La Cinquième République est morte, vive la République !
par Bernard Dugué
mercredi 20 avril 2022
La vie politique, historique et culturelle montre des signes de fatigue en France, sans doute plus qu’ailleurs. C’était le cas de l’Allemagne dans les années 30. La lecture des Cahiers noirs VII-XI écrits entre 1938 et 1940 par Heidegger offre une étrange résonance avec notre époque. La solution politique à cette fatigue fut désastreuse. Cela dit, parler de fatigue est abusif. La France est plutôt dans un état d’hébétude, de lassitude et de normalisation, comme si une époque était achevée. L’occasion de tracer quelques images du chemin emprunté par la cinquième république.
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0) Sur le cercueil de Charles VI, une effigie représentant le roi vivant constitue le symbole de la continuité de la fonction royale. Symbole d’où fut extraite la thèse du « double corps du roi », le corps physique mortel et le corps mystique, éternel. Les cris « Mort est le Roy Charles », « Vive le roi » furent prononcés pour la première fois lors de l’inhumation de Charles VI en 1422, afin de signifier la continuité et la perpétuité de l’incarnation royale. Drôle de coïncidence. 700 ans plus tard, en 2022, résonne en nous cette formule ; la Cinquième République est morte, vive la République. Mais que l’on ne se méprenne pas sur le sens de cette formule. Cela ne signifie pas qu’une sixième république est en marche, ni qu’elle est souhaitable. Cette formule sibylline indique uniquement la fin d’une époque et d’un corps politique physique, incarné par deux oppositions. La république survivra mais dans quel é(E)tat ?
1) La naissance de la Cinquième République fut décidée pour diverses raisons. Deux grands corps politiques ont conduit la France vers un destin improbable. Le gaullisme, corps politique étatique amené à gouverner et le communisme, corps social et politique incarnant l’opposition des classes travailleuses, intellectuelles, moyennes, appuyée par une petite minorité bourgeoise dissidente.
2) La rupture de mai 68 a accompagné l’évolution du corps politique sur fond de grands récits, la France éternelle dans le monde et le grand soir des travailleurs. Giscard et Mitterrand ont revisité le gaullisme et le communisme, pour ne pas dire qu’ils l’ont trahi mais dans le bon sens. Trahison et traduction ont une racine étymologique commune. Quelques slogans jetés sur la place publique. Changer la vie en 1981, la France pour tous en 1995.
3) Au tournant des années 2000, avec en toile de fond la toile du Net, et en arrière-fond la mondialisation heureuse pour les uns ou malheureuse pour les autres, les deux formations se partageant le pouvoir ont amorcé leur entrée en phase terminale. Cela s’est vu lors de l’élection de 2002. Jacques Chirac manqua de peu les 20 points avec 19.9 ; plus grave, Lionel Jospin éliminé avec 16.2 points. Et puis le choc, Jean-Marie le Pen au second tour et une abstention record.
4) L’élection de 2007 se dessine sous la vacance du pouvoir. Chirac ne se représente pas, laissant ouvert un champ vite occupé par les tenanciers des anciennes boutiques et deux figures dont la prestance donna l’illusion d’une vie politique ressourcée avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, personnalités en verve, en verbe et quelque peu atypique. Deux envies de France, deux sortes de ruptures revendiquées, interprétables comme une douce réforme de régime, avec une barre à droite ou à gauche. Et François Bayrou en troisième homme préfigurant l’arrivée du président Macron dix ans plus tard.
5) 2007 – 2017, une décennie hésitante, marquée par un enlisement social et des troubles venus de l’extérieur, crise financière, terrorisme. La France croit qu’elle est encore déterminée par une opposition droite et gauche alors que le PS et le LR sont éclatés chacun en trois tendances.
6) L’arrivée d’Emmanuel Macron représente une sorte de clarification du corps politique. Un nouveau parti arrive au pouvoir en réalisant une sorte de synthèse entre le pragmatisme de gauche et le pragmatisme de droite. Sans que le mot ne soit prononcé. Le progressisme a une connotation bien plus positive et c’est la marque de fabrique du projet porté par Macron.
7) En 1970, le corps politique répondait aux aspirations, aux espérances, aux croyances. 50 ans plus tard, le corps politique répond à la demande, aux désirs, aux colères, aux souffrances. La tectonique du politique absorbe la tectonique des territoires, les évolutions des savoirs, les expositions aux risques, les craintes du déclassement. Cette tectonique a fait apparaître trois tendances réunies par trois personnalités capables d’occuper un espace, de s’incarner sur scène comme sur les plateaux de télé. Ce constat confirme la tendance à une personnalisation du politique, à la médiatisation, à la profusion de slogans et d’invectives. La forme l’emporte sur le contenu. Macron, le Pen et Mélenchon, un trio pour spectacle politique mais un triumvirat impossible car ne regardant pas dans la même direction.
8) Aveuglés par les passions tristes, les observateurs ne voient pas que le RN reprend des thèmes datés pour fabriquer une sorte de gaullisme hybride reformaté pour notre époque avec un thème dominant, l’immigration, et un visage peu avenant sauf pour les mangeurs de vent. Du côté gauche, FI se raccroche aux luttes sociales et quelque part, au mitterrandisme et là aussi un reformatage est en proposé avec le thème central de la transition écologique. Ces deux partis se réclament des temps anciens devant être restaurés pour contrecarrer la prétendue révolution progressiste en marche jugée responsable des maux contemporains ou du moins, d’une absence de solution. Rien de nouveau, nous sommes revenus à Joseph de Maistre, figure tutélaire de la réaction, et à Saint Simon, patron du positivisme dont le dernier avatar n’est autre que Macron.
9) Le scrutin du 10 avril 2022 a donné, comme tous les précédents, une photographie de l’horizon politique projeté par les Français. L’âme des Français s’est révélée. Trois tendances dominent. Deux lorgnent vers le passé, le néo-gaullisme pas très convaincant ni avenant du RN et le néo-mitterrandisme bricolé d’écologie de FI. Ces deux regards se raccrochent au passé, comme si les Français étaient devenus des adultes infantilisés, paumés, indécis, hésitants au point de se tourner vers les anciens pour leur demander conseil. La troisième tendance se tourne vers le futur ; elle est incarnée par LREM dont la seule base solide est le président et candidat Macron dont on a deviné quelques penchants autoritaires pour ne pas dire autocratiques.
10) Quel est le futur vers lequel se tourne Macron ? Le sait-il vraiment ? Le président en place a affronté l’épreuve des gilets jaunes, expérience qui lui a permis de renforcer son pouvoir. Seconde épreuve, le Covid. Une expérience de gestion que l’on peut dire réussie pour le président, mais une victoire à la Pyrrhus car cette réussite s’est faite en jouant sur la soumission des Français face à des mesures restrictives que nul n’aurait imaginées il y a cinquante ans. Autant dire que Macron connaît maintenant le terrain social pour imposer la planification totale incluant la transition énergétique, la rationalisation des soins, le formatage éducatif. Les Français se sont révélés comme des citoyens obéissants, excepté une minorité bruyante. Macron veut la puissance, l’efficacité. On peut voir dans son attitude une sorte de nihilisme dirigé contre l’Etre.
11) Les trois formations arrivées en tête au premier tour ont totalisé près des trois quarts des suffrages exprimés. Les trois personnalités qui les ont représentées ont un point commun, la démagogie. RN et FI sont qualifiés improprement de populisme, comme si le peuple était devenu une chose sale. Ces deux mouvements sont plutôt démagogiques et s’adressent plus aux producteurs, consommateurs et clients qu’au peuple et parce qu’ils n’occupent pas le pouvoir, ils doivent être plus démagogique et pratiquer la surenchère face à la démagogie raisonnée de Macron. Ces trois partis sont les représentants d’un syndicat du pouvoir d’achat et de la sécurisation.
12) La démocratie devient floue. Les médias lancent la démocratie libérale comme une chose politique bonne face à une mauvaise démocratie incarnée par le populisme référendaire. Mais au final, les deux se ressemblent puisque la présidentielle devient un choix de programmes dont les dispositions ne seront actées que si le parlement les exécute, devenant alors une chambre d’enregistrement dont les seuls effets sont des détails votés dans les amendements. Le parlement enregistre les directives de l’Elysée et les directives européennes. La démocratie parlementaire, qui est le maillon fort du corps politique intermédiaire entre exécutif et société, s’affaiblit de plus en plus.
13) La planification totale accompagne deux événements historiques. D’un côté la fin de l’homme, du sujet moderne, devenu un étant disponible pour le calcul et la planification. Cet événement s’est révélé avec une intensité particulière pendant la gestion du Covid. La fin de l’homme liée à une mutation du savoir fut prophétisée par Foucault. Second événement adossé au premier, la fin de l’histoire, non pas qu’il n’y ait plus d’événements historiques, loin s’en fait, mais plus de puissance historiale. Les archivistes de l’historicité et de la culture ont le champ libre. Cet événement fut prophétisé par Heidegger et annoncé plus récemment de manière brouillonne par Guy Debord. La science est aussi pour partie responsable de la fin de l’homme. Disons un certain usage politique de la science qui donne le style au régime. Planification écologique, restrictions conduites par un conseil de santé, gestion numérique du contrôle social, formatage par le neuro-enseignement. Les experts ont remplacé l’école de la vie, la transmission des valeurs, l’éducation des maîtres. Les anciennes figures de l’autorité se sont affaiblies. Pères, maîtres, chefs, juges, sont maintenant concurrencés par les managers, les gestionnaires, les consultants, les conseillers, les évaluateurs et bientôt, l’intelligence artificielle.
14) La présidentielle de 2022 signe une nation en transition vers des horizons incertains et inquiétants. Le régime orchestré par deux partis et un style politique est mort. La cinquième république survit comme un nouveau régime avec son style, autoritaire, planificateur. Une époque se meurt, une autre arrive. Cela se remarque lors des scrutins présidentiels. Le gaullisme et le communisme sont morts avec Giscard et Mitterrand. Le mitterrandisme et le chiraquisme sont morts avec Macron. Cet événement n’est pas arrivé fortuitement. Il fut préparé par Sarkozy et Hollande. Comment envisager la vie nouvelle de la nation ? Comme aurait pu le dire Churchill, Macron est le pire des présidents à l’exclusion de tous les autres. Le navire France aura un capitaine le 24 avril. La croisière risque d’être mouvementée, teintée d’amertume et colère pour les uns, de satisfaction pour les autres. Ceux qui sont tournés vers l’avenir sont invités à penser une vie nouvelle. Une république born gain ? Why Not ?
15) Crise de régime, le mot est lancé. Quel que soit le résultat de l’élection, une crise politique est prévisible, même si Macron est reconduit, car en ce cas, aucune des deux formations d’opposition ne peut espérer en une alternance. Macron, c’est le système verrouillé (avec les parvenus et les parvenants) et comme seul salut une assemblée hétéroclite amenant une cohabitation inédite et non consolidée. Macron n’a pas les moyens de résoudre les grands problèmes de la société française, avec une aggravation liée à la transition écologique, et cela risque de se traduire par une crise sociale assez intense, sauf si l’obéissance est de mise, ce qui représente une crise anthropologique, pour ne pas dire l’ultime crise de civilisation de l’Occident. Avec une lointaine ressemblance avec l’Allemagne de 1930. Un monde face au mur de l’impossible, la grande résolution, plus audacieuse que toutes les révolutions.
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Faire renaître la cinquième république est une proposition que je partage avec Michel Onfray dont la dernière saillie en appelle à une résurrection de la France d’avant Maastricht, non sans quelque allusion au général de Gaulle, valeur sure s’il en est, pour ramener les Français vers les urnes. Pour ma part, je n’ai pas d’avis tranché sur une réinvention de la vie politique qui doit puiser dans les éclats du passé tout en regardant des possibilités inédites ancrées dans l’être, le kosmos et le spirituel.