usine à gaz française face à la pandémie

par Voris : compte fermé
lundi 27 juillet 2009

Qu’arrivera-t-il à la rentrée lorsque nous seront passés en France au niveau 6 de l’alerte ? Et bien, il y a des forts risques que personne ne puisse évaluer les stocks de produits de santé constitués en cas d’attaque terroriste ou de pandémie. Stocks introuvables, produits périmés, la liste des ennuis à prévoir est longue en raison de l’usine à gaz administrative mise en place et qui s’avère en-dessous de l’enjeu. C’est un rapport de la commission des finances du Sénat publié le 24 juillet qui le dit en des termes choisis pour ne pas affoler la population.

Où sont les stocks ? Combien sont mobilisables et utilisables ? Autant de questions qui resteront sans réponses malgré l’imminence du danger potentiel.
 
Concours d’euphémismes, de litotes et de codification en langue de bois technocratique pour calibrer avec la plus grande précaution le message et ne pas créer de panique. Mais le rapport rédigé par Jean-Jacques Jégou dit tout, et il est très clair : on ne sait pas vraiment où sont les stocks, combien il y en a, s’ils seront mobilisables ; ils sont parfois atteints par la péremption et enfin les responsables et les administrations n’ont pas fait leur travail.
 
D’abord, l’Eprus. Cela ne vous dit rien ? Normal, on vous cache tout ! C’est l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), un machin créé en 2007 supposé anticiper les risques de terrorismes et de pandémies et à y faire face, supposé aussi faire mieux que le ministère de la Santé pour gérer le stock mis en place à partir de 2001 (hypothèse d’une attaque terroriste à caractère sanitaire).
 
Voici en quels termes prudents, le rapport dénonce la gravité de la situation :
 
"Des problèmes de gouvernance ont retardé la mise en place de l’Eprus" : en fait, lenteur dans la mise en place, communication défaillante avec la direction générale de la santé, mauvaise articulation avec les autres agences sanitaires... Traduisez : "c’est le foutoir complet au ministère et au sein de ce machin (l’Eprus).
 
Le rapport relève aussi des conditions de gestion du "stock national santé" qui laissent à désirer, notamment en matière de conservation des produits de santé. Dois-je aussi traduire ? Non, vous aurez compris...Pour parler plus concret : Jean-Jacques Jégou dit avoir vu du Tamiflu stocké en pleine chaleur « sous des toits de fibrociment ».
 
La question de la péremption se pose aussi avec acuité : la moitié des stocks de masques de protection de type FFP2 sont dépassés mais seraient encore néanmoins utilisables. C’est comme les yaourts quoi.
 
Enfin, le rapport dénonce une anomalie qui était plus que prévisible : deux circulaires (1) incitant les maires à constituer de stocks de matériels (masques par exemple). Tiens donc, des circulaires non appliquées par les collectivités territoriales qui ne sont plus liées par les circulaires depuis la Décentralisation ? Comme c’est curieux ! Sachant que ces documents n’ont aucune force normative et ne s’imposent pas aux collectivités décentralisées ! En outre, cette paperasserie sans effet ne fait qu’"inciter" les maires ("on ne vous commande pas mais si vous pouviez...mais faites comme bon vous semble puisque c’est vous qui décidez..").
 
En réalité, l’Etat aurait dû prendre toute sa part de responsabilité face aux risques potentiels. Mais, il ne pense qu’à se désengager au maximum de ses missions. Alors où se trouve encore le souci de protection des citoyens ?
 
Par ailleurs, le rapporteur Jean-Jacques Jégou estime qu’en dépit de ces deux circulaires, "l’information et l’association des collectivités territoriales sont encore insuffisantes". Or, ceux qui travaillent dans les collectivités savent bien que les circulaires ne sont pas lues ou fort peu.
 
[ (1) (circulaire du 20 janvier 2006 relative à l’action des maires dans la gestion d’une crise sanitaire majeure, circulaire du 10 avril 2008) ]
 
Non seulement l’Etat s’est désengagé mais, comme souvent en France, on a "saucissonné" les compétences : les stocks des collectivités locales ainsi que ceux des ministères ne relèvent pas de la compétence de l’Eprus. Les responsables de ces stocks ont naïvement répondu à la mission d’information du Sénat qu’ils ignorent tout de leur quantité et de leur volume. Kafkaïen ? Courtelinesque ? Non : inquiétant.
 
Le rapporteur spécial use d’une litote pour décrire cette situation criante de chienlit : "inégale mobilisation des services déconcentrés et des collectivités territoriales".
 
Malgré tous ces éléments inquiétants, le sénateur centriste tient à replacer le sujet sous l’angle financier puisque c’est la Commission des finances du Sénat qui est à l’origine de ce rapport d’information. Jean Arthuis, président de cette commission, fait remarquer que "du fait d’imperfections d’organisation et de fonctionnement, le coût budgétaire risque d’être supérieur à ce qu’il aurait pu être si le dispositif avait été parfaitement coordonné et réglé".
 
Lien vers le communiqué de presse du Sénat du 22 juillet.
Le site du machin (vous n’y trouverez rien d’utile)
Le rapport

 

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