La baisse des charges ne crée pas nécessairement d’emplois

par Patrick Salmon
lundi 11 décembre 2006

La baisse des charges ! Le sésame fait florès chez plusieurs candidats à l’élection présidentielle. Nicolas Sarkozy président exonérera de charges sociales les heures supplémentaires. François Bayrou président proposera à chaque entreprise de créer deux emplois nouveaux qui seront exonérés de charges... Il ne suffit pourtant pas de baisser les charges pour créer de l’emploi !

Est-ce créateur d’emplois la baisse des cotisations payées par les employeurs ? Pour y répondre, il suffit d’aller voir les résultats des politiques précédemment menées. La baisse des charges est en effet l’un des volets constants des politiques publiques de l’emploi depuis la fin des années 1980.

En 1989, l’embauche du premier salarié est exonérée de cotisations sociales. A partir du 1er janvier 1992, l’emploi par un ménage d’un salarié à domicile ouvre droit à une réduction d’impôt équivalent à 50 % des dépenses engagées dans la limite de 25 000 francs. En août 1992, un abattement des cotisations de Sécurité sociale est instituée pour toute embauche à temps partiel ou pour toute transformation d’emploi vers un temps partiel. En 1993, le gouvernement d’Edouard Balladur instaure un dispositif général d’abaissement du coût du travail par le biais d’un allégement des cotisations sociales patronales sur les salaires allant jusqu’à 1,2 fois le SMIC. La loi quinquennale du 20 décembre 1993 prévoit l’extension progressive de l’abattement des cotisations patronales d’allocations familiales à des salaires allant jusqu’à 1,6 fois le SMIC. Jacques Chirac élu président, les mesures d’allègement du coût du travail sont élargies et la « ristourne Juppé » est mise en place à compter du 1er octobre 1996. Il s’agit d’une réduction dégressive des cotisations sociales d’un montant maximal égal au SMIC. L’allègement des charges est aussi sectoriel et géographique. Sous le gouvernement Juppé, quarante-quatre zones franches urbaines sont définies. Les entreprises y bénéficient d’exonérations des cotisations sociales patronales et d’allègements fiscaux. A la même époque, les industries textiles et du cuir bénéficient d’une mesure spécifique d’allègement des cotisations afin de mieux lutter contre la concurrence internationale. A partir de 1997, Lionel Jospin ne remet pas en cause les exonérations de cotisations sur les salaires proches du SMIC.

Y a-t-il élasticité du niveau d’emploi au coût du travail ? En structure, oui ; en masse, rien n’est certain, disent des économistes. Les allègements de cotisations conduisent les employeurs à proposer plus d’emplois concernés par ces allègements, donc des emplois dont la rémunération est peu éloignée du SMIC, mais pas plus d’emplois globalement. La trappe à bas salaires est alors pleinement à l’œuvre.

De plus, ces exonérations de charges sociales pour les entreprises ont un coût considérable pour la collectivité : elles sont passées de 3 milliards d’euros en 1993 à plus de 20 milliards en 2005. Ces sommes correspondent à environ un quart des dépenses publiques de lutte contre le chômage. Et en fait de charges, il s’agit de cotisations permettant le financement des protections sociales collectives. La question corrélée à poser aux présidentiables parlant de « baisse des charges » doit donc être « Qui finance les protections sociales collectives ? Et comment ? ». La mesure de Nicolas Sarkozy d’exonérer de charges sociales les heures supplémentaires aurait un coût d’au moins 5 milliards d’euros chaque année. La question de l’équilibre des finances de la sécurité sociale se poserait alors avec encore plus d’acuité. L’évolution du financement même de la protection sociale doit bien évidemment aussi être en débat lors de cette campagne présidentielle. Ne serait-ce que pour éviter d’avoir une protection sociale au rabais du fait d’un manque de financement. Et il serait sans doute judicieux d’asseoir un peu moins ce financement sur les revenus du travail.

Loin du temps des promesses et de la campagne électorale, des femmes et des hommes politiques de droite partagent sans aucun doute la précédente analyse. En octobre 2005, devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Borloo affirme que le système des allègements de cotisations sociales patronales a "atteint ses limites". Le projet de loi de finances pour 2006 prévoit alors 1,8 milliard d’euros d’allègement supplémentaires de cotisations sociales patronales mais "le dispositif a montré son utilité mais il a montré ses limites et il convient de le rendre plus lisible pour les patrons et les salariés", affirme le ministre. Le président de la Commission des finances, Pierre Méhaignerie, fait le même constat et propose que les 1,8 milliard d’euros servent uniquement à la prime pour l’emploi.

Cette position provoque les cris d’orfraie de l’UPA (Union Professionnelle Artisanale) qui estime, en octobre 2005, que "remettre en cause les allègements de cotisations sociales patronales dans le projet de budget 2006 constituerait un reniement politique destructeur d’emplois (...) La baisse des charges sociales sur la main d’oeuvre constitue à l’évidence le levier le plus efficace pour agir en faveur de l’emploi".

La baisse des charges... Espérons que le nécessaire débat sur la création d’emplois ne se structurera pas autour de cette formule éculée et simpliste.


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