La démagogie égalitaire

par LM
mardi 10 avril 2007

On ne pouvait y échapper : la campagne « officielle » a démarré ce lundi, plaçant tous les candidats sur la même ligne de départ, les Ferrari aux côtés des 2 CV, les tracteurs avec les vélos, les génétiquement modifiés et les candidats nés. Le CSA est l’arbitre de cette consternante mascarade.

Au nom de l’égalité du temps de parole, depuis quelques jours déjà, on voit fleurir, dans toutes les émissions à la télévision, d’immenses chronomètres qui égrènent les secondes qui restent au candidat ou à la candidate invitée pour délivrer son message aux Français. L’autre soir, madame Royal, chez Denisot, s’est vue privée de « Boîte à questions » (sorte de confessionnal r’n b) parce qu’elle avait dépassé de quelques secondes son officiel temps de parole. On ne rigole pas avec le règlement, sur Canal+ comme ailleurs. Le CSA veille au grain et à l’égalité parfaite.

Autre exemple : l’autre soir chez Ockrent, monsieur July, ancien manitou de Libération (sorte d’Actuel bobo délocalisé chez Rothschild) posait une question à Voynet, sous les yeux ronds d’un Bruno Gollnish qui crut bon d’interrompre la candidate des Verts (sorte de parti écolo très réchauffé de la planète) et se vit immédiatement mettre en garde par le beau Serge : « Attention monsieur Gollnish, vous gaspillez votre temps de parole ! », et le Bruno, marri comme devant, de se ranger des voitures, d’un coup d’un seul, bien sage en attendant son tour.

C’est cela, l’égalité du temps de parole : attendre son tour. Parler quand Laurence Ferrari vous y invite, le temps imparti, pas plus, pas moins, pas une seconde par ci, pas deux minutes, pas de « Ne m’interrompez pas » ,pas de « pour répondre à votre question », rien, niet, que dalle. Mais depuis lundi, c’est pire encore : chaque centième sera compté, décompté, chaque millième, la moindre évocation, le moindre sous-entendu, la plus petite aparté, même chez Pascale Clark (sorte de Gérard Miller sans Ruquier) la plus petite miette sera soupesée, évaluée, disséquée par les « sages » du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui, le reste du temps il est vrai, n’ont pas grand-chose à faire à part changer de président. Ou de logos pour les films violents.

Nous sommes donc arrivés dans la plus triste période d’une campagne électorale : celle où tout le monde, même les chevaux de trait, même les bourriquets, même les bras cassés, ont le droit au même quart d’heure d’expression publique, comme on disait avant, que les cadors. Ceux qui n’ont pas la moindre chance d’être élus (c’est-à-dire, dans l’affaire qui nous occupe, neuf candidats sur douze !) auront le même espace de gloire télévisuelle que les favoris. C’est une sorte de miracle, une multiplication des pains version élyséenne, une sorte « d’égalitarisme » (comme on dirait « d’intégrisme ») qui laisse pantois. Ou au moins dubitatif. Parce qu’enfin, les professions de foi de messieurs Schivardi ou Nihous, les imprécations marxistes de monsieur Besancenot ou de madame Laguiller, les gesticulations vendéennes de De Villiers ou les approximations sans âme de Voynet, franchement, méritent-elles donc autant de place que la vraie bagarre du centre de la droite et de la gauche qui seule décidera (qu’on le veuille ou non) du résultat final.

Que sait-on aujourd’hui, de façon sûre ? Qu’ils sont quatre à pouvoir accéder au second tour : Bayrou, Sarkozy, Royal et Le Pen. Pas un de plus. Les huit autres n’ont aucune chance. Donc ne servent à rien. A rien qu’à « alimenter le débat démocratique » répondront les lectrices de Elle. Oui, évidemment, ce sacro-saint débat. Mais de débat, il n’y en a pas, de toute façon, et il n’y en aura sans doute pas, on n’assistera vraisemblablement jusqu’au bout qu’à une guerre larvée, une confrontation à distance entre ceux qui sont convaincus d’avoir raison et ceux qui pensent n’avoir pas tort. Et si débat il y a, il devrait déjà se limiter aux quatre candidats majeurs, pas un de plus. Parce qu’il est temps d’aller à l’essentiel, à ce qui compte vraiment. Il est temps de passer aux choses sérieuses. D’arrêter de mener les indécis en bateau. En leur disant que Jean-Marie Le Pen ne sera jamais président de la République, par exemple. Sa présence éventuelle (et tout à fait possible) au second tour ne fera, comme en 2002, qu’offrir la victoire sans combattre à l’autre qualifié, quel qu’il soit. Au nom du « sursaut républicain », cette vieille tactique (de gauche) consistant à renier toutes ses convictions au nom de l’intérêt national.

Il est temps (plus que temps) de passer aux choses sérieuses, et au lieu de ça, on va assister jusqu’au 22 mars à une succession de phrases vides, creuses, amusantes ou grotesques de la part de candidats qui n’arriveront nulle part. Chasse, pêche, nature, tradition, communistes, révolutionnaires, travailleurs, verts, vont tous s’agiter comme à la Nouvelle Star avant Baltard, ce moment où tout est autorisé, même la pantalonnade. Ce moment où l’objectif pour beaucoup est manifestement de passer au zapping. L’élection présidentielle façon « jeu télévisé », comme chaque fois, pour se moquer des clips de campagne, du mauvais jeu des uns, de la coiffure des autres, de la solennité de certains ou de la musique en fond sonore. Rien à voir avec la politique.

Pendant douze jours les douze candidats vont s’en donner à cœur joie, surtout les « petits ». C’est pour eux que le système est ainsi fait. Ils enregistreront leur passage pour leurs enfants, leurs petits-enfants plus tard, ils seront dans les « Enfants de la Télé » d’après la glaciation, ils feront bien rire Arthur ou Pierre Tchernia. Ils n’auront pas fait avancer le débat, mais peu importe, ils auront eu « leur chance », comme tous les autres. Comme le PSG a une chance (7 journées à venir, 21 points à prendre) de finir européen. « Mathématiquement, tout est possible » disait le philosophe Aimé Jacquet. Démagogiquement aussi.


Lire l'article complet, et les commentaires