La blogosphère, un rempart contre le populisme ?

par Héloïm Sinclair
mardi 10 octobre 2006

Umberto Eco a quelque chose de formidable, il ne laisse jamais la pensée du lecteur inerte. J’étais là, en train de lire son dernier ouvrage « A reculons comme une écrevisse », un chapitre où il dissèque le cadre de la politique italienne. Et c’est la présidentielle 2007 (franco-française) qui me venait à l’esprit, par un mystérieux effet boomerang, avec le pouvoir nouveau de la blogosphère en sus...

Prenons sa définition du populisme, et c’est vrai que Berlusconi était un expert très doué en la matière. Donc, être populiste, c’est en appeler directement au « peuple » pour justifier des postures (ou des actions) à l’encontre des institutions. Le « peuple » comme l’expression d’une seule volonté et de sentiments identiques, telle une force quasi naturelle incarnant la morale et l’histoire. Bien entendu, ce « peuple » n’existe pas, c’est un fantasme idéalisé par le populiste, une fausse vérité incarnée par la force des sondages, une fabrication/falsification de la « volonté populaire ».

La France, avec sa présidentielle, est-elle une fabrique à populisme ?


Peut-être, en ce sens où dans le cadre de l’élection du président, les candidats cherchent à favoriser un rapport direct avec le peuple. Et quand on en appelle directement au peuple, ce n’est pas toujours la sagesse qui parle, surtout quand l’appel (du politique) est infantilisant, démagogique ou mensonger. 2002 l’aura démontré, avec l’éparpillement des votes aux extrêmes, doublé d’une forte abstention, pour le résultat que l’on sait... L’amère impression que les leçons du passé proche n’ont pas été retenues. Que penser de la communication télévisuelle, qui scénarise l’actualité ? Au moyen d’un rendez-vous à potron-minet dans un cité parisienne avant une forte intervention policière par exemple, pour ne pas remonter trop loin...

Peut-être pas, si nous en revenons aux fondamentaux de la démocratie, qui comporte trois pouvoirs - législatif, exécutif, judiciaire - et un citoyen aux droits (et devoirs) reconnus. C’est une chance qu’il faut utiliser, le droit de s’intéresser et de s’informer pour commencer. Le droit contrôler les pouvoirs de l’Etat, de juger l’action publique, de la stimuler. Le droit de manifester sur la conduite des affaires publiques, un éventuel mécontentement le cas échéant. (Si vous étiez Russe, vous pourriez en rêver).

La voix de l’électorat ne se manifeste donc pas uniquement le jour du vote. Le plus souvent, c’est par les corps intermédiaires (partis, syndicats, associations, journaux...) qu’elle peut se faire entendre auprès du Parlement ou du gouvernement. Essayer de peser sur les décisions et arbitrages, transmettre un signal, une sollicitation, un mécontentement, bref des informations toujours très utiles pour ceux qui décident des affaires publiques.

Quand la vigueur des corps intermédiaires est défaillante, reste la manifestation de rue entre les échéances électorales. Le France est bien classée dans la discipline, mais cela ne fait pas vraiment avancer les idées, d’être continuellement dans le rapport de force. L’immobilisme a un coût !

Que faire quand la communication entre nos élites politiques et l’électorat est en dysfonctionnement, journaux et télés orientés, partis politiques émiettés, avec deux mammouths qui se perdent dans la culture du chef ou la bataille fratricide interne ? Syndicats caricaturalement non représentatifs des actifs, où par effet de sous-syndication, le système surreprésente les non-réformistes...

Il faut donc chercher ailleurs. Et pourquoi pas sur Internet, avec les nouvelles et puissantes possibilités offertes par le blog et la blogosphère. Une possibilité de manifestation permanente, H24 sur la toile pour faire entendre de simples témoignages d’opinions ou des revendications. Syndiqués (au sens numérique du terme), ces messages font entendre une musique différente. Liens, réseaux, buzz, l’information se propage, se diffuse. Parfois réactives, d’autres fois, les voix prennent le temps d’être constructives et éclairées, dans l’échange pour la fabrication d’un possible.

Dans la blogosphère, rien à voir avec la « volonté populaire » populiste. Non, juste l’expression libre d’individus et de communautés virtuelles, ouvertes et poreuses, qui échangent dans une silencieuse vox populi.

Ça pourrait être l’aube d’une nouvelle démocratie pour des citoyens exigeants et impliqués, c’est au moins un rempart moderne contre le populisme.


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