La Dictature participative

par Nicolas Cavaliere
vendredi 25 septembre 2020

Ou comment le goût du commun va ensevelir la communauté.

Il est très peu étonnant de voir autant de Français se jeter à l’assaut des centres de dépistage pour le coronavirus. Depuis le temps qu’on en parle (on = la classe au pouvoir à travers ses médias de communication), le bonhomme ou la bonne femme qui ne s’y serait pas encore rendu aurait raté quelque chose. Comme autrefois avec les phénomènes sociaux tels que le film « Titanic » en 1997, certains y vont certainement deux ou trois fois.

Et tous les soirs, les chiffres sont là. Au box-office de la bêtise humaine, le taux de positivité s’accroît chaque jour. Chaque jour, les Français donnent à leur gouvernement les moyens de leur faire peur. Et plus.

Ce sera donc d’abord la fermeture des bars et des restaurants dans un certain périmètre. Les gens iront donc s’attabler plus loin par la magie de l’automobile, du train, du bateau, de l’avion. Ils transmettront ce virus bénin à d’autres personnes en dehors des limites de leurs lieux de résidence. Puis, symptomatiques ou pas, ou pour un simple rhume, ils iront de nouveau se faire tester. Puis de nouvelles restrictions seront annoncées dans un périmètre plus large. Magnifique mécanique par lequel la majorité de la population participe elle-même à créer les conditions de son propre enfermement, n’est-ce pas ?

Parviendrons-nous à nous imposer de nouveau un confinement tel qu’au printemps 2020 ? Est-ce ce que nous souhaitons ? Il y avait bien longtemps qu’on n’avait pas connu un tel engouement de masse. Il faut dire que depuis le 11 septembre 2001, les occasions se faisaient rares. Les attentats de 2015, la mort de Jean-Philippe Smet, c’était trop court. Ce virus vient à point nommé pour donner un peu de piment à nos vies smartphonisées.

Ou peut-être représente-t-il une solution à l’éloignement induit par l’évolution de la technologie. La maladie appelle la matérialité. Le confinement nous permet peut-être de nous retrouver au-delà de nos écrans, de recréer un lien plus concret, plus direct. Mais il permet également d’éliminer les plus faibles, c’est-à-dire les plus seuls.

Le miroir économique de cette élimination consiste à liquider les entreprises les plus dépendantes de leur marché local. Les grosses structures y survivront en gagnantes, car il y aura toujours quelqu'un pour payer leurs dettes. Leurs lobbies déjà omniprésents dans les instances de pouvoir auront encore plus le champ libre une fois le processus en cours terminé. Pour le nouvel arrivant sur le marché du travail ou l’ancien qui n’a pas l’héritage d’un terrain, il ne restera plus que deux choix : l’auto-entreprise ou le salariat dans une grande entreprise (ou une petite contrôlée par une grande, genre sous-traitance). Un filet de sécurité commun aux deux avec une assurance-chômage simplifiée à laquelle personne ne cotise mais pour laquelle tout le monde paie un impôt. Une armée de fonctionnaires et de policiers pour faire appliquer les nouvelles règles.

Pour quelques mois de moments privilégiés avec nos proches, voulons-nous sacrifier des décennies de possibilités d’enrichissement commun pour le confort de quelques-uns ? Allons-nous céder aux sirènes de la théorie du ruissellement ? Ruissellement, c’est une métaphore liquide, qui ne décrit que la chute des petits fleuves du travail dans les grands océans de la finance. Elle ne s’applique pas à l’être humain, qui vit d’air et de chair, qui est solide comme le roc. L’eau certes érode la pierre, mais il lui faut du temps. Gardons ce temps pour nous, cessons de nous intéresser aux modes. Cessons de nous faire tester.

Par cette violence du test, par cette épreuve que nous nous infligeons à nous-mêmes, nous ne faisons qu’obéir à notre nature. Nous avons le goût du jeu en commun. Si celui qui nous amuse aujourd’hui nous intéresse autant, c’est qu’il satisfait à un besoin profond. Nous aspirons à plus de règles, à plus d’ordre. Nous aspirons à nous retrouver autour d’un enjeu commun. Nous acceptons donc ce qui se passe, nous y participons de bon cœur, autour d’un président jeune qui symbolise l’avenir du pays.

Et qu’est-ce qui symbolise mieux l’avenir de ce pays que la photographie de notre actuel Président aux Antilles en 2018, entouré de deux jeunes gens brandissant leurs doigts tendus ? C’est sur l’évocation de cette image paradoxale, empreinte simultanément de menace de violence et de chaleur humaine, que je souhaite terminer ma réflexion sur la situation actuelle.

Est-ce là la civilisation que nous voulons ? Continuerons-nous à collaborer à la construction du régime politique qui en sera le reflet ? Ou avons-nous une autre image de notre pays en tête ? Qui osera la proposer ?


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