La démocratie est malade

par Bernard Dugué
vendredi 29 avril 2016

Les élections présidentielles en Autriche on vu le candidat de la droite dure virer en tête au premier tour avec plus d’un tiers des suffrages, 16 points devant le candidat écologiste alors que les partis historiques de droite et de gauche ont été balayés. Il y a quelques temps, le Parti socialiste grec a lui aussi été éjecté du jeu politique au profit de la formation montante Syriza conduite par une figure charismatique, Alexis Tsipras. En Espagne, la fronde contre les deux partis historiques s’est traduite par le bon score de Podemos, nouveau parti qui a traduit en monnaie politique les créances accumulées par la banque de la colère ouverte par les indignés. Au Royaume-Uni, on ne peut pas parler d’un effondrement de la droite mais plutôt d’un naufrage possible des Travaillistes dû principalement à la substitution du vote « ouvriériste » et social-démocrate par l’adhésion à un parti indépendantiste en Ecosse. La désespérance des classes sociales en déclassement ne se traduit plus par un vote à gauche mais par une affinité avec un mouvement régionaliste. Ce même phénomène se déroule en France sauf que c’est à l’échelle nationale et que le parti en question se réclame d’une sorte de patriotisme à géométrie variable mais avec une personnalité charismatique capable d’absorber les colères populaires pour ne pas dire populistes. En Italie, même si un social démocrate gouverne, on a vu émerger un parti de la colère conduit par un humoriste, Beppe Grillo. En Allemagne, les partis historiques résistent bien malgré quelques percées modestes de mouvement d’extrême-droite lors des récentes élections dans trois landers. Le Brésil vit aussi une grave crise démocratique, comme nombre de pays dont l’Inde, la Turquie et les Philippines.

Tous ces événements politiques récents disent une chose, c’est que la démocratie est fatiguée dans la plupart des pays occidentaux. Même aux Etats-Unis qui voit un Donald Trump caracoler dans les primaires républicaines alors que les notables de ce vieux parti s’arrachent les cheveux. Trump, c’est la synthèse entre Bernard Tapie, Beppe Grillo et Marine le Pen. Les mauvaises langues disent de lui qu’il a un cerveau de blonde. La désamour des citoyens démocratiques se traduit ainsi par une adhésion à des personnalités charismatiques en dehors des moules ou alors des formations politiques nouvelles. En France, le PS est sur une mauvaise pente et François Hollande affiche une cote de défiance énorme. Nicolas Sarkozy n’est guère plus aimé. Chez nous aussi, l’aspiration à des personnalités nouvelles se manifeste mais pour l’instant, ce n’est que dans les sondages qui reflètent comment des personnalités sont érigées en mythe providentiel par les médias. Emmanuel Macron pour le centre-gauche et Nicolas Hulot pour un rassemblement vert qui pourrait faire aussi bien que le résultat écologiste en Autriche.

Les sensibilités politiques se déplacent vers des partis de droite autoritaires, passéistes, traduisant le souci de préserver un monde qui n’existe plus et de se protéger de la mondialisation, ou alors vers des partis de gauche qui n’ont pas vraiment d’horizons précis et sont souvent l’expressions des colères venant des déclassés, ou enfin des personnalités sortant du cadre avec l’illusion que le mouvement de la mondialisation sera bien barré par ces capitaines qui font bouger les lignes en assurant le cap.

La démocratie n’a jamais été une fin ni un remède miracle. Ce n’est qu’un outil pour qu’un pays puisse être organisé et gouverné. Le jeu politique actuel traduit un malaise démocratique ou si l’on veut, l’épuisement d’un système qui a trop fonctionné et dont les rouages sont fatigués. C’est peut-être aussi que les populations occidentales ont usé la démocratie. Les citoyens ont disparu au profit des consommateurs et des joueurs de technologie. Les médias de masse ont engendré une masse d’incultes et de décadents, c’est aussi un ressort puissant qui a déglingué la démocratie.

Le désarroi ou la déception face à la démocratie ne signifie pas forcément un jugement politique. Seuls les citoyens disposant d’un savoir politique peuvent jauger la démocratie. Le reste est une affaire d’appréciation flou, d’opinion approximative, où se mêlent des mécontentements et des frustrations. La défiance face à la démocratie se présente souvent comme un jugement de consommateur. Ce qui est logique, puisque la démocratie est un outil dont on peut se dire mécontent après un long usage alors qu’il ne satisfait pas les désirs. On trouve aussi des ressorts narcissiques. Les individus se sentent (à tort et à raison) méprisés par les élites et l’envie se mêle à la jalousie et la colère d’être éconduit en étant trahi les comportements du pouvoir. Un pouvoir qui du reste ne respecte pas les règles éthiques et chaque jour apportant son lot de révélation sur les enrichissement légaux ou limite de nombres d’élus. La décadence démocratique est causée autant par les élus que par les peuples. Ces deux phénomènes sont renforcés par les discours et images diffusées par les médias de masse et relayées par les réseaux sociaux.

Parfois il m’a été demandé des pistes et des solutions après la lecture des quelques recensions du monde que je propose sur Agoravox. Je n’en vois pas. Tant que les citoyens ne se prennent pas en main du point de vue spirituel, intellectuel et ne prennent pas de distance face au consumérisme ainsi que face au technocosme, la démocratie ne fonctionnera pas conformément au principe de justice sociale. Et comme dirait Kant : ne prends pas la démocratie seulement comme un moyen mais aussi comme une fin ! Et cette fin, c’est un art de vivre ensemble, de s’élever ensemble, de créer et de faire une civilisation.

La solution de la démocratie est en toi citoyen. Regarde ce que tu es, ce que tu veux, ce que tu espères et tu verras si tu es un authentique démocrate ou juste un simple passager dans une longue croisière qui s’amuse ou qui sombre et que l’on appelle existence, un passager qui ne cherche pas à trouver un cap tout en accusant le capitaine des maux occasionnés par le voyage.


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