La démocratie est presque morte

par Bernard Dugué
samedi 27 février 2016

La démocratie est un concept de philosophie politique autant qu’un caractère essentiel permettant de définir comme démocratique un régime. La France est un régime démocratique, la Chine ne l’est pas. La démocratie représentative consiste à élire des représentants du peuple dont l’exercice politique est censé accomplir la volonté générale. Mais qu’est-ce la volonté ? N’a-t-on pas une dérive de la volonté vers les désirs. Quand les politiques prononcent cette formule des « Français qui attendent » on pense à des citoyens dans une étable qui attendent des mesures pour améliorer leur existence et satisfaire non pas tant une volonté citoyenne qu’un ensemble de désirs. Le « je veux » désigne alors l’expression d’un désir, bien plus que la liberté d’un faire ou alors une espérance collective. La politique joue sur ce « je veux » et complète la satisfaction des désirs par la voie de l’Etat social alors que la réalisation des désirs incombe en principe aux productions économiques. La démocratie a souvent été associée à l’économie de marché. Cette association est arbitraire puisque l’économie la plus dynamique depuis 20 ans et qui est une économie de marché est pratiquée dans un grand pays qui n’est pas démocratique, la Chine.

La démocratie est plus ou moins compatible avec des déterminations matérielles et des aspirations collectives. Le désir exacerbé de sécurité est incompatible avec la démocratie mais aussi le progrès technique si l’on accepte la thèse de Ellul qui accorde à la Technique un développement autonome. Ce qui signifie que la gouvernance obéit à des impératifs techniques qui ne coïncident pas nécessairement aux volontés générales et aux aspirations citoyennes. Nous en avons un exemple récent.

La loi sur le travail brouille complètement le jeu politique. Rappelons que la France est un pays miné par le chômage mais que le travail évolue dans sa structure. Le désir d’exercer un emploi protégé à défaut d’être à vie est légitime mais l’accélération des techniques et des moyens de production rend incertaine la stabilité professionnelle ainsi que la pérennité des entreprises. Cela impose de revoir le code du travail. On note alors que le texte proposé par l’exécutif socialiste est disposé à être soutenu par les grandes figures de l’opposition, Bruno le Maire ou Alain Juppé pour n’en citer que deux. La pression de la Technique abolit ainsi les divergences politiques traditionnelles et historiques. Le sens de la démocratie est lui aussi aboli. On pourrait trouver d’autres exemples dans lesquels le fonctionnement antidémocratique est encore plus direct. Par exemple le bon nombre de lois transposées depuis Bruxelles et dont la source n’est pas la commission européenne mais bel et bien les Etats dont les gouvernants contournent ainsi les débats publics dans leurs parlements respectifs.

Il faudrait écrire un ouvrage pour analyser et comprendre comment le progrès technique est antagoniste de l’exercice légitime de la démocratie. Avec un conflit partiel mais puissant entre deux pouvoirs, celui des hommes et celui des techniques. Mais la démocratie n’est pas seulement menacée par la technique, elle l’est aussi par l’idéologie et les pouvoirs autoritaires qui en découlent. Les actes terroristes de 2015 sont liés à des activistes se réclamant d’une idéologie totalitaire basée sur le religieux dans ses pires aspects. Ils induisent une réaction sécuritaire qui elle aussi, ne fait pas bon ménage avec la démocratie. Les nouvelles dispositions prévues pour la constitution ne feront qu’affaiblir symboliquement la France.

La mort de la démocratie est une éventualité qui se dessine. Je ne pense pas qu’écrire des ouvrages puisse infléchir le sort de l’Histoire. Il y a deux siècles, les livres influaient sur le cours des choses. Plus maintenant. La crise des migrants risque de détruire l’Europe et de conduire à la guerre civile. Profitez bien du temps qui vous est imparti. D’ici dix ans, le pire est possible, ou peut-être avant. Ce chaos est finalement rassurant. Un jour il faut mourir. Je n’aurai aucun regret à quitter ce monde pas vraiment reluisant.


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