La diagonale de Sarkozy

par Philippe Moreau
jeudi 26 octobre 2006

Qui connaît la Diagonale ?

La Diagonale est un groupe discret. Un club politique qui a ses entrées au Figaro, l’un des seuls journaux à couvrir ses activités et à publier ses billets, en général de violentes attaques contre Ségolène Royal. Il tient ses réunions aux Bains Douches, un club branché de la capitale. Et il accueille du beau monde. Car la Diagonale réunit... les sarkozystes de gauche !

Pour un sarkozysme de gauche, c’est le titre du premier billet publié par La Diagonale sur son Skyblog, le 1er mai 2006. Qu’est-ce que le sarkozysme de gauche ?

"Nous pensons qu’aujourd’hui, en dépit de son appartenance affichée à une droite décomplexée, Nicolas Sarkozy est le seul homme à se positionner sur la rupture et à vouloir moderniser notre pays, écrit la Diagonale. Sans vouloir forcément rejoindre l’UMP, nous souhaitons néanmoins prendre une juste part à la démarche que Nicolas Sarkozy a engagée et nous nous déclarons ouverts à sa méthode qui s’illustre par sa grande capacité d’écoute, sa modernité et son volontarisme."

La mention "sans vouloir forcément rejoindre l’UMP" indique clairement que nous sommes face à une sorte de "sas". Un guichet destiné à enregistrer le ralliement discret d’une partie de la gauche. Ou plutôt, comme on le verra, des élites de gauche. Car, on ne sera pas surpris, les ouvriers et les précaires ne se bousculent pas pour débattre aux Bains Douches.

Sur le fond, poursuit le groupe dans ce texte fondateur : "Force est de reconnaître, tout d’abord, que Nicolas Sarkozy [...] a créé un climat intellectuel que certains d’entre nous avions vécu à gauche dans les années soixante-dix, mais dont nous étions, depuis, devenus orphelins." Nicolas Sarkozy, en plus de "sa capacité d’écoute, sa modernité et son volontarisme", incarne donc l’esprit de 1968. On verra plus loin qu’il ressemble aussi à de Gaulle. La Diagonale, qui fait aussi volontiers référence à Mitterrand, n’est pas à une contradiction près.

Nicolas Sarkozy ouvre, toujours selon la Diagonale, "de nouvelles pistes" pour "maîtriser l’ordre public" et "combattre la première des injustices sociales qu’est l’insécurité". Air connu. Autres "pistes" : le "goût" supposé de Nicolas Sarkozy pour "la méritocratie républicaine" et "la relance de l’ascenseur social grâce à la discrimination positive". "La suppression de la double peine" et le "droit de vote aux municipales des étrangers sur le territoire depuis dix ans" sont également mentionnés. Ces deux derniers points sont un peu datés, puisque le ministre de l’Intérieur a beaucoup nuancé son discours, et sa pratique pour ce qui concerne la double peine, depuis la rédaction du texte.

A la fin, on trouve pêle-mêle, rassemblés dans la même phrase, les "femmes", les "prisons", les "homosexuels" et les "rave-parties"... "Sur ces nombreux sujets de société, nous dit-on, Nicolas Sarkozy a non seulement pris son propre camp à contre-pied mais a aussi décidé ou proposé ce que la gauche au pouvoir n’avait jamais imaginé ou osé mettre en œuvre." Il aurait fallu préciser en quoi Nicolas Sarkozy a fait preuve d’imagination dans ces domaines, où il semble, au contraire, très discret. Mais le texte s’abstient de le faire.

"Loin d’être sarkophages, nous sommes sarkocompatibles, sarkophiles voire sarkozystes", conclut la Diagonale.

Deux jours plus tard, le 3 mai, une antenne de La Diagonale est créée en Poitou-Charentes, la région de Ségolène Royal, et les attaques contre la candidate socialiste commencent. Elles ne cesseront pas, relayées par des tribunes publiées dans Le Figaro. La Diagonale s’affirme à partir de cette date comme un outil de combat contre la candidature de Ségolène Royal. Et l’"Appel de Vichy" lancé le 1er septembre par La Diagonale, qui tenait là-bas son séminaire d’été, se conclut d’ailleurs par ces mots : "De même, il est dangereux pour la liberté des Français que soit entretenue la confusion entre les notions d’ordre public et d’ordre moral, car elles s’opposent frontalement. En soutenant la candidature de Ségolène Royal, le Parti socialiste ferait résolument le choix de l’ordre moral et renoncerait ainsi à affronter les blocages de la société française."

Sur le fond, en quoi "l’ordre moral" s’oppose-t-il à "l’ordre public"... ? Sarkozy aurait-il l’intention, comme l’en accusent, il est vrai, de très nombreuses associations de défense des droits de l’homme, de créer un ordre public immoral... ? Le discours est maladroit. Voire carrément obscur. Mais l’essentiel n’est-il pas d’exister ? Et d’attaquer Ségolène Royal sur sa gauche ?

Qui se cache derrière La Diagonale ? Il faut distinguer deux niveaux.

D’abord, le niveau visible. La Diagonale a été fondée officiellement par un certain nombre de "déçus" de la gauche, au premier rang desquels figure Patrick Rajoelina, professeur de droit européen, ancien rocardien, qui dit avoir quitté le PS en 1994, et aurait fait partie de divers cabinets ministériels - notamment celui de la ministre socialiste du Logement Marie-Noëlle Lienemann -, sous Pierre Bérégovoy et Edith Cresson. D’après Le Canard Enchaîné, dans son édition du 21 juin 2006, il aurait seulement fait partie du cabinet du secrétaire d’Etat à l’Intégration Kofi Yamgnane. "Ce qui reste modeste", précise cruellement l’hedomadaire. En dehors de ces activités à la Diagonale, Patrick Rajoelina est un spécialiste de la politique malgache, au point de présider la Société des amis de Madagascar.

Aux côtés de ce personnage, on trouve, notamment, Philippe Sauvannet, ancien patron de la Fédération PS de l’Allier, Nicolas Langero, directeur de l’Espace Cardin, et... le docteur Véronique Vasseur, ancienne médecin-chef de la maison d’arrêt de la Santé. Le ralliement de cette dernière a de quoi surprendre.

"Je ne suis pas sarkozyste de gauche parce que je ne suis pas de gauche, a expliqué Véronique Vasseur à l’AFP le 3 juillet 2006. Je suis connotée à gauche". "La gauche monopolise la bien-pensance, la pensée juste. C’est très pesant et très pénible. Dès que je dis que je suis pour Nicolas Sarkozy, je suis traitée de réac ou de facho. J’en ai marre", a-t-elle ajouté. Dur, dur, d’être sarkozyste quand on est "connotée" à gauche.

La Diagonale revendique d’ores et déjà une liste impressionnante de soutiens parmi les "stars" de gauche : "Max Gallo, Bernard Tapie, Jacques Attali, l’ex-lofteuse Kenza, Georgina Dufoix, Pascal Sevran"... Tous ceux qui, comme l’écrivait le journaliste Grégory Marin dans L’Humanité du 6 juillet 2006, ont "à un moment ou un autre eu une phrase aimable à l’égard du président de l’UMP". Ce qui commence à faire du monde, même à gauche, en cette année préélectorale.

Ces "stars" sont-elles pour autant "sarkozystes" ? Rien n’est moins sûr. On connaît avec certitude, en revanche, la liste des participants aux réunions publiques de la Diagonale. Et on est surpris d’y trouver Jean-Marie Bockel, le maire (PS) de Mulhouse et président de l’Association des maires des grandes villes (AMGV), ou encore Marin Karmitz, président et fondateur du groupe MK2. Pas exactement des personnalités de droite. Et qui viennent débattre de Sarkozy et de la culture, ou de : "Peut-on être de gauche et sarkozyste  ?"

Au niveau officieux, on trouve, bien sûr, parmi les fondateurs de La Diagonale le bras droit de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux. Et son directeur de cabinet Thierry Couderc, qui, dans Le Figaro du 4 juillet 2006, ne lésinait pas sur la comparaison : « Il y a bien eu, en son temps, les gaullistes de gauche, de Léo Hamon à René Capitan ». Nicolas Sarkozy élevé à la stature du général de Gaulle. Le débat prend de la hauteur.

Un groupe de "sarkozystes de gauche", créé un 1er mai, communiquant par le biais d’un Skyblog - l’outil de communication préféré des "racailles" , et se réunissant aux Bains Douches... Cela fait beaucoup de symboles pour un mouvement "spontané". Et on pense plutôt à une opération, bien pensée, de communication politique pour rallier l’élite de gauche à une candidature Sarkozy. Reste à savoir si, face à cette diagonale, l’électeur de gauche ne sera pas tenté, lui, de prendre la tangente...

 


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