La démocratie a-t-elle besoin de chefs ?

par Bur K
vendredi 3 mai 2013

On peut également se poser une autre question : le Français a-t-il besoin de chefs ?

Par définition, la démocratie est le régime politique dans lequel le peuple est souverain.

Selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln[1], la démocratie est « le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple ».

Si la question avait été « de quels chefs la démocratie a-t-elle besoin ? », elle aurait implicitement affirmé qu’une démocratie a besoin de chefs pour la diriger. Or, c’est précisément cette affirmation que j’interroge.

Le chef
Vous êtes avec moi ? Oui chef !

On parle de démocratie représentative, parlementaire, participative, libérale, autoritaire, politique, chrétienne, islamique, etc. J’en ai recensé plus d’une douzaine[2]. Aucun de ces oxymores ne répond à la définition étymologique d’une démocratie. Chacun correspond à un détournement du langage pour désigner une pseudo-démocratie, démontrant les tromperies auxquelles se sont livrés les candidats au pouvoir pour maintenir les peuples dans la soumission.

En contre point, l’expression démocratie directe est un pléonasme qui insiste sur la définition étymologique[3].

Définition du mot démocratie selon le CNTRL[4] : régime politique, système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens.

Loin de moi l’idée de démontrer dans ce très court billet la thèse du chef indispensable à la démocratie, pas plus que son antithèse. Certes, si l’on s’en tient à la définition stricto sensu de la démocratie, on serait tenté de dire que non seulement la démocratie n’a pas besoin de chef, mais qu’elle exclut l’idée même d’un chef. Mon intention est ailleurs : soumettre mon questionnement au lecteur d’AgoraVox, pour tenter de comprendre le paradoxe de notre Ve république en ce début du XXIe siècle.

Voici donc les questions auxquelles je cherche des réponses :

· Et si le peuple de France ne veut pas s’autogouverner ?

· S’il veut qu’un chef se charge de le gouverner ?

· N’est-ce pas paradoxal de revendiquer la démocratie, et en même temps exiger le pouvoir infaillible d’un chef, par ailleurs pas tout à fait souverain ?

· N’est-ce pas paradoxal d’attendre de ce chef qu’il sache mieux que le peuple ce qui est bon pour le peuple ?

· Si le Français ne peut pas se passer de chefs, la constitution ne devrait-elle pas prévoir la révocation légitime de ces chefs par le peuple, plutôt que d’être obligé d’en passer par la violence ?

Ces questions nourrissent mes pensées alors que, après des siècles de royauté théocratique suivis en 1789 d’une révolution républicaine, le Français semble étrangement toujours en quête d’un souverain idéal, infaillible, qui lui dicterait les « bonnes lois », celles qui garantissent l’égalité, la sécurité, et la liberté… Et voilà le paradoxe du citoyen français : ma liberté me sera dictée par le chef suprême, incontestable, puisque désigné par 50% des suffrages exprimés, c’est-à-dire actuellement, compte tenu des abstentions et des votes blancs, par un tiers des Français [adultes].

En m’appuyant sur l’étude de la psychologie des foules de Gustave Le Bon[5], je reprends une idée que j’ai lue ici dans un récent billet sous la plume de Loup Rebel : « Le peuple est comme un enfant qui recherche la protection d’un père, tout en aspirant à échapper à l’autorité qui restreint sa liberté ». Les réactions furent assez enflammées, autant du côté des approbations que de la contestation.

À la réflexion, le parallèle entre la foule et l’enfant m’a semblé pertinent : à la manière des parents qui imposent à l’enfant les règles qu’il doit suivre pour vivre heureux, en harmonie avec ses semblables, on relève dans presque tous les discours des chefs de partis politiques une volonté de définir à la place du peuple ce qui sera bon pour lui, jusqu’à finalement lui imposer. Selon le raffinement linguistique des orateurs, certains diront qu’il faut « éduquer » le peuple, ou qu’il faut le « convaincre ». J’ai même lu sous la plume des plus intégristes qu’il faut mettre en œuvre un « prosélytisme efficace » pour conquérir le plus grand nombre d’adhésions. Souvent, ces radicaux considèrent que le référendum est incompatible avec une saine gouvernance politique. Ou alors qu’il met en danger la république… comme l’enfant met en danger sa famille s’il ne se soumet pas à l’autorité parentale.

C’est pourtant bien ce qui se passe dans notre pseudo-démocratie : de la même façon que l’on ne demande pas l’avis de l’enfant – seule compte l’autorité parentale jusqu’à sa majorité –, on ne demande pas son avis au peuple.

· Le peuple serait-il donc bien comme un enfant qu’il faut guider et protéger jusqu’à sa maturité ?

· Mais dans ce cas, dans une démocratie, qui sont les parents légitimes du peuple ?

· À qui en incombe l’autorité ?

· Et comment savoir si le peuple a atteint sa majorité, ou sa capacité à s’émanciper ?

· Enfin, qui décide de tout ça ?

Beaucoup de questions auxquelles nous avons à trouver des réponses, avant de trancher pour savoir si la démocratie a besoin de chefs ou pas.

Toujours sous la plume de Loup Rebel, son commentaire dans « Le 5 mai, en marche contre l’apartheid social » a retenu toute mon attention. Il met en parallèle le développement d’une civilisation depuis son origine jusqu’à sa maturité, avec l’évolution de l’individu de son enfance à l’âge adulte :

À l’échelle de notre civilisation :

· Nos très lointains ancêtres avaient imaginé un chef idéal, bon comme un « père idéal », et l’avaient appelé Dieu. Ils étaient convaincus que Dieu existe, chacun affirmant « je crois en Dieu ».

· Quand Dieu a quitté le monde imaginaire, il est mort.

· À force de chercher le « bon chef idéal », pour remplacer Dieu, les ‘’enfants de la patrie’’ ont fini par se sentir orphelins.

Evolution humaine
Evolution darwinienne de l’homme

Ce cycle se reproduit à l’échelle d’une vie humaine :

· L’enfant affirme : « je crois au père Noël ».

· Plus tard, le père Noël quitte l’imaginaire de l’enfant qui dit alors : « je ne crois plus au père Noël ».

· Plus tard encore, l’adolescent se rebelle contre son père : il est déçu de découvrir que son père n’est pas meilleur que les autres adultes.

· Devenu adulte, il continue pourtant à chercher le père idéal qu’il avait imaginé quand il était enfant. Et chaque fois qu’il croit en avoir trouvé un, arrive toujours le moment de la déception.

Qui sont les candidats au rôle de chef ?

Ils sont ceux qui ont compris – consciemment ou inconsciemment – que l’enfant qui sommeille dans le cœur des Hommes est toujours à la recherche du père symbolique que nos ancêtres lointains avaient appelé Dieu. Sa stratégie de séduction pour se faire élire s’appuiera sur ce postulat.

Le chef élu sera finalement l’imposteur le plus doué pour se faire passer pour Dieu.


Avant de conclure, je voudrais ajouter que pour Jacques Ellul, l’adhésion persistante aux croyances déistes[6] serait le signe de l’immaturité, cause du besoin d’une autorité supérieure, sécurisante, mais privative de liberté :

« L’erreur première de ceux qui croient à un monde majeur, peuplé d‘hommes prenant en main leur destin, c’est d’avoir une vue purement intellectuelle de l’homme. Mais voilà : être non-religieux n’est pas seulement une affaire d’intelligence, de connaissance, de pragmatisme ou de méthode, c’est une affaire de vertu, d’héroïsme et de grandeur d’âme. Il faut une ascèse singulière pour être non-religieux ».

Jacques Ellul précise également :

« L’homme n’est pas du tout passionné par la liberté, comme il le prétend. La liberté n’est pas chez lui un besoin inhérent. Beaucoup plus constants et profonds sont les besoins de sécurité, de conformité, d’adaptation, de bonheur, d’économie des efforts… et il est prêt à sacrifier sa liberté pour satisfaire ces besoins. Certes, il ne peut pas supporter une oppression directe, mais qu’est ce que cela signifie ? Qu’être gouverné de façon autoritaire lui est intolérable non pas parce qu’il est un homme libre, mais parce qu’il désire commander et exercer son autorité sur autrui. L’homme a bien plus peur de la liberté authentique qu’il ne la désire ».

Démocratie-tyranie
Quels chefs en démocratie ?

La question reste entière : la démocratie est-elle compatible avec la désignation d’un chef ?

· Si la réponse est oui, la question est : de quels chefs la démocratie a-t-elle besoin ? Le retour à l’impérialisme en 1799 avec Napoléon Bonaparte, après la naissance du mouvement révolutionnaire de 1789, puis l’exécution du roi en 1793, incline à s’interroger dans ce sens.

· Si la réponse est non, d’autres questions se posent : dans quel régime politique sommes-nous réellement en 2013 ? Comment rendre compatibles les chefs et la démocratie ?

Le 5 mai2013, les enfants de la patrie (nous ?), orphelins, battent le pavé parisien à la solde d’un père symbolique, le bon chef idéal attendu avec ferveur...

Mais… attention au père tyrannique qui fait peur aux enfants…

Chers lecteurs, merci, et à vos plumes pour clavarder sur la démocratie en France, et son horizon proche. 



[1] Abraham Lincoln : 12 février 1809 - 15 avril 1865 - Seizième Président des États-Unis, élu pour deux mandats de quatre ans, en 1860 et 1864, il est le premier président républicain de l'histoire du pays. Il rédige la proclamation émancipant les esclaves et signe le 13e amendement abolissant l’esclavage. Fiche Wikipédia

[2] Liens vers les fiches Wikipédia : démocratie - démocratie directe -démocratie participative - démocratie délibérativedémocratie libérale - démocratie représentative - démocratie chrétienne - démocratie athénienne - démocratie royaliste - démocratie républicaine - démocratie mondiale - démocratie économique - social-démocratie - cyberdémocratie

[3] Étymologie du mot Démocratie : du bas latin democratia, emprunté au grec ancien δημοκρατία = dêmokratía, où dêmos = peuple, et kratos = pouvoir.

[4] CNTRL : Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (voir la définition de démocratie).

[5] Liens vers la fiche Wikipédia de Gustave Lebon, ses œuvres, et son ouvrage Psychologie des foules en téléchargement gratuit.

[6] L’expression croyances déistes est à entendre ici dans un sens non limité à la croyance en Dieu, mais en la toute-puissance possiblement incarnée chez les individus que l’on place sur un piédestal, selon l’expression consacrée.

 

Crédit photo :

cfecgc de canal-blogspot

club doctissimo.fr

alterinfo.net

 


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