La Catalogne, avec le vote du congrès de Madrid, prend le large

par Bertrand C. Bellaigue
mardi 4 avril 2006

Tandis qu’au pays basque, l’ETA proclame une trêve....

Un ami catalan m’a dit un jour : « Ne trouves-tu pas ironique qu’avec le sourire, nous, les Catalans, nous nous voyions octroyer à peu près tout ce que nous voulons, alors que les Basques n’ont encore rien obtenu par la violence ? »

Cette remarque vient d’être illustrée de façon spectaculaire par la décision prise par la chambre basse espagnole, le Congrès des députés de Madrid, d’approuver le nouveau statut d’autonomie catalane présenté après un vote unanime par le « Consell de la Généralitât » de Catalogne. Si ce texte devait être ratifié par un vote du Sénat (la chambre haute) et ensuite en juin prochain, par referendum limité à la Catalogne, il transformerait de facto et de jure, cette « région autonome » du Royaume d’Espagne, en une nouvelle nation dans la nation, et l’Espagne des 17 autonomies en confédération. Quand il avait été adopté en septembre 2005 par le Parlement autonome de Barcelone, le projet de révision du statut avait provoqué un tollé à Madrid. On aurait pu s’attendre à une crise constitutionnelle qui pourtant n’eut pas lieu. Sa présentation au Congrès a été le résultat de deux ans de négociations entre les parlements catalan et espagnol. Mais lorsque, selon le calendrier fixé, ce projet de constitution élaboré par le Consell de la Generalitat de Catalogne, autrement dit par le gouvernement de cette région autonome, une des dix-sept qui forment le royaume d’Espagne, les députés se sont retrouvés en deux camps à peu près égaux, force fut pour le Congrès de constater que 184 représentants la gauche espagnole, conduite par Jose Luiz Rodriguez Zapatero, président du gouvernement socialiste, avaient opté pour le projet catalan, mais que 154 autres, appartenant à l’opposition, celle du Parti populaire, exprimèrent son désaccord. Son président Mariano Rahoy, avait mis en garde ses compatriotes contre ce statut qui, s’il était adopté, signifierait, selon lui, « le début de la fin de l’Etat et de l’unité espagnole ». Les faits confirment ce que disait mon ami catalan : "Ce que les Basques n’ont pas obtenu par la violence..." les Catalans vont l’obtenir. La réforme du statut autonome préconise en effet des principes fondamentaux qui, une fois adoptés, mettront en cause la nature même des relations de Madrid et de Barcelone.

Le phénomène n’est pas nouveau. Il faut remonter à l’an mille, aux origines de la Catalogne, pour découvrir que le roi Jaume 1er, souverain de Catalogne autant que d’Aragon, régna sur un véritable Etat qui, pendant des siècles, fut maître du commerce méditerranéen et allié de la république de Venise et que, dès le quinzième siècle, sous les rois catholiques, Barcelone supplanta Séville - trop exiguë - pour devenir le plus grand port du royaume, ouvert à la Méditerranée orientale et à l’Amérique du Sud. C’est en mémoire de ce "millénaire" que, depuis la création du gouvernement de la Généralisât ( gouvernement de Barcelone), toute une littérature officielle de luxe a été publiée évoquant - en catalan, pas en espagnol - ce passé historique. De telle sorte que, vu de Barcelone, il n’est pas considéré comme une énormité d’affirmer dans l’article premier du statut révisé que la Catalogne est une nation, possédant son propre drapeau, son hymne, le catalan, qui devient la langue officielle obligatoire, pouvant cohabiter avec le castillan, la langue de l’Etat central. La Generalitat catalane devient l’unique responsable du découpage municipal et de ses ramifications, seul maîtresse de sa police régionale, de son système judiciaire, entretenant des « représentations extérieures » , affichant son désir d’avoir des liens directs - sans passer par Madrid - avec l’Union de l’Europe et les autres organismes internationaux, administrant son éducation et son "enseignement laïc", contrôlant les impôts et les finances, ses ports, chemins, de fer, routes et toutes autres voies.

En réalité, il ne lui resterait plus, pour proclamer son indépendance, qu’à créer son armée et diriger sa politique extérieure. Faut-il rappeler qu’elle a rempli, de facto, ces fonctions diplomatique quand l’ex-président de la Généralitat, Jorge Pujol, prédécesseur de Pascual Maragall, voyageant en Amérique latine, était déjà reçu comme un chef d’Etat. Avant le vote des députés, au sein du Congrès, du côté gouvernemental, la vice-présidente socialiste Teresa Fernandez de la Vega avait estimé que « l’esprit de la révision fortifie la Constitution [...] dans le respect de la diversité et de l’unité d’une Espagne de meilleure qualité, plus tolérante, plus solidaire et plus forte ; une Espagne pour tous au service de tous, sans exclusions ni exclus ». Le président Pascual Maragall n’avait exprimé aucun doute. La majorité obtenue au Congrès des députés serait renforcée au Sénat. Dès lors « le nouveau statut « changerait la condition du pays catalan et son système de financement ». La Catalogne pourrait mettre ses pendules à l’heure « en devenant une Nation." Il s’agira vraiment, affirma-t-il, d’un outil extraordinaire grâce auquel nous allons pouvoir construire la Catalogne du futur. » À l’opposé de cette thèse socialiste, se trouvait l’Espagne traditionnelle et conservatrice, défendue par Mariano Rahoy, président du Parti populaire (PP) . Ce dernier avait demandé le retrait du nouveau statut révisionnel et fait appel au Tribunal constitutionnel pour juger du fond de cette question. Car, avait-t-il affirmé, « le nouveau statut d’autonomie catalane est objectivement inconstitutionnel » et porte « atteinte à la lettre et à l’esprit » de la « Magna Carta » qu’est la Constitution espagnole. » « Si nous admettions l’attribution à une "région autonome" de la qualité de "nation" dont la Constitution rejette le concept , nous reconnaîtrions d’emblée l’existence d’un "pouvoir souverain en Catalogne" ».

Dans ce cas l’Espagne serait divisée en deux groupes qui n’auraient ni les mêmes droits fondamentaux, ni les mêmes obligations, ni les mêmes lois, ni la même langue, puisqu’en Catalogne le catalan serait le langage obligatoire, sans la connaissance duquel les citoyens ne pourraient accéder à aucune fonction publique. Toutefois, il y a lieu de noter que cette contrainte n’est pas nouvelle. Quand, étant directeur de l’AFP en Espagne, j’ai dû affecter à Barcelone un correspondant venu de Paris, qui préparerait la couverture des Jeux olympiques de 1992, il m’a été recommandé officiellement de nommer un journaliste qui parlât le catalan ! On peut, dès lors, supposer, si la Catalogne devenait libre de ses initiatives, que la nouvelle « nation souveraine » ferait construire sans attendre une ligne de TGV de la frontière à Barcelone, qui mettait Lyon et la région industrielle Rhône-Alpes en relation directe avec la Catalogne. Un ancien ministre ( "canciler") du commerce de la Généralisât, m’avait confié en 1991, en me révélant ce projet concernant le TGV, que la Catalogne avait un grand dessein qui consisterait à " renouer les liens qui existaient au temps lointain du Parlement de Toulouse entre la Catalogne et le Sud de la France".

"Il s’agirait, m’avait-il dit, de créer un grand polygone de développement des technologies nouvelles, délimité par Barcelone, Montpellier et Toulouse. "
© Bertrand C. Bellaigue - mars 2006 ( Paris)


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