La France de Jean-Pierre Pernaut et Michel Houellebecq
par Bruno de Larivière
jeudi 28 octobre 2010
Les médias s’intéressent aux deux hommes qui pensent à la France de demain. Leurs avis semblent converger. Le présentateur de TF1 a modelé depuis longtemps son journal de 13 heures, contre vents et marées. Mais il a trouvé à l’occasion de la publication de « La carte et le territoire » - le dernier roman de Houellebecq - un allié inattendu...
Jean-Pierre Pernaut est enfin passé à la postérité. Le journaliste de TF1 ne présente plus seulement le journal de la mi-journée le plus suivi du PAF. Michel Houellebecq en a fait l’un des personnages de son roman, La carte et le territoire (Flammarion) : « S’il était situé par la plupart des téléspectateurs comme étant plutôt à droite, Jean-Pierre Pernaut s’était toujours montré d’une prudence déontologique extrême. » [source]. L’écrivain a longtemps vécu comme un reclus en Irlande, jusqu’au jour où il a décidé de revenir vivre en France. Ce retour l’autorise à donner son avis sur l’avenir économique du pays, en même temps que sur le présentateur de télévision. « ‘Jean-Pierre Pernaut Pétainiste ? Ça me fait rire.’ Et Houellebecq de raconter qu’il a ‘traversé la France‘ pour nourrir son livre, y découvrant à quel point ‘la restauration du patrimoine, le tourisme, l’agriculture bio’ constituaient un avenir économique du pays parce que ces activités ‘résisteront aux crises.’ CQFD : ‘Jean-Pierre Pernaut, c’est l’avenir. il a tout compris avec 10 ans d’avance…’ » [source].
Dans son roman, Houellebecq raconte la vie croisée d’un artiste photographe - peintre et d’un auteur à succès (Houellebecq lui-même). Le narrateur décortique pour son lecteur le monde tel qu’il fonctionne, l’artificialité du milieu artistico-médiatique parisien, l’architecture vampirisée par Le Corbusier, la banlieue infestée de populations d‘origine étrangère, la réalité du travail d’investigation d’un policier français, ou encore les compagnies aériennes. Ce salmigondis n’honore pas Houellebecq, j’en conviens sans partager pour autant la sévérité d’un Pierre Assouline. Il me semble que la peinture de caractères sauve en partie La carte et le territoire. L’incommunicabilité constitue certes un thème rebattu, mais assez bien mis en œuvre, me semble-t-il.
Evidemment, le narrateur Houellebecq s’engage à mes yeux sur un terrain miné en abordant le rapport entre des territoires et leurs représentations cartographiques. Il met dans la bouche de son personnage qui photographie les cartes Michelin, l’affirmation selon laquelle la représentation compte davantage que le support ; que le recréé vaut mieux que le créé… Dans le roman, les Français vivent à Paris et prennent du bon temps en province. Le narrateur n’idéalise pourtant pas la province : la terre n’est cultivée par aucun paysan. C‘est un produit d‘appel pour citadins et pour touristes étrangers. Les ruraux ne forment pas de communautés villageoises dans lesquelles un citadin esseulé pourrait se fondre : la Bourgogne apparaît sans Vincenot, et la Normandie sans Maupassant. S‘il avait placé l‘action dans les Landes, il aurait trouvé un moyen de faire un pied de nez à Mauriac ; en Provence à Giono.
La campagne recèle des trésors exploitables, mais aucune histoire. Houellebecq ne reconnaît aucune valeur à la terre. Personne ne l’a façonnée. Il s’agit d’un décor, sans vieillards, sans ombres ni ossements [Le bonheur est-il dans le pré ?]. L’anti-Péguy décrit le malheur de ceux qui vivent, dans un monde sans guerre, d’ennui. C’est la négation de la Prière pour nous autres charnels [1]. La campagne rentre dans la vision d’un monde entièrement utile. Elle lui apparaît comme génialement fonctionnelle. Le patrimoine ne compte que monétisable. On retrouve là les éléments de l’interview citée au départ…
Je ne reprendrais pas les thématiques du roman de Houellebecq si elles ne correspondaient pas à quelques idées très en vogue. Résumons-les brièvement. La France serait appelée à se transformer en un grand jardin pour résidences secondaires, infesté de petits producteurs, de restaurants étoilés, et de loueurs de chambres d’hôtes dans des maisons exceptionnelles. J’ai déjà abordé le risque de transformer une région en vaste réserve [Une poignée de noix fraîches] et les conséquences économiques désastreuses de la mono-activité touristique. Les musées exposant en règle générale les reliques de civilisations disparues, je ne saisis pas l’avantage d’une tel avenir tracé et radieux.
L’argument le plus stupide reste celui de l’agriculteur - façonneur de paysages [Je ne sais de quoi nos enfants nous accuseront…] Si le bocage ne manque pas de charme - ce qui n’a pas été sacrifié sur l’autel du productivisme - il ne doit rien au souci de faire beau. L’enclosure marquait la propriété foncière, les haies délimitaient des prés pour des animaux en liberté et offraient du bois de chauffage ou des fruits à la belle saison. Car l’agriculteur produit. C’est aussi bête que cela. Dans un système archaïque et vivrier, il peine à dégager des surplus commercialisables. En France, et dans le reste du monde développé, il s’est spécialisé : dans l’élevage ou dans une ou deux cultures (céréales, oléagineux, etc.). Houellebecq et d’autres fonctionnalisent le métier, tout en rejetant la notion dépassée de production.
De fait, les subventions laitières ont terni le rapport entre les éleveurs et la population consommatrice [Laitier une fois]. Mais pourquoi faudrait-il dans cet exemple fâcheux en conclure que la seule planche de salut de l’éleveur serait d’arrêter de vendre son lait à la coopérative semi-industrielle de son secteur, et de le distribuer lui-même chez ses voisins périurbains ? Les adeptes des produits du terroir version JT du 13 heures croient peut-être que les appellations ont été imaginées pour obtenir des saveurs et des goûts en phase avec l’activité touristique. Elles correspondent au contraire à des critères fixés dans des cahiers des charges : nourriture pour les animaux, types de traitements pour les plantes, modes opératoires pour fabriquer des fromages ou des grands crus classés, etc. Les agriculteurs s’y plient dans un rapport commercial avec des clients [Cochon qui rit !]. Le bio se justifie dans ce cadre par sa rationalité. En utilisant au mieux les intrants, en alternant les semis ou en faisant appel à des insectes, l’agriculteur réalise des économies à court ou long terme.
Un rapporteur de l’Onu m’offre l’occasion de terminer par le cliché inverse de celui avancé par le citadin - romancier. D’un côté, l’agriculteur du Nord développé s’enrichira demain grâce aux terroirs et aux provincialeries, de l’autre, celui du Sud vivra grâce à une agriculture vivrière. D‘après Olivier de Schutter, le monde court à sa perte, et l‘environnement se détériore à la vitesse de la lumière. Dans un autre entretien l’expert fustige les prix internationaux - trop hauts çà ne va pas, trop bas non plus - les spéculateurs, les puissants capitalistes, les géants de l’agroalimentaire qui changent l’alimentation des pauvres du Sud. [source]
Il faut craindre par-dessus tout l’assaut des multinationales acheteuses de grands domaines fonciers dans différents Etats du Sud, avertit l‘expert, avant d‘enchaîner sur un exemple, qui n’a rien à voir. « En Inde, la taille des exploitations moyennes est passée de 2,6 hectares en 1969 à 1,4 hectare en 2000 et continue de décliner. En Afrique orientale et australe, la superficie des terres cultivées par habitant a diminué de moitié en une génération. » Face à la menace de surpopulation des campagnes, les ruraux n’ont qu’une ressource, celle de partir en ville. Il est plus facide de prétendre que les surfaces agricoles sont éternellement extensibles. Le rapport de l’Onu insiste justement sur une recommandation : continuer à distribuer les terres. Logique désespérante. « Il regrette que ‘le sentiment d’urgence concernant la redistribution des terres ait diminué, en raison de l’idée de nombreux responsables politiques selon laquelle l’amélioration de la productivité, grâce aux technologies, représente une alternative moins litigieuse à la réforme agraire’. C’est, selon lui, ‘une erreur tragique’ » [source].
Quand Houellebecq sera lui aussi envoyé spécial, Jean-Pierre Pernaut annoncera triomphalement la nouvelle !
Incrustation : Terroirs et Artisans de France.
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[1] : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle. / Mais pourvu que ce soit pour une juste guerre. / Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre. / Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle. » [source]