La disparition programmée de la classe moyenne supérieure

par Axel_Borg
jeudi 14 février 2019

A Buenos Aires, le quartier populaire de Boca est célèbre pour sa fort contingent d'immigrés italiens, venus de Gênes à la fin du XIXe siècle. Le virtuose footballeur Alfredo Di Stefano (mythe du Real Madrid) ou le quintuple champion du monde Juan Manuel Fangio descendent de ces familles transalpines émigrées à la Boca ...

L'Argentine est l'exemple à ne pas suivre, car on peut faire défaut ien plus vite qu'on ne croit ... A force de laisser filer la dette et les déficits publics, nos gouvernants, tous des Diafoirus de l'économie, ne comprennent pas qu'ils sont en train de tuer à petit feu la dernière classe qui assure la pérennité fiscale de la nation : la classe moyenne supérieure.

Les pauvres, par définition, n'ont jamais accroché le bon wagon, ou la bonne cordée pour reprendre une expression chère à notre Jupiter Macron national. Les riches ont été les premiers contribuables perdus depuis 1982 et l'I.G.F. mitterrandien mis en oeuvre par Michel Charasse. A eux l'air pur du Lac Léman, du Canton de Vaud, du Tessin, le dynamisme du Grand Londres, voire le brouillard sinistre de Wallonie ou de Flandre. Ce fut ensuite au tour des classes moyennes inférieures, représentées actuellement par les gilets jaunes, d'exploser : les perdants de la mondialisation, revenus en stagnation mais impôts toujours croissants et coûts incompressibles (nourriture, logement, électricité, vêtements, transports ...) au pourcentage toujours plus grand dans le budget de chaque foyer ...

Mais imperturbable, Bercy ne bronche pas et le bulldozer continue de tout piétiner sur son passage, sans jamais se remettre en question ... Car depuis 1974, la France a réussi l'incroyable exploit de valider 45 budgets consécutifs en déficit. Pas un seul excédent primaire votées par nos chers parlementaires, pas de réforme structurelle du circuit économique contrairrement à nos vertueux voisins de l'O.C.D.E., pas de baisse des dépenses publiques. Mais toujours plus de gaspillage, de doublons et d'argent public prélevé à la façon d'une sangsue dont on ne peut se débarrasser ...

En 1997, Alain Madelin avait reçu de vives critiques en déclarant : l’Irlande a eu l’IRA, l’Espagne l’ETA, l’Italie la Mafia, la France a l’ENA. Mais l'ancien Ministre de l'Economie n'avait pas tort. S'ils ont des complices (syndicats, patronat, lobbies), les grands corps de l'Etat, ceux qui se disputent le classement de sortie pour aller à l'Inspection des Finances, au Conseil d'Etat ou à la Cour des Comptes. Que ce soit dans le privé (Haberer, Messier, Bilger ...) ou dans le public (Chirac, Rocard, Balladur, Jospin, Villepin, Hollande, Macron, Philippe ...), l'inventaire des désastres estampillés ENA est une longue litanie ...

Le 14 mai 1969, avant de partir en Irlande, le général de Gaulle envoie une lettre à sa soeur, soit deux semaines après avoir quitté le pouvoir dans la foulée du veto des Français au référendum du 27 avril : Il s'est produit ce qui devait un jour arriver. Les Français d'à présent ne sont pas encore dans leur majorité, redevenus un assez grand peuple pour porter, à la longue, l'affirmation de la France que je pratique en leur nom depuis trente ans. Mais, ce qui a été fait sous cette égide, d'abord pendant la guerre, ensuite au cours des onze dernières années, a été d'une telle dimension que l'avenir est de ce côté là. La période de médiocrité dans laquelle notre pays vient d'entrer en fera bientôt la démonstration.

La part de l’amertume était radicale dans cette analyse de l'homme du 18 juin 1940 ... Sa rancoeur envers son successeur Georges Pompidou mise de côté, difficile de lui donner tort ... Certes le monde a changé depuis 1969 : fin du système de Bretton Woods (1971), chocs pétroliers (1973 et 1980), chute du Mur de Berlin (1989), réunification allemande (1990), dislocation de l'Union Soviétique (1991), Traité de Maastricht (1993), création de l'OMC (1995), attentats du 11 septembre à New York et au Pentagone (2001), Brexit (2016) ...

Le consentement à l'impôt diminue dans toutes les couches de la société française, et les partis populistes comme RN ou DLF qui se soucient de l'immigration massive, qu'elle soit économique, politique ou bientôt climatique, devraient aussi se soucier d'arrêter le Tonneau des Danaïdes pour éviter l'exode fiscal des vaches à lait de l'Etat Léviathan : les septième, huitième et neuvième déciles, le dernier portant 70 % de l'impôt sur le revenu, telle la clé de voûte d'un édifice appelé à s'effondrer tel un château de cartes ...

Toujours moins d'actifs, toujours plus de retraités financés par ces actifs en diminution, toujours plus d'emplois publics et d'assistés financés par le secteur privé et les professions libérales : l'épée de Damoclès ...

Longtemps, les partis politiques dits de "gouvernement" ont passé un accord tacite à partir de 1981 ... L'alternance. Un coup à toi, un coup à moi. Mais 2002 a mis fin au monopole intellecuel de ce système, en commençant par la gauche. Seize ans après le séisme, la plupart n'ont toujours pas compris le message, comme s'il venait d'un monde extra-terrestre, celui de la France d'en bas, à plusieurs années-lumières de leur confort.

Déjà vaincue en 1995 après quatorze ans de socialisme à l'Elysée (mais "seulement" dix à Matignon du fait de deux cohabitations entre 1986 et 1988 puis entre 1993 et 1995), la gauche n'avait pas su profiter du duel fratricide entre Balladur et Chirac, remake du bras de fer Chirac / Giscard de 1981 à droite ... Deux crocodiles dans un marigot, c'est un de trop, mais pas en 1995 tant Solférino est en mort clinique. Mais Lionel Jospin s'était imposé comme leader naturel rue de Solférino, devenant Premier Ministre de cohabitation de Chirac en 1997.

En 2002, comme bien d'autres locataires de Matignon (Chirac en 1988, Balladur en 1995), Jospin échoue à quitter la rive gauche et la rue de Varenne pour la rive droite et la rue du Faubourg Saint-Honoré. Car le parti à la rose n'a pas vu que la rose était fanée, que le vote ouvrier allait désormais, dans les urnes, au Front National plus que chez eux ... L'experts sondages du P.S. avait beau eu remuer la boîte de Pandore, les éléphants ne l'avaient pas laissé ranchir le Rubicon : prédire la défaite du candidat Jospin. On connaît la suite ... Bien que marqué au fer rouge par cet échec, le socialisme ne fait toujours pas son Bad Gödesberg et continue d'héberger deux chapelles irréconciliables qui exploseront entre 2012 et 2017 sous le quinquennat de François Hollande.

Dans sa tour d'ivoire, le parti redevenu d'opposition échoue onc à l'élection imperdable de 2007, car Nicolas Sarkozy, Ministre de Jacques Chirac pendant presque quatre ans durant son deuxième mandat (trois ans et demi à l'Intérieur, six mois à l'Economie et aux Finances), n'incarne pas vraiment la rupture. Mais le maire de Neuilly siphonne tellement le F.N. qu'il coupe l'herbe sous le pied de Ségolène Royal. Pour la troisième fois de suite, le P.S. voit le Graal lui passer sous le nez. David a battu Goliath ...

Mais le boomerang reviendra en pleine face d'une droite colbertiste et jacobine qui n'a compris ce qu'était le gaullisme : assurer la grandeur de la nation, la pérennité de l'Etat et un avenir meilleur pour les Français. A l'inverse, tous ces incompétents qui incarnent le célèbre principe de Peter ont vu autre chose, comme s'ils se voyaient dans un miroir convexe : surtout ne pas toucher un seul principe voté sous De Gaulle entre 1958 et 1969 puis par Georges Pompidou jusqu'en 1974 ...

Le général n'aurait pas laissé prendre la poussière des totems datant de Vichy, de la Libération ou des Trente Glorieuses. Avec la droite la plus bête du monde, pas vraiment de différences avec la gauche caviar : quelques points d'imposition, et des principes divergents sur des questions sociétales certes cruciales (IVG, peine de mort, PACS, mariage pour tous, GPA / PMA), puisque le reste converge : vision de l'Europe, politique étrangère, gestion des affaires courantes par la gabegie, inflation législative pour que chaque ministre ait sa loi éponyme, vote d'un budget devenu intrinsèquement déficitaire, politique clientéliste et électoraliste, revue de la carte électorale et du calendrier à son avantage ...

Il est utopique d'espérer de la droite gaulliste un logiciel 2.0 libéral et adapté au monde moderne, alors que celui-ci a tant changé. Telle la Tour de Pise, la France s'enfonce dans l'argile tel un colosse handicapé. En 2012, Sarkozy le sortant est battu par la crise et par lui-même, l'image de repoussoir qu'il incarne pour bien des indécis. La droite ne s'en fait pas et se déchire quelques mois plus tard entre Copé et Fillon, persuadé de récupérer son bien dès le printemps 2017 vu le toboggan vertigineux pris par le faux social-démocrate François Hollande dans les sondages d'opinion.

Et entre temps, le pouvoir, qu'il soit rose ou bleu, augmente toujours plus les dépenses publiques et toujours plus les prélèvements obligatoires. Il faut sans cesse relever la tête pour avoir pied sous peine de se noyer das le magma fiscal de notre cher Hexagone. Le fisc fera passer sous ses fourches caudines tous ceux qui ont le malheur de gagner de l'argent et de créer de la valeur ajoutée. Toujours le même principle du nivellement par le bas, de la dilution du mérite et du travail qualifié ... Toujours en deux temps : piège à loup tendu par la gauche, piège dont la droite ne sait se défaire par lâcheté ou peur d'incarner le "méchant" qui reprend les cadeaux offerts par ce Père Noël aux chèques en blanc, plus blancs que sa longue barbe, et au costume rouge auquel il ne manquent que le marteau et la faucille des bolcheviks ... Le communisme mou à la française n'a donc jamais été remis en question par la droite : résultat ? De 29 % de dépenses publiques (en fonction du PIB) en 1974, la France a franchi le seuil de 57 %. Pour de surcroît, une dette en explosion à 100 % et un chômage persistant à 10 %. Bravo la gauche qui n'a cessé d'alimenter le concours Lépine des mauvaises idées et autres cadeaux empoisonnés et bombes à retardement (35 heures, retraite à 60 ans, IGF / ISF), merci la droite pour sa gestion électoraliste des héritages laissés par Solférino. A courir après les yeux de Chimène de Français toujours plus écoeurés par la politique, la droite a perdu son âme, et oublié de faire son aggiornamento.

En 2017, le Penelope-gate, l'OVNI Macron et surtout l'incapacité de la droite républicaine à parler aux classes moyennes supérieures (on leur vend des baisses de dépenses publiques mais sans jamais leur expliquer comment et où l'on coupe dans le budget du mammouth national ...) vont alimenter la machine à perdre, car les Français détiennent le record du pessimisme, et chacun pense qu'il vivra mieux que ses enfants. Le scrutin présidentiel dresse la guillotine sur un Français Fillon pourtant ultra-favori cinq mois plus tôt. L'ancien Premier Ministre collaborateur de Nicolas Sarkozy tombe du Capitole à la Roche Tarpéienne sans même comprendre ce qu'il lui est arrivé, malgré un beau baroud d'honneur au Trocadéro avec Sens Commun. Emmanuel Underdog Macron devient Emmanuel Jupiter Macron et récupère les codes nucléaires. Entre temps, l'épouvantail Marine Le Pen a affiché son incompétence crasse en direct live lors du débat devant des millions de Français. Pas sûr que sa nièce Marion, au charme diabolique et à l'intelligence plus vive, en fasse autant dans le futur ...

Le dégagisme est en marche, comme pour David Cameron pris à son propre piège du Brexit, Hillary Clinton face au populiste Donald Trump et Matteo Renzi en Italie. Rien n'indique, vu le chemin bien nébuleux pris par Laurent Wauquiez et ses sbires (Eric Ciotti, Guillaume Peltier, Laurence Sailliet et consorts), avec une probable scission au lendemain des européennes du clan minoritaire incarné par Valérie Pécresse, Christian Estrosi et Xavier Bertrand, qu'elle pourra ramasser les miettes de la Macronie en 2022. Secret de polichinelle, tous rêvent de se débarrasser de Wauquiez, de Bruno Retailleau à la présidente de la région Ile-de-France ou son collègue des Hauts-de-France.

Le navire fuit de toutes parts : à l'aile droite du parti avec Thierry Mariani parti au Rassemblement National, à sa gauche avec les départs d'Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu au gouvernement, sans oublier celui de Thierry Solère chez LaREM.

Les banderilles d'ultra-gauche de Bolivar Mélenchon et d'ultra-droite de la PME familiale de Montretout pleuvent avec 45 % de votes extrêmes en 2017. La démocratie française, contrairement aux apparences n'est pas sauvée. Macron peut pérorer avec la Pyramide du Louvre derrière lui, mais la démocratie est en grand danger entre abstention qui cannibalise les voix, un vote blanc qui n'attend que sa reconnaissance pour exploser et les partis du grand saut dans le vide (FN, LFI, DLF, NPA ...) qui tirent les dividendes de l'inertie économique du pays ... Les classes moyennes inférieures ont pris feu avec les gilets jaunes et leur dangereuse dérive extrémiste et anarchiste qui n'a d'égale que leur incohérence intellectuelle (SMIC à 2000 euros, retour de l'I.S.F., dissolution de l'Assemblée Nationale, R.I.C. et R.R. présentés comme la panacée ...). En témoignent l'incendie du domicile de Richard Ferrand, président de l'Assemblée Nationale, et le climat antisémite qui sévit à nouveau, avec une profanation d'une boîte aux lettres à l'effigie de Simone Veil.

A quand l'estocade ? La vache à lait est épuisée, et son taureau agonise à force de banderilles sous un air de requiem, écrasé de taxes et de normes au pays d'Ubu Roi et des usines à gaz ... Bientôt, au rythme où Bercy racle les fonds de tiroirs, on taxera notes de frais, subventions de C.E. et ventes de petits articles culturels sur les plate-formes web comme leboncoin ...

Il est témps que les énarques descendent de leur tapis volant et reprennent contacta vec le sol, la réalité. Il est encore temps d'empêcher la technocratie qui nous gouverne de scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis : la classe moyenne supérieure des cols blancs (cadres et cadres supérieurs, chefs d'entreprise de taille intermédiaire et professions libérales), celle qui paie (en silence) les impôts de (presque) tous les autres ... 


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