La force de Bayrou : sa capacité à relever les défis de la « défiance politique »
par Daniel RIOT
mercredi 14 mars 2007
Le Béarnais depuis cinq ans a su décrypter les causes profondes de la crise des crises : celle de confiance. Face aux postures de Royal, aux impostures de Sarkozy, et aux ratissages électoralistes des « duettistes » de l’UMPS, le positionnement clair et cohérent de Bayrou qui « laboure le même sillon », sans varier dans sa stratégie ni dans sa tactique, peut transformer des votes (volatils) de contestations et de sympathies en votes d’adhésion.
En 1988, c’était « la France unie » : elle est divisée plus que jamais avec poussée de communautarismes qui se développent en partie à cause du ministre de l’Intérieur sortant qui prétendre le combattre. Un comble !
En 1995, c’était la « fracture sociale ». Une expression forgée par Emmanuel Todd et brandie par Chirac. Elle existe toujours, cette fracture. Elle s’est même élargie et approfondie. Et s’est complétée par d’autres : sociétales, générationnelles, culturelles, éducatives... Des fractures qui sont aussi des factures que les Français paient et paieront très cher !
En 2002, c’était la « sécurité » ou plutôt « l’insécurité » si médiatiquement entretenue et si politiquement exploitée. Les priorités ayant été données au « sécuritaire » (trompeur) et non au « carré d’or de la sécurité » (prévention donc éducation et conditions de vie, aide aux victimes, répression, réinsertion), les Français ne connaissent toujours pas cette paix intérieure qui vient de l’ordre, non l’ordre des « pions » dénoncé par Bernanos, mais l’ordre des normes respectées parce que respectables, fruits de l’intelligence, produits d’un agencement sociétal « ordonné » : « Il n’ y a pas d’ordre sans équilibre et sans accord », écrivait Camus dans Actuelles I. « Il n’y a pas d’ordre sans justice. »
En cette année 2007, sous quel signe, quel slogan, tel thème caractéristique s’inscrit cette élection présidentielle à la fois passionnante et frustrante ?
Jérôme Jaffré, politologue expert en sondages, y voit la campagne de la « défiance politique », notamment « envers la gauche et la droite ». Son confrère Pascal Périneau (directeur du Covipof) y voit surtout la prédominance de l’électorat « volatil, versatile, infidèle ». D’autres s’en tiennent au mot « rupture » plus en référence à Bayrou qu’à Sarkozy. D’autres encore parlent de la « fin de la présidence impériale » ou de la « monarchie républicaine ». Attendons : la course n’est pas terminée, les dés ne sont pas jetés, rien n’est gravé.
UN CANDIDAT DU « TROISIEME TYPE »
Un constat s’impose tout de même pour l’heure : Bayrou mène une campagne d’un « troisième type » qui, quel soit le résultat final, influencera profondément le paysage, les mœurs et les esprits politiques. Pour trois raisons essentielles :
1 ) Il est le seul qui d’une façon programmatique ait préparé ce scrutin depuis cinq ans.
Sarkozy l’a fait en cultivant une stratégie de prise du pourvoir en jouant à la fois sur l’activisme ministériel, une omniprésence médiatique, une contestation du locataire de l’Elysée. Royal l’a fait en tirant tactiquement parti (si l’on peut dire) de la décomposition interne d’un PS qui n’est pas sorti du coup de massue de 2002, de son autoflagellation référendaire et de ses incohérences doctrinales.
Bayrou, lui, a travaillé le fond, approfondi la réflexion, préparé des propositions avant de s’occuper de la forme, de stratégie et de tactique. De marketing. Il a su donner du temps au temps. Et prendre cette hauteur sans laquelle il n’est point de cohérence possible.
2) Depuis l’ouverture effective de cette campagne (la plus longue de l’histoire), le Béarnais est le seul à ne pas varier d’un pouce. C’est en cela qu’il est un candidat d’un « autre type », d’une façon « autre » de faire de la politique
Une seule posture : apparaître tel qu’il est, avec ses défauts et ses qualités, ses atouts et ses handicaps, ses grands moyens intellectuels et ses petits moyens matériels...
Un seul langage : toujours le même quel que soit le public, les circonstances, les interlocuteurs, les éloges et les blâmes, les critiques et les attaques, les conduites en zigs et en zags de ses rivaux, en creusant le même « sillon », en conservant le même cap, en restant pleinement fidèle à sa vision et à ses valeurs.
Un seul mot d’ordre : la cohérence de réformes en profondeur et durables, surtout sur un plan constitutionnel et institutionnel.
UN « CHEMIN NOUVEAU »
Un seul pari : celui de l’authenticité et de la sincérité avec le risque du « ça passe ou ça casse » inhérent à ce genre de « compétition » où la séduction compte plus que l’argumentation.
Royal, elle, en est à sa quatrième posture tactique (donc imposture politique). Sarkozy, lui, dépense beaucoup d’énergie et de salive en de « grands écarts » politiques pour « ratisser large », de l’extrême droite au centre gauche (non pour rassembler mais pour additionner).
3) Bayrou est surtout peut-être le seul qui par ses critiques et ses propositions incarne à la fois la voix protestataire, la remise en cause du « système », la contestation de « l’establishment » et l’esprit républicain constructif qui dégage des perspectives nouvelles, des horizons nouveaux.
Il l’a dit d’entrée : " Seuls des républicains peuvent remettre la République sur pieds, revitaliser la démocratie, vivifier la citoyenneté, réenchanter la politique." Et offrir des chances à saisir pour sortie des crises, de la crise. La vraie RUPTURE. La vraie VOLONTE d’avenir. La vraie réponse à cette DEFIANCE politique actuelle. Un vrai « chemin nouveau » alors qu’entre 60 et 70 % des Français (selon les sondages) déclarent ne faire confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner le pays.
ENTRE LES « INTEGRES A SYSTEME » ET LES « HORS SYSTEME »
Entre les "intégrés" au système politique (moins de 36% du corps électoral, alors qu’ils étaient 52% il y a dix ans) et les "hors système" (plus de 26% de l’électorat contre 23% il y a dix ans), les « défiants » comme dit Jaffré dans Le Monde constituent le groupe électoral majoritaire : plus de 38% de l’électorat au lieu de moins de 25% voilà dix ans. (Ces chiffres ne sont évidemment à prendre que comme de simples indicateurs)
Fait nouveau : cette segmentation politique se calait sur la hiérarchie sociale : elle traverse aujourd’hui toutes les « couches » : la montée des "défiants" est massive dans les catégories intellectuelles (+26 points chez les enseignants, +15 points chez les étudiants) et aussi parmi les classes moyennes (+23 points parmi les professions intermédiaires) qui rejoignent les catégories dites populaires, relève Jaffré en soulignant : « Sur le plan politique, la crise n’oppose plus les partis périphériques ou extrémistes aux partis centraux. Elle plonge désormais au cœur du système. »
UN BON DECRYPTAGE DE LA CRISE DE CONFIANCE D’UNE FRANCE AFFAIBLIE
François Bayrou ne tire pas parti de cette situation. Il tente de transformer d’une épreuve nationale en chance pour la nation, l’Etat et la société. C’est parce qu’il a bien su décrypter ces évolutions en profondeur qu’il a su mettre au point des proposions qui commencent enfin à être connues et entendues en dépit du déficit de présentation, d’explication, de pédagogie de trop de journalistes et de prétendus intellectuels qui sont devenus plus des suiveurs de l’opinion que des éclaireurs de l’opinion. Et qui, à force de se considérer comme des faiseurs de « doxa », de pensée dominante, sont les premières victimes de cet « air du temps », trompeur et mensonger, contre lequel ils ne savent plus lutter... ce qui devrait être leur fonction sociale essentielle !
Il est logique, face à ces évolutions de fond, que Bayrou arrive largement en tête des intentions de vote des « défiants » (ce qui explique d’ailleurs en partie la volatilité de ces intentions déclarées).
Comme le note Jaffré, les grands candidats de ces deux grandes coalitions appelées « camps » (Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy) ne dominent les intentions de vote que dans la seule catégorie des "intégrés" où ils totalisent, à eux deux, 76% de suffrages exprimés alors qu’ils n’atteignent que 40 % parmi les "défiants" et 48 % parmi les "hors système".
L’EXPLOIT DANS L’IMPOSTURE DE SARKOZY
Un paradoxe : en dépit de son appartenance aux gouvernements de ces dernières années et de sa présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy recueille un pourcentage d’intentions de vote très élevé parmi les "hors système".
Pourquoi ? « Par sa capacité à tenir tête, pour le moment au moins, à Jean-Marie Le Pen dans cette fraction de l’électorat, la plus critique envers le système », estime Jaffré. Sans doute aussi (et surtout) parce que la gauche n’a pas bien joué son rôle d’opposition à la droite et parce les médias (à commencer par les Guignols) ont servi Sarkozy dans ses impostures schizophréniques : il a réussi (jusqu’à quand ?) à apparaître en même temps comme le « premier des ministres » et le « premier des contestataires de l’Elysée et de Matignon ».
Quel joli tour de force ! Quel exploit en termes de communication ! Et quel constat d’échec pour la gauche nombriliste plus préoccupée d’elle-même que de la situation de la France et des conditions des Français !
Résultats : des votes d’adhésion qui se réduisent, selon Jaffré, à 17 % chez Ségolène et 21% pour Sarkozy. C’est peu. Trop peu pour gouverner en l’état en conduisant à bien les indispensables réformes et les sorties de crises nationales et européennes...
Cela laisse planer bien des incertitudes sur la situation finale, notamment sur le score effectif de Le Pen (Hollande et de Robien tentent d’en jouer !), mais cela ouvre surtout un grand champ à labourer (et de belles semailles en perspective) pour « l’homme au tracteur » qui fait du « redressement de la France et de l’amélioration des conditions de vie des Français par une refondation de la politique » une « vraie mission » et qui a « l’Europe chevillé au coeur et au corps »...
A une condition, bien sûr : il doit, avec celles et ceux qui le soutiennent, transformer les votes de protestation et de sympathie en sa faveur en votes d’adhésion. Ce qui n’a rien d’impossible.
Daniel RIOT