La démocratie en état de « légitime défense » ?
par Marcel MONIN
samedi 14 mai 2016
La démocratie, c’est un système d’organisation de la société qui (en bref) a pour objet d’empêcher que le 1% (1) de la société ne transforme le reste en masse de manoeuvre qui, en dernière analyse, aurait l’obligation d’obéir et le droit… de se taire. (Y compris quand une partie d’entre elle serait contrainte au chômage, ne mangerait plus correctement, ne se logerait plus, ne se soignerait plus suffisamment).
Ce système est organisée autour de l’élection. Avec l’idée (un peu sommaire) que les 99% de la population étant plus nombreux que les 1%, … la démocratie régnera (2). Avec les axiomes que l’on a greffés sur l’élection : « qui dit élection, dit démocratie » (3) ; « qui dit vote, dit légitimité » (4).
Le 1% a très vite compris que la démocratie ne le dérangerait pas.
A. Il lui suffisait
1/ que les siens occupent les postes de décision dans l’Etat ; et
2/ que le résultat des élections fournisse une légitimité à cet état de fait.
B. Dans le cas où les dirigeants travailleraient vraiment trop pour les 99% et pas assez pour le 1%, il suffisait que ces derniers soient éliminés.
Ce qui fut fait (1).
Le pouvoir économique et le pouvoir politique ne sont pas séparés, les électeurs sont conditionnés par les argumentaires des médias, par les discours concordants des hommes politiques travaillant à la conservation de leur gagne pain, et par le travail en profondeur de multiples cercles de pensée et autres officines de fabrication de l’opinion.
Les dirigeants qui se mettent dans la tête de faire perdre de l’argent à des membres de la minorité (5) sont éliminés.
Ce qui fait apparaître (mais ce qu’on se refuse à dire) que la démocratie se trouve attaquée de l’intérieur. Y compris par l’assassinat.
D’autant plus facilement que les dirigeants de l’Etat, lorsque ce sont des gens du 1%, se gardent bien de doter la démocratie des armes qui permettraient à cette dernière de se défendre.
A cet égard, et entre autres multiples exemples, on a rarement vu un banquier ou un avocat d’affaires une fois parvenus au pouvoir, déposer une proposition ou un projet de lois tendant à détricoter les mécanismes qu’ils utilisent dans leur vie profane pour soustraire à l’administration fiscale les énormes sommes que l’on sait.
Situation qui, une fois installée, rend très difficile aux démocrates (ceux qui sont indépendants du 1% et qui veulent travailler pour l’intérêt « général ») d’accéder au pouvoir. Et de s’y maintenir… quand le miracle (6) survient.
Difficile, parce que le 1% est aux aguets avec ses moyens opérationnels colossaux.
Mais également parce que les démocrates ont oublié que la démocratie a été obtenue à la suite de violents combats. Et qu’elle ne peut survivre, dans ce contexte de violence et de rapport de forces, que par le maintien d’un rapport de forces favorable à la démocratie, donc, dans certains contextes, par l’usage de la force (7).
Difficile aussi, parce qu’on nous fait croire que lorsque l’on combat (8) pour la démocratie, on œuvre contre elle. Ce qui conduit souvent les intellectuels à contenter de gémir et … à accepter de subir. En répandant qui plus est l’idée (fausse) que la démocratie porterait en elle les germes de sa propre destruction (9). Comme si le gentil avait l’obligation, au nom de la gentillesse, d’accepter d’être tué par le méchant.
Sans qu’on veuille inciter les démocrates à utiliser les mêmes moyens que leurs adversaires, on peut leur suggérer de réfléchir à la mise en œuvre de techniques de « légitime défense » de la démocratie.
1. Déjà en dotant l’Etat de moyens juridiques qui n’existent pas, propres à tenir en respect les truqueurs de la démocratie (10)
2. Ensuite, et selon l’urgence (et, selon le contexte, en attendant et pour pouvoir attendre la mise en place de l’arsenal juridique nouveau) en ayant recours à ce qu’on pratique couramment dans les relations internationales : la menace de mesures de rétorsion.
La menace est certes un scandale. Mais que l’on pardonne souvent quand elle est utilisée pour la bonne cause. Et que ceux qui en sont l’objet ne contestent d’ailleurs pas lorsqu’ils savent qu’ils ont tort (et que bien entendu les chances d’y échapper sont faibles).
Dans un domaine proche de celui qui est évoqué ici, nous rappellerons à ce sujet l’anecdote suivante.
Une rencontre a eu lieu en juillet 2013 (ainsi que le révèlent en tous cas diverses sources) entre V. Poutine, président russe, et le prince Bandar, à l’époque chef des services secrets saoudiens. Au cours de laquelle celui-ci aurait souhaité que le président russe se retourne contre Bachar El Assad, et aurait offert à la Russie une protection contre une attaque terroriste d’extrémistes tchétchènes lors des jeux olympiques d’hiver de Sotchi. Le président Poutine aurait alors menacé le roi d’Arabie Saoudite de représailles sur sa personne (d’habitude habituée aux révérences) ou sur le pays, représailles aussi sanglantes que les éventuelles actions des Tchétchènes du prince.
Contrairement à ses homologues, dont certains s’inclinent plus bas que leur fonction ne le leur permet, le chef d’Etat russe a ainsi mis en œuvre à l’égard d’un riche monarque, la technique d’électrochoc que l’on réserve en général aux pauvres (v.Salvador Dali).
Ce qui fait se demander ce qui se passerait si les services action des services secrets étaient tenus en réserve pour oeuvrer cette fois-ci (11) (et sous la direction des seules autorités de l’Etat) en vue du fonctionnement ni troublé, ni dévoyé de la démocratie.
Et, après expérimentation (12), on pourrait voir si les attaques spéculatives sur une monnaie, les cracks boursiers, les évasions de capitaux, les assassinats de chefs d’Etat soucieux de l’intérêt général, qui ne peuvent se produire que lorsque la démocratie ne fonctionne pas, seraient décidés aussi volontiers et se produiraient aussi souvent.
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
docteur d'Etat en droit
(1) cette situation n’a été rendue possible que parce que les décideurs de l’Etat ont accepté et fait le choix personnel d’utiliser leur pouvoir de décision (sous forme de loi ou de décret) pour mettre en place des mécanismes qui creusent les inégalités ( ainsi que les chiffres en mesurent l’ampleur) et augmentent les injustices. Sur l’action des politiques, v. , entres autres, les travaux du Pr Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie (notamment « le prix de l’inégalité » Babel 2012), qui ne semblent pas être la source de l’inspiration des « spécialistes » de l’économie qui tournent d’un plateau de télévision à un autre.
(2) ou, pour certains, … autrement que selon l’arithmétique . On se rappelle ce qu’avait dit en substance A. de Tocqueville au moment du débat sur l’instauration du suffrage universel : « le suffrage universel ne me fait pas peur, ils voteront comme on leur dira » ;
(3) Ou veulent le faire croire parce que ça les arrange : En Afrique subsaharienne, quand des élections sont truquées, mais que l’élu est celui qui arrange le 1% étranger, on dit que la démocratie « progresse » ; les fraudes passent par pertes et profit. Si les élections donnent un élu non souhaité, on raisonne autrement : v. les mésaventures de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire et devant la CPI.
(4) Les juges se sont mis à grignoter l’axiome, en écartant de plus en plus l’application de ce qui est voté (V. la jurisprudence de la Cour de Cassation, du Conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel). Ce qui fait que les politiciens ont délocalisé les règles qui permettent de satisfaire les intérêts du 1%, vers ce que les juges ne contrôlent pas : les traités et la constitution. Exemple parmi d’autres : les règles qui décident de la politique de l’Etat ont été placées dans le traité de Lisbonne, ce qui prive les parlementaires de l’usage de l’article 34 de la constitution, et qui fait échapper ces règles au contrôle des juges. Le tout couvert par le texte constitutionnel qui a été amendé pour permettre cette atteinte au fonctionnement de la démocratie qui veut, entre autres, que le peuple puisse se prononcer sur son sort (directement ou par ses représentants dont le rôle traditionnel avait toujours été de discuter, voter et modifier la politique).
(5) Parmi d’autres et dans le désordre, voir sur internet, à qui profite « objectivement » la mort de ces hommes d’Etat : Kennedy (USA) ; Lincoln (USA) ; Mossadeg ( Iran) ; Saddam Hussein (Irak) ; Mouamar Khadafi ( Libye) ; Bachar El Assad –raté- ( Syrie) ; Patrice Lumumba ( Congo Kinshasa) ; Houari Boumediene (Algérie) ; Mohamed Boudiaf ( Algérie) ; Thomas Sankara ( Burkina) ; Modibo Keita (Mali) ; Salvador Allende ( Chili) ; Félix Moumié ( Cameroun) …
Par ailleurs un simple regard sur le monde, passé et présent, permet de constater que les politiciens qui se contentent de jouir de l’usage des palais de l’Etat et d’assurer leur niveau de vie personnel en fermant les yeux sur le reste, ou en y prêtant la main, vivent en général paisiblement et gouvernent longtemps.
(6) Quand on croise les noms et les trajectoires des candidats aux « primaires », et que l’on analyse les écrits et les propos de ces derniers, on ne peut pas prédire le miracle pour 2017 et encore moins que le miracle se produira de leur côté. (V. sur agoravox : « la démocratie en un coup »).
(7) ou par la menace –crédible- de l’usage de la force. Ce qui se fait d’ailleurs dans le domaine militaire, pour assurer … la paix.
(8) à distinguer des combats meurtriers déclenchés au nom de la démocratie, là où il a des richesses à extraire ou des pipe-lines ou des gazoducs à installer. Notamment ceux qui ont été menés au nom d’un pseudo « droit » d’ingérence « humanitaire » pratiqué à coup de centaines de milliers de morts, sorti du cerveau d’une poignée d’individus, en vue de camoufler la violation de deux principes, qui eux existent en droit positif : le respect de la souveraineté des Etats, et l’interdiction de l’ingérence dans les affaires intérieures.
(9) que les démocrates n’aient pas su défendre la démocratie à certaines époques et dans certains lieux, ou qu’ils ne se préoccupent généralement pas – pour diverses raisons dont aucune n’est satisfaisante, de trouver les moyens de le faire, est une autre question.
Lorsque le FIS (Front islamique du salut) était en passe par la voie de l’élection (technique de fonctionnement de la démocratie) de s’installer en 1991 pour supprimer la démocratie, les autorités militaires algériennes ont arrêté le processus électoral. Elles ont compris que l’élection était faite pour et non contre la démocratie. Ce qui est difficile à admettre ou même à comprendre par ceux qui tiennent la formule « qui dit élection, dit démocratie » pour vérité, ce que la réalité dément dans nombre de situations.
(10) En particulier création de cas de responsabilité civile en cas d’utilisation de la monnaie à certaines fins ou ayant pour effet d’engendrer un préjudice pour la collectivité ou un fraction de la population ; mise en place de procédures de destitution des élus (et des agents publics) se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts, débouchant sur la saisie des sommes ou des biens produits par le conflit et d’amendes civiles (tendant à « ruiner » les individus qui ont mis les prérogatives attachées à leurs fonctions au service d’intérêts privées). Le tout indépendamment de la répression pénale, laquelle, dans beaucoup cas, ne peut avoir, dans son état actuel, d’aboutissement (incriminations lacunaires, charge de la preuve, élément intentionnel, etc…, sans compter les immunités et privilèges de juridictions qui sont détournés de leur objet).
(11) v. les déclarations d’anciens agents des services secrets dans les films sur la « Françafrique » et les enquêtes réalisées sur les services secrets français, américains, israéliens, russes et autres).
(12) on pourrait d’ailleurs expérimenter l’efficacité de la technique dans le domaine du terrorisme. Comme V. Poutine l’a fait. « - Tu finances les terroristes ?... Au premier attentat commis par l’un d’entre eux, … ‘ tu passeras à la casserole’ ». Familiarité qui n’empêcherait pas de continuer (sur des bases éventuellement différentes) les affaires, … puisque ces dernières supposent que chaque partenaire continue à jouir d’une bonne santé.