La gauche peut-elle remporter la présidentielle ?

par Voltaire
vendredi 13 avril 2007

Ainsi posée, la question peut sembler provocatrice. Pourtant, le problème posé est bien réel, en raison d’un fait banal : la gauche est minoritaire en France. Ou plus exactement, une majorité de Français se déclarant ni de droite ni de gauche, la proportion d’électeurs prête à voter pour des candidats de gauche est minoritaire. Pour gagner, le ou la candidat(e) du Parti socialiste doit bénéficier de conditions particulières qui ne semblent pas remplies à la veille de cette élection de 2007.

Quel que soit le sondage examiné, il est évident que la somme des intentions de vote en faveur de la droite est majoritaire en France. Si l’on anticipe de façon raisonnable que les trois-quarts des électeurs de Jean-Marie Le Pen se reporteront sur Nicolas Sarkozy au second tour, et que Ségolène Royal ne peut espérer attirer plus de 40% des électeurs de François Bayrou, il manque toujours au minimum à la candidate du PS de 2 à 4% d’électeurs pour pouvoir espérer l’emporter au second tour face au candidat de l’UMP (et bien plus si elle est opposée au candidat de l’UDF).

Cette situation n’est en réalité pas spécifique à cette élection de 2007. Ainsi, depuis 1995, le total des voix de droite au premier tour de l’élection présidentielle excède 55%. Sous la Cinquième République, seul François Mitterrand a réussi à s’imposer pour la gauche, par deux fois, au cours des élections précédentes. Bien entendu, une élection présidentielle ne se résume pas à un simple calcul arithmétique, et dépend de toute une série de facteurs qui peuvent contredire cette logique. Néanmoins, minoritaire dans le pays, la gauche doit bénéficier de plusieurs conditions particulières pour avoir des chances de s’imposer : bénéficier d’un fort rejet de la droite, réussir à attirer le vote de l’électorat modéré, disposer d’un candidat exceptionnel par rapport à ses opposants.

Des circonstances plutôt favorables

La première condition est la plus aisée à obtenir. Elle advient quasi automatiquement lors d’élections à mi-mandat par exemple (quel que soit le parti au pouvoir d’ailleurs), qui sont généralement favorables à l’opposition. Ceci explique d’ailleurs les succès de la gauche aux législatives de 1997 ou aux régionales de 2004. Cette condition est aussi survenue en 1981, après vingt années de présidence de droite... 2007 est dans ce cadre une année plutôt intermédiaire. Elle survient après seulement cinq années d’un gouvernement de droite (la gauche ayant été de fait au pouvoir les cinq années précédentes), et alors qu’un premier vote sanction a déjà eu lieu (en 2004 et 2005). De plus, elle se situe dans un contexte de rupture politique assez fort, du fait de l’arrivée d’une nouvelle génération de candidats. On peut donc considérer que 2007 est légèrement favorable à la gauche, mais pas de façon décisive.

Un Parti socialiste handicapant

La seconde condition est la plus difficile à réaliser en France. Elle est la conséquence du refus du Parti socialiste de se transformer en parti social démocrate. L’existence d’un électorat de gauche minoritaire n’est pas un cas unique à la France, mais au contraire très répandu en Europe. Afin de parvenir au pouvoir, les équivalents du Parti socialiste en Europe ont choisi deux options, qui ne sont d’ailleurs pas mutuellement exclusives : se transformer en parti social-démocrate, et/ou accepter des alliances avec les partis de droite modérée. C’est ce qui a permis aux grands partis de gauche en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne ou dans les pays du nord de l’Europe de gouverner, seuls ou en constituant des alliances ad hoc. Même en Italie, la grande alliance de partis de gauche au pouvoir inclut un parti centriste et semble sur le point de rallier un parti de centre-droit afin d’assurer sa stabilité.

Le refus du Parti socialiste français de toute alliance avec l’UDF, refus réitéré lors de cette campagne présidentielle, et le maintien en son sein d’une forte minorité antilibérale qui empêche toute transformation vers un parti social-démocrate, sont des éléments importants qui s’opposent au ralliement de l’électorat modéré vers Ségolène Royal.

Une occasion manquée

La dernière condition aurait pu être remplie. En désignant Ségolène Royal comme candidate, le Parti socialiste avait en effet tenté un coup de poker qui aurait pu réussir. D’abord en désignant une femme, élément innovant, incarnant une modernité qui faisait défaut à Lionel Jospin en 2002. Ensuite en choisissant une candidate jusqu’ici peu connue du grand public, et donc largement épargnée de l’image désuète des autres candidats socialistes.

Malheureusement pour la candidate, ces avantages ont été réduits à néant par une trop longue campagne. La très longue bataille des primaires et la durée de cette campagne présidentielle, commencée effectivement dès le printemps 2006, ont fait perdre à Ségolène Royal l’effet novateur de sa candidature. Sans démériter tout à fait, Mme Royal a ensuite commis un certain nombre d’impairs (maladresses diplomatiques, retour en arrière sur certaines propositions mal préparées, utilisation chaotique des « éléphants ») qui ont écorné son image de présidentiable.

Malgré des qualités indéniables de volonté et d’écoute de l’opinion, Mme Royal est donc finalement apparue comme une candidate maîtrisant mal certains dossiers essentiels, tentée par le populisme, et porteuse d’un projet finalement très classiquement socialiste. Elle n’a donc pas pu s’imposer par rapport à un Nicolas Sarkozy très maître de son image, et face à un François Bayrou révélé par cette campagne.

Le vote utile

A la décharge de Ségolène Royal, il faut reconnaître que la tâche s’avérait difficile : en raison de la présence récurrente en France d’une extrême gauche puissante et du renouveau centriste favorisé par l’absence d’une candidature sociale-démocrate, la candidate du Parti socialiste a dû sans cesse faire le grand écart pour tenter de conserver son électorat. C’est en effet bien là l’un des dilemmes principaux de la gauche en France, où son meilleur candidat de premier tour n’est jamais le meilleur pour le second tour... Victime de l’absence de rénovation du PS et donc contrainte à un consensus bancale, Ségolène Royal subit naturellement une érosion de son électorat sur ses deux bords et ne peut se placer en position de rassembler l’électorat centriste au second tour.

Il est donc paradoxal de constater que, pour cette élection, la plus grande chance de la gauche d’accéder au pouvoir et de mettre en place certaines de ses idées passe par l’élection de François Bayrou.

D’abord parce qu’élu par des voix de gauche au second tour, celui-ci serait contraint de nommer de nombreux membres de la gauche modérée dans son gouvernement, et d’inviter cette même gauche dans sa majorité parlementaire (que ce soit au sein de son nouveau Parti démocrate, ou par le biais d’un accord de gouvernement).

Ensuite parce que cette élection contraindrait le Parti socialiste à effectuer enfin sa mue sociale-démocrate, ce qui laisserait sans doute partir une minorité vers le mouvement antilibéral, mais lui assurerait sur le long terme un retour régulier au pouvoir. Ce changement serait d’ailleurs largement favorisé par l’adoption d’un scrutin proportionnel pour moitié aux élections législatives, comme le propose François Bayrou. En permettant une meilleure représentation des différents courants politiques, ce système briserait la nécessité de maintenir au sein d’un même Parti socialiste des courants très éloignés, chacun ayant l’assurance d’obtenir un nombre raisonnable d’élus. Cela permettrait la formation de coalitions d’idées rassemblant deux ou trois partis, comme dans la majorité des autres pays européens.

Une élection déjà jouée ?

Il serait déplacé de suggérer que tout est joué dans cette élection, tant les électeurs demeurent indécis à moins de deux semaines du premier tour. Mais faute d’avoir pu s’affirmer pleinement comme candidate du rassemblement et d’imposer sa personnalité, les chances d’élection de Ségolène Royal, même en cas de qualification au second tour, s’avèrent minces. Elles ne dépendent en réalité plus vraiment d’elle mais bien plus d’erreurs de ses deux concurrents principaux, une situation très inconfortable.


Lire l'article complet, et les commentaires